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mercredi 10 janvier 2018

Des femmes libèrent une autre parole.....



10 janvier 2018

Des femmes libèrent une autre parole

Un collectif de plus de 100 femmes affirme son rejet du " puritanisme " apparu avec l'affaire Weinstein et d'un certain féminisme qui exprime une " haine des hommes "

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Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n'est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste.
A la suite de l'affaire Weinstein a eu lieu une légitime prise de conscience des violences sexuelles exercées sur les femmes, notamment dans le cadre professionnel où certains hommes abusent de leur pouvoir. Elle était nécessaire. Mais cette libération de la parole se retourne aujourd'hui en son contraire : on nous intime de parler comme il faut, de taire ce qui fâche, et celles qui refusent de se plier à de telles injonctions sont regardées comme des traîtresses, des complices ! Or c'est là le propre du puritanisme que d'emprunter, au nom d'un prétendu bien général, les arguments de la protection des femmes et de leur émancipation pour mieux les enchaîner à un statut d'éternelles victimes, de pauvres petites choses sous l'emprise de phallocrates démons, comme au bon vieux temps de la sorcellerie.
Délations et mises en accusationDe fait, #metoo a entraîné dans la presse et sur les réseaux sociaux une campagne de délations et de mises en accusation publiques d'individus qui, sans qu'on leur laisse la possibilité ni de répondre ni de se défendre, ont été mis exactement sur le même plan que des agresseurs sexuels. Cette justice expéditive a déjà ses victimes, des hommes sanctionnés dans l'exercice de leur métier, contraints à la démission, etc., alors qu'ils n'ont eu pour seul tort que d'avoir touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses " intimes " lors d'un dîner professionnel ou d'avoir envoyé des messages à connotation sexuelle à une femme chez qui l'attirance n'était pas réciproque. Cette fièvre à envoyer les " porcs " à l'abattoir, loin d'aider les femmes à s'autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux, des pires réactionnaires et de ceux qui estiment, au nom d'une conception substantielle du bien et de la morale victorienne qui va avec, que les femmes sont des êtres " à part ", des enfants à visage d'adulte, réclamant d'être protégées. En face, les hommes sont sommés de battre leur coulpe et de dénicher, au fin fond de leur conscience rétrospective, un " comportement déplacé " qu'ils auraient pu avoir voici dix, vingt ou trente ans, et dont ils devraient se repentir. La confession publique, l'incursion de procureurs autoproclamés dans la sphère privée, voilà qui installe comme un climat de société totalitaire.
La vague purificatoire ne semble connaître aucune limite. Là, on censure un nu d'Egon Schiele sur une affiche ; ici, on appelle au retrait d'un tableau de Balthus d'un musée au motif qu'il serait une apologie de la pédophilie ; dans la confusion de l'homme et de l'œuvre, on demande l'interdiction de la rétrospective Roman Polanski à la Cinémathèque et on obtient le report de celle consacrée à Jean-Claude Brisseau. Une universitaire juge le film Blow-Up, de Michelangelo Antonioni, " misogyne " et " inacceptable ". A la lumière de ce révisionnisme, John Ford (La Prisonnière du désert) et même Nicolas Poussin (L'Enlèvement des Sabines) n'en mènent pas large. Déjà, des éditeurs -demandent à certaines d'entre nous de rendre nos personnages masculins moins " sexistes ", de parler de sexualité et d'amour avec moins de démesure ou encore de faire en sorte que les " traumatismes subis par les personnages féminins " soient rendus plus évidents ! Au bord du ridicule, un projet de loi en Suède veut imposer un consentement explicitement notifié à tout candidat à un rapport sexuel ! Encore un effort et deux adultes qui auront envie de coucher ensemble devront au préalable cocher via une " appli " de leur téléphone un document dans lequel les pratiques qu'ils acceptent et celles qu'ils refusent seront dûment listées.
Le philosophe Ruwen Ogien défendait une liberté d'offenser indispensable à la création artistique. De même, nous défendons une liberté d'importuner, indispensable à la liberté sexuelle. Nous sommes aujourd'hui suffisamment averties pour admettre que la pulsion sexuelle est par nature offensive et sauvage, mais nous sommes aussi suffisamment clairvoyantes pour ne pas confondre drague maladroite et agression sexuelle. Surtout, nous sommes conscientes que la personne humaine n'est pas monolithe : une femme peut, dans la même journée, diriger une équipe professionnelle et jouir d'être l'objet sexuel d'un homme, sans être une " salope " ni une vile complice du patriarcat. Elle peut veiller à ce que son salaire soit égal à celui d'un homme, mais ne pas se sentir traumatisée à jamais par un frotteur dans le métro, même si cela est considéré comme un délit. Elle peut même l'envisager comme l'expression d'une grande misère sexuelle, voire comme un non-événement.
En tant que femmes, nous ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme qui, au-delà de la dénonciation des abus de pouvoir, prend le visage d'une haine des hommes et de la sexualité. Nous pensons que la liberté de dire non à une proposition sexuelle ne va pas sans la liberté d'importuner. Et nous considérons qu'il faut savoir répondre à cette liberté d'importuner autrement qu'en s'enfermant dans le rôle de la proie. Pour celles d'entre nous qui ont choisi d'avoir des enfants, nous estimons qu'il est plus judicieux d'élever nos filles de sorte qu'elles soient suffisamment informées et conscientes pour pouvoir vivre pleinement leur vie sans se laisser intimider ni culpabiliser. Les accidents qui peuvent toucher le corps d'une femme n'atteignent pas nécessairement sa dignité et ne doivent pas, si durs soient-ils parfois, nécessairement faire d'elle une victime perpétuelle. Car nous ne sommes pas réductibles à notre corps. Notre liberté intérieure est inviolable. Et cette liberté que nous chérissons ne va pas sans risques ni sans responsabilités.
Collectif
© Le Monde


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Nous serons libres quand nous pourrons exprimer notre désir

L'écrivaine Belinda Cannone salue le mouvement contre le harcèlement. Mais la transformation ne sera réelle que quand l'entreprise de séduction sera partagée

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L'extraordinaire mouvement de protestation contre le harcèlement et les violences faites aux femmes, qui a embrasé une grande partie du monde occidental, représente un bond en avant décisif dont nous pouvons nous réjouir sans réserve. On imagine mal comment les rapports entre les sexes pourraient ne pas être définitivement transformés par la vigueur et l'étendue de la dénonciation. Si l'on a fait remarquer qu'elle comportait parfois des outrances ou des maladresses dans certaines de ses expressions, il n'en reste pas moins qu'aucun homme ne peut plus feindre d'ignorer la violence contenue dans des attitudes qui passaient jusqu'ici pour acceptables, -sinon normales, et qu'aucune femme ne se reprochera plus d'exagérer lorsqu'elle souffre de cette violence.
Mais prenons garde aux écueils possibles. Une partie importante du féminisme qui s'est développé depuis 1949 a ceci de beau et de mûr qu'il a constamment évité plusieurs pièges, principalement l'appel à la guerre des sexes et son corollaire, le victimisme, mais aussi un puritanisme qui, on le voit ailleurs, transforme le commerce amoureux en procédure et affecte l'idée même du -désir, avec ce qu'il engage de risque, d'inattendu et de tension.
Autant il me paraît capital de dénoncer enfin le lien du pouvoir et du sexe qui a privéles femmes de la maîtrise de leur corps, autant je crois nécessaire de continuer à combattre la morale -désuète qui a toujours cherché à refréner les " désordres de la sexualité ", de même qu'il faut, à présent, se méfier de la confusion qui pourrait naître entre expression du désir et violence de la -domination masculine. Cette confusion pourrait bien survenir du fait que la révolution sexuelle et le féminisme des années 1970 n'ont pas été suffisants pour modifier en profondeur les stéréotypes. Une asymétrie persiste, dans toutes les étapes de la relation amoureuse, si intériorisée qu'elle en est peu visible. La séduction, pour ne prendre que cet exemple, s'envisage encore -généralement selon l'adage " l'homme propose et la femme dispose ".
jeu partagéOr, les façons de séduire – approche, invite, expression de la proposition, initiative, mots – sont des mises en scène ritualisées de la sexualité en général et se présentent comme un puissant révélateur des rapports de pouvoir entre les sexes. Certes, aujourd'hui, les femmes sont plus entreprenantes mais, outre que de nombreux hommes s'inquiètent devant un désir féminin explicité, l'idée reste vivace que le désir masculin est lié à la résistance féminine et que le non n'est qu'un oui qui sait se faire -attendre. Sans compter que les femmes ne sont sans doute pas si pressées de -renoncer à cette bienheureuse passivité qui nous met à l'abri de la blessure narcissique menaçant toujours celui qui prend le risque de se proposer.
Petite illustration révélatrice : à la -recherche d'une compagne, un de mes amis a décidé d'en passer par un moyen de rencontre très récent, l'application Tinder. Il a été étonné de constater que si les deux sexes étaient également -actifs dans la première phase (attribuer des " like " aux photos des utilisateurs de l'application), en -revanche il n'a -jamais vu une femme prendre l'initiative d'écrire le premier message – de formuler la première son désir. Curieuse permanence au cœur de l'ultracontemporain.
Le jour où les femmes se sentiront parfaitement autorisées à exprimer leur désir, où l'entreprise de la séduction sera réellement partagée, elles ne seront plus des proies et ne se percevront plus comme telles. Encore faut-il qu'elles aient la possibilité de devenir aussi entreprenantes que les hommes, aussi actives, aussi sûres de leurs désirs.
Tout le monde gagnerait à une réelle égalité dans l'érotisme, égalité qui passe par la prise d'initiative et de risque, et non par d'improbables " contrats ", très éloignés de ce qui se joue dans le désir. Chacun, tous genres confondus, étant tour à tour l'invitant ou le destinataire de la proposition, à jeu partagé, les hommes ne seraient plus perpétuellement en situation de chasseurs. Le non des femmes n'étant plus sujet à d'hypocrites interprétations, il ne serait plus possible de prétexter qu'il est une feinte et les femmes en seraient ainsi mieux protégées. En somme, il ne s'agit pas seulement de réfléchir au consentement, notion qui, dans une certaine mesure, renvoie à une position passive, mais à la transformation en profondeur des comportements et des rôles.
J'aime la promesse contenue dans la conclusion que Beauvoir a donnée au Deuxième Sexe, prédisant que de l'émancipation des femmes naîtrait, entre les deux sexes, non pas l'indifférence, mais " des relations charnelles et affectives dont nous n'avons pas idée ". Nous n'en avons toujours pas vraiment idée. Et ce n'est pas en condamnant l'expression du désir, mais en -assumant pleinement de la partager que les femmes verront leur condition s'améliorer.
Belinda Cannone
© Le Monde

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