Période hivernale : comment les écoutants du 115 font face à la crise
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Comment les écoutants du 115 font face aux demandes des sans-abris | AFP
SANS-ABRIS - Chaque année, l'histoire se répète. À l'ouverture de la période hivernale au 1er novembre, on promet des places d'hébergement d'urgence supplémentaires pour faire face à l'augmentation des demandes. Fin septembre, le préfet de Paris a donc annoncé 2.000 places en plus venues s'ajouter aux 75.000 destinées aux sans-abris que compte l'Île de France toute l'année (hors gymnases).
Mais derrière ces promesses, il y a des hommes et des femmes qui s'occupent de répondre aux SDF, de les orienter vers des centres d'hébergement d'urgence, quand il ne s'agit pas de leur signifier que -ce soir- les initiales DNP (pour "demande non pourvue") s'inscriront sur leur dossier. Vacataires, titulaires à temps plein ou à mi-temps, les écoutants du 115 sont en première ligne face à la hausse des demandes d'hébergements en cette période.
Aux premières loges des frustrations aussi, lorsqu'il est malheureusement question d'informer l'intéressé qu'il devra passer la nuit dehors. Ce qui arrive, hélas, très souvent, pesant ainsi sur le moral des troupes déjà échaudées par les insultes des désespérés criant leur détresse au téléphone. Alors que la crise migratoire devrait faire augmenter le nombre de demandes (les démarches administratives des réfugiés se faisant essentiellement sur Paris), les écoutants du Samu Social ne cachent pas leur inquiétude. Contactés par Le HuffPost, certains d'entre-eux ont accepté de se confier.
"On met notre vie de côté"
Augustin* est coordinateur au Samu Social de Paris, c'est à dire que son travail consiste -entre autres- à recruter, former et gérer les écoutants. À quelques jours de l'ouverture de la période hivernale, il ne cache pas son scepticisme concernant les annonces qui ont été faites. "On ne sait pas vraiment ce qu’on va avoir comme moyen", indique-t-il mettant l'accent sur le hiatus existant entre la communication institutionnelle et les dispositifs mis en place sur le terrain. Malgré les renforts qui sont sollicités pour cette période, Augustin explique que le navire chancelant de l'hébergement d'urgence continue de naviguer à vue. "Au final, c'est très incertain parce que ça dépend des températures, donc on reste dans l'improvisation, dans l'adaptation permanente", explique-t-il précisant que cette situation a tendance à générer des tensions et du stress chez certains écoutants. Car si les équipes du Samu sont habituées à réagir dans l'urgence, le facteur "température" peut être un motif de colère exprimé chez certains. "On ne sait pas le matin combien de places on aura le soir, pourtant, c'est au petit matin que les hébergés appellent, parce qu'on leur a dit la veille que c'était plus facile... Sauf que, en réalité, on n'est pas en mesure d'apporter une solution", poursuit-il.
Par exemple, quand un soir il ne fait pas "assez" froid pour que la préfecture décide de débloquer des places (gymnase, anciens centres etc.), les équipes "restent sans solution en attendant que ça se débloque", explique-t-il. Pourtant, le nombre d'appels aura augmenté, tout comme les réponses négatives formulées dans la douleur par les écoutants se seront multipliées. "On est censés être le dernier recours pour les gens, alors passer sa soirée à dire 'oui, allo ? Désolé, vous allez dormir dehors', c'est pas évident", poursuit notre "coordi" qui explique que durant cette période, lui et ses collègues "mettent leurs vies de côté" pour rester sur le qui-vive. Mais alors, pourquoi tant de frustration si des renforts sont recrutés et si des places supplémentaires sont promises ? Concernant les annonces faites par le préfet (7500 places en plus ndlr), notre interlocuteur tranche sévèrement :"je n'y crois pas une seconde". Pour ce qui est des renforts, ce dernier est tout autant sceptique. "Bah, la plupart n'ont pas encore vécu de période hivernale, le turn over étant tel, que cette année une majorité d'écoutants vivront leur première", confie-t-il. "Nous sollicitons beaucoup de vacataires, donc les conditions de travail se dégradent. Au bout d'un moment, cette précarisation des écoutants se répercute sur les gens qui appellent", regrette également Augustin.
"Enormément de stress"
Pour Léa* (écoutante), cette période génère énormément de stress chez les écoutants. "Personnellement, ce stress s'est traduit par des urticaires", explique-t-elle notant au passage que ce qui pèse notamment, c'est de repenser à toutes ces fois où l'on a dit "non" à un sans-abris, "alors que l'on rentre chez soi et que le thermomètre affiche 0°". Surtout que, "quand tu rentres chez toi, tu les croises, ou du moins t'as l'impression de les croiser, ce qui fait que les heures passées au téléphone ne te quittent pas d'une semelle même des heures après avoir quitté ton poste", détaille Léa. Précision très importante à ses yeux, "la période hivernale n'est pas 'pire' pour les écoutants". Selon elle, la période estivale génère autant -voire plus- de malaise. Comment ? "Nous recevons toujours autant d'appels l'été, sauf que les places se sont considérablement réduites et que des centres ouverts d'urgence pour l'hiver ferment leurs portes", déplore-t-elle. Une lecture du contexte partagée par Augustin pour qui "l'effet froid" de l'hiver permet une attention médiatique qui va s'assortir d'un effort en termes de déblocage de places, mais que la situation est tout aussi (voire encore plus) dramatique en période estivale. Selon les chiffres du collectif "Morts de la rue" en effet, on constate que ce n'est pas durant l'hiver que le nombre de SDF qui perdent la vie est le plus important, et ce, contrairement aux idées reçues et aux messages répétés à l'envi durant les bulletins météos hivernaux : "il va faire froid, si vous croisez un sans-abris, appelez le 115".
"Ça nous énerve quand on entend ça ! Nos lignes sont déjà saturées ! Comme si notre travail consistait à laver la conscience des gens aisés, soudainement peinés par le sort d'un SDF dans le froid. Alors que nous, nous sommes ceux qui doivent trop souvent dire que l'on n'a justement plus de places disponibles", s'étrangle Léa. En effet, c'est davantage le 18 qu'il faut composer si l'on estime qu'un SDF est en danger. Au final, c'est surtout le constat de l'injustice sociale qui "provoque la fatigue morale" des écoutants, note Augustin qui déplore que beaucoup d'entre-eux soient si souvent "au bord du craquage". Période hivernale ou non, les écoutants du 115 paraissent bien seuls face à la misère.
* Les prénoms ont été modifiés
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