boutiste ou démineur ?
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Michel Noblecourt
Le président de la république, le 9 mai, à Rungis. JEAN CLAUDE COUTAUSSE / FRENCHPOLITICS POUR LE MONDE
On ne recense que des jusqu’au-boutistes dans la bataille sur la « loi travail ». Jusqu’au-boutiste, Philippe Martinez, pour qui le retrait du texte est le préalable à toute discussion. « Il faut que le président de la République dise au gouvernement, a averti, le 26 mai, le secrétaire général de la CGT : “Maintenant, on arrête tout, on écoute ceux qui sont défavorables à ce projet de loi, majoritaires dans ce pays, et on remet les compteurs à zéro”. »
Jusqu’au-boutiste, Laurent Berger, dans son refus de toute modification du fameux article 2, celui qui privilégie les accords d’entreprise – majoritaires, et donc signés par des syndicats totalisant 50 % des voix aux élections professionnelles – sur le temps de travail. Dénonçant un « jusqu’au-boutisme mortifère » entre le gouvernement et la CGT, le secrétaire général de la CFDT verrait dans l’abandon de l’article 2 un casus belli. Jean-Claude Mailly présente la CFDT comme le seul syndicat « qui soutient intégralement la loi El Khomri ». Le secrétaire général de FO oublie un peu vite la CFTC, sur la même ligne, mais chez les réformistes, la CFE-CGC et l’UNSA restent critiques.
« Faire des réformes jusqu’au bout »
Jusqu’au-boutiste, Pierre Gattaz, qui affirme au Monde du mardi 31 mai qu’« il ne faut surtout pas toucher à cet article 2 : c’est la seule disposition intéressante qui subsiste après les réécritures successives du texte. (…) S’il disparaissait, nous demanderions le retrait du projet de loi. » Le président du Medef accompagne cet ultimatum d’une diatribe d’une violence inouïe contre la CGT. La voilà accusée de recourir « aux violences, à l’intimidation, à la terreur », ces « minorités » se comportant – rien de moins – qu’en « voyous » ou en « terroristes ». La pression du Syndicat du livre auprès des quotidiens nationaux pour publier un tract de M. Martinez, (heureusement) rejetée par tous, à l’exception de L’Humanité, étant le signe « que l’on est dans une dictature du prolétariat » ! C’est sans doute le discours que M. Gattaz a jugé le plus opportun pour apaiser le climat.
Jusqu’au-boutiste, Manuel Valls, qui voit dans ce conflit « la confrontation entre réformisme, conservatisme et régression ».
« Quand un texte a été discuté, a martelé le premier ministre au Parisien du samedi 28 mai, qu’il a suscité des compromis avec les partenaires sociaux, qu’il a été adopté à l’Assemblée nationale, (…) ma responsabilité c’est d’aller jusqu’au bout. »
M. Valls, qui a téléphoné à tous les dirigeants syndicaux le 28 mai, exclut tout retrait de la loi ou de son article 2. Il se dit « toujours prêt à la discussion », mais il est tellement « droit dans ses bottes » qu’aux yeux des opposants à la loi travail, il s’est disqualifié.
« UN SYNDICALISME DE CONTESTATION, AVEC LE RISQUE DE NE PAS TROUVER DE DÉBOUCHÉ ? OU UN SYNDICALISME DE COMPROMIS ET DE RESPONSABILITÉ ? »FRANÇOIS HOLLANDE
François Hollande est aussi dans le camp des jusqu’au-boutistes. « Je tiendrai bon parce que je pense que c’est une bonne réforme, a affirmé le chef de l’Etat, le 27 mai au Japon, et nous devons aller jusqu’à son adoption. » Ce qui compte, avait-il lancé aux partenaires sociaux le 18 janvier, « c’est de faire des réformes jusqu’au bout ». Le président est convaincu, alors que de bons indices économiques fleurissent, que la réforme du code du travail sera portée à son crédit et qu’un recul ruinerait toutes ses chances pour 2017. Il s’interrogeait récemment sur la question de savoir quel syndicalisme allait l’emporter : « Un syndicalisme de contestation, avec le risque de ne pas trouver de débouché ? Ou un syndicalisme de compromis et de responsabilité ? Ce qui est en jeu, c’est une clarification entre les deux formes de syndicalisme. »
Cette analyse explique la fermeté de l’Elysée, qui parie sur le pourrissement du mouvement, et joue les démineurs dans les secteurs où il y a, hors loi El Khomri, des revendications propres, à la SNCF – avec un premier succès, puisqu’il a sorti la CFDT d’une grève annoncée –, à la RATP ou chez Air France.
Lire aussi : Les syndicalistes CGT « voyous » : Philippe Martinez juge les propos de Pierre Gattaz « scandaleux »
Concertation bâclée
Droit, lui aussi, dans ses bottes, François Hollande n’a pas l’intention de recevoir Philippe Martinez. A quoi bon ? Mais là où le bât blesse, c’est que depuis le début de son quinquennat, il a fait de la démocratie sociale l’alpha et l’oméga de la réforme, et en a donné des preuves en 2013 et en 2014. Or, sur la loi travail, la méthode n’a été qu’une pâle copie des épisodes précédents, avec une concertation bâclée sur les points clés. Alors, candidat, François Hollande avait écrit, le 29 avril 2012, aux cinq centrales représentatives :
« J’ai fait du dialogue social une priorité majeure de mon projet présidentiel et un pilier de la méthode de gouvernement, qui sera la mienne. (…) Le principe de confiance doit prévaloir non seulement dans les rapports sociaux, mais, a fortiori, entre la puissance publique et les acteurs de la vie socioprofessionnelle. » Et le 18 janvier, il a répété que « le compromis n’abaisse pas l’ambition, ne réduit pas l’ampleur des réformes et ne dévalue pas les partenaires qui l’ont élaborée ».
Pour les opposants à la loi travail, François Hollande est devenu l’ultime recours, le potentiel démineur. « S’il ne prend pas les choses en main, cela peut dégénérer », entend-on de toutes parts. La CGT, FO, et même les « frondeurs » du PS attendent un signe, une initiative. Certains imaginent un compromis avec une « expérimentation » de l’article 2 dans quelques régions, avant sa généralisation. D’autres espèrent une valorisation du compte personnel d’activité, qui octroie des droits à la personne, tout au long de sa vie professionnelle, quel que soit son statut, maigrement doté dans la loi et totalement absent des discours de l’exécutif. Jusqu’au-boutiste ou démineur ? Il y a une échéance redoutable, c’est celle de l’Euro de football, qui démarre le 10 juin. Si, d’ici là, le mouvement ne s’essouffle pas, le président ne pourra plus rester inerte.
Journaliste au Monde
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