L'histoire est définitivement tragique
ATTENTATS - En regardant le visage chaviré de François Hollande, vendredi matin, lors de l'hommage national aux morts du 13 novembre, on était pétrifiés. On y lisait une émotion intense qui ne l'avait visiblement pas quitté depuis la nuit tragique du 13 novembre, une fatigue immense après les allers et retours entre Washington et Moscou ces dernières heures, une détermination dont ses amis ne cessaient, depuis longtemps, de nous persuader. Il a entendu, pendant 10 longues minutes, les 130 noms de ces jeunes (et moins jeunes), morts d'avoir aimé la vie ; il a écouté la gorge nouée les chansons déchirantes de Brel ou Barbara ; on l'a vu trembler de froid, de fatigue et du poids des responsabilités, dans cette cour magnifique et solennelle des Invalides.
Raymond Aron avait eu ce mot cruel à l'endroit de Valéry Giscard d'Estaing, jeune Président auquel la vie semblait sourire: "Il ne sait pas que l'histoire est tragique". Entre le 7 janvier et le 13 novembre 2015, François Hollande l'a éprouvé, sinon appris. Ce Président qui se voulait normal et qu'on a cru classique, a dû se transformer en chef de guerre du Mali à la Syrie, de Charlie au Bataclan.
Rien ne l'y prédisposait. Il pensait avoir à se battre contre le chômage - une bataille où le surplace est visiblement le médiocre et seul résultat. Il a voulu entreprendre des réformes économiques, il a tenté de se débattre dans les filets du déficit, il a attendu, résigné, les chiffres mensuels de l'emploi, invariablement sombres. Quand on est simplement habile avec sa majorité, rusé avec l'opposition, quand on attribue un crédit d'impôt ici, une loi Macron là, on ne gagne pas sa place dans l'histoire, et on est, au mieux, un Président comme les autres, pas celui qui doit désormais combattre des "hordes d'assassins" qui s'en prennent à tout ce qu'est la France, ses libertés, sa diversité, sa jeunesse et son appétit de vivre.
Ce Président bon vivant, plein d'humour, qui n'aimait rien tant que louvoyer dans les jeux politiques, a été précipité dans le drame. C'est peut-être l'amorce de la métamorphose - conjoncturelle ? définitive ? - d'un homme que les attentats semblent affecter à la protection de notre sécurité, à la défense de notre mode de vie, à la vigie intransigeante de notre paix civile. Il n'a pas signé pour cela, n'a pas commencé comme cela, mais apprend désormais à tenir contre les vents les plus mauvais.
Le climat devient le grave enjeu des deux prochaines semaines, les élections régionales risquent de chambouler l'équilibre politique, la future présidentielle peut sceller le destin d'une autre France, si bien que la question est désormais posée : est-ce un Hollande différent qui va les affronter ? Ou un Hollande qui retombera dans les ornières du "business as usual", avec un peu d'écologie pour séduire les jeunes, un soupçon de gauche du PS pour mieux troubler la majorité de gouvernement, un réformisme libéral pour reconquérir les cadres, une bonne dose de sécuritaire pour troubler la droite ? L'après Charlie, dissipé hélas dès le lendemain de cet extraordinaire 11 janvier, ne plaide pas pour les tournants en politique ou les transformations des tempéraments. Rien ne devait plus être comme avant, on allait prendre la mesure de ce qui venait de se passer, en termes de sécurité, en termes de laïcité, en termes de tolérance entre les diversités françaises. Or rien n'a changé ou presque de la part de ceux qui nous gouvernent comme de ceux qui s'opposent, ce qui ne plaide pas pour les prises de conscience durables quand l'émotion et le chagrin retombent.
Et pourtant, il y a un moment où les hommes prennent la dimension de leur destin : celui qui vient de vivre une "annus horribilis", le Président qui tente désespérément de coaliser autour de la France une union à laquelle il vient de se convertir, est désormais un homme qui sait qu'elle est bien mince, la frontière entre l'ordinaire et le tragique, entre le côté paisible et le côté obscur de la force.
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