On l'attendait avec impatience, crainte et espérance mêlées. Le discours de politique générale du nouveau Premier ministre, Michel Barnier, devant l'Assemblée nationale, le 1er octobre, est généralement jugé réussi sur la forme mais décevant sur le fond. Ou, dit autrement, apaisant mais manquant de perspectives...sinon celle de plus d'impôts. Où sont les « annonces fortes » vantées par Matignon ? Michel Barnier a prévenu d'entrée de jeu les députés qu'il n'était pas là pour vendre du rêve mais pour « regarder la vérité en face ». La situation du pays et l'état de sa représentation nationale n'ont rien de rassurant. « Prenons soin de la République, elle est fragile » a-t-il averti. Soigner un grand malade impose en effet de ne pas lui administrer un traitement qui l'achèverait. Michel Barnier a donc « fait l'éloge du pragmatisme », constate Guillaume Tabard (Le Figaro, 1er octobre). Il s'agit de « préférer des solutions limitées mais immédiates à l'ouverture de grands chantiers qui n'aboutiront jamais ». Ces solutions, le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau les veut rapides et efficaces pour « réduire l'immigration illégale mais aussi légale ». Sur ce point, il ne sera pas désavoué par le Premier ministre : « C'est une question que nous devons regarder avec lucidité et affronter avec pragmatisme », avait annoncé le chef du gouvernement (BFMTV, 2 octobre). Sa stratégie ? L'édredon, analyse Vincent Trémolet de Villers sur Europe 1 (2 octobre). Elle s'est montrée efficace face aux habituelles gesticulations et vociférations des députés « insoumis » qui ont fini par se calmer devant l'impassibilité de l'orateur. À l'évidence, son calme, sa stature, son expérience en imposaient à tout l'hémicycle. Mais sur le fond du discours, s'agissait-il « de politique générale ou d'anesthésie générale de la politique » ? se demande l'éditorialiste. « L'ancien commissaire européen a choisi la prudence bruxelloise plutôt que l'éloquence churchillienne » avec « un mélange de formules passe-partout comme "renforcer la transparence", d'annonces prudentes comme la fusion de France stratégie et du Haut-commissariat au plan, de propositions lénifiantes comme la création d'une journée de consultation annuelle... » Pour cocher toutes les cases du « politiquement correct », Michel Barnier n'a pas manqué d'honorer les « lignes rouges » sociétales (avortement, PMA…) En définitive, ce long discours (1 h 30) serait-il un édredon dissimulant une main de fer ? L'avenir le dira. Mais Vincent Trémolet voit cette hypothèse confortée par les saillies incisives de Michel Barnier en réponse à différents présidents de groupes de l'opposition, telle Mathilde Panot (LFI) ou Boris Vallaud (PS). Sa pique la plus savoureuse fut sans doute son adresse à son prédécesseur à Matignon, Gabriel Attal, relève la chaîne parlementaire LCP (1er octobre) : « Le Premier ministre a annoncé qu'il serait "très attentif" aux propositions du président du groupe Ensemble pour la République "pour faire face à un déficit trouvé en arrivant" »...
S'agissant précisément des finances publiques, « Michel Barnier a fait le service minimum (…) entre devoir de vérité et prudence de Sioux » estime Atlantico. Il avait d'ailleurs averti dès l'ouverture de son discours, en citant le général de Gaulle, qu'il s'agissait de « faire beaucoup avec un peu en partant de presque rien ». Mais ce « peu » ne satisfait pas Jean-Philippe Feldman (agrégé des facultés de droit, ancien professeur des universités, maître de conférences à SciencesPo, avocat à la Cour de Paris). Il ne cache pas son désaccord, dans un article de l'Institut de Recherches Economiques et Fiscales (IREF, en lien ici et en sélection). « Michel Barnier s'en est tenu à des banalités et de vagues déclarations pour l'essentiel. Et lorsqu'il a énoncé quelques mesures précises, elles se seront traduites par leur aspect anodin ou leur caractère contestable ». L'universitaire pointe notamment l'intention du Premier ministre de « préserver l'équilibre durable de notre système de retraites par répartition » sans dire un mot de la retraite par capitalisation. Comme d'autres critiques, Feldman s'étonne que la priorité accordée par Michel Barnier à « l'accès à des services publics de qualité » ne s'accompagne pas de sérieuses réductions du « périmètre de l'État » que le poids d'une « dette colossale » (3 228 milliards d'euros !) rend pourtant inéluctables selon les propres mots du Premier ministre.
Là-dessus, l'annonce d'une hausse d'impôts « exceptionnelle » sur « les grandes entreprises qui réalisent des profits importants » et sur « les Français les plus fortunés », au nom de la « justice fiscale », indique clairement que la France n'est pas prête d'être tirée de l'enfer fiscal. Une mesure critiquable, non seulement pour ses effets pervers, dont l'exil fiscal, mais dans son principe même, souligne Feldman : « Les revenus et les patrimoines des individus leur appartiennent, ils n'appartiennent pas à l'État et, si une contribution pour le fonctionnement de ce dernier est fixée, elle doit être proportionnée aux services rendus. Telle était la conception classique de l'impôt, aujourd'hui bien oubliée. » Nombre de députés de la coalition Barnier, dont Gérald Darmanin, annoncent qu'ils ne voteront pas un budget comportant une hausse d'impôts lors du vote solennel prévu le 29 octobre. Michel Barnier fera-t-il adopter son texte sans vote grâce à l'article 49.3... au risque qu'une motion de censure mette fin à l'aventure ? Philippe Oswald |
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