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vendredi 4 octobre 2024

L'actualité littéraire HEBDO avec BIBLIOBS - Vendredi 4 octobre 2024

 



BibliObs

Vendredi 4 octobre 2024

Depuis le 2 septembre, 51 hommes sont jugés pour viols aggravés sur Gisèle Pelicot. Dominique Pelicot est accusé d’avoir drogué son épouse avant de proposer à des utilisateurs d’une plateforme obscure d’abuser sexuellement d’elle, de 2011 à 2020. Victime d’une affaire sordide et hors norme, Gisèle Pelicot fait montre d’un courage impressionnant, ayant levé le huis clos pour exposer les faits au vu du grand public, supportant toutes sortes d’humiliations, de la diffusion de photos intimes au déni de certains accusés alors que des vidéos les mettent directement en cause. « Ce n’est pas pour moi que j’ai renoncé au huis clos. Pour moi, le mal est fait. C’est pour toutes les autres femmes. ­Beaucoup de femmes n’ont pas les preuves. Moi oui », a-t-elle expliqué.

Combien d’autres femmes en effet ne sauront jamais ce qui s’est passé à leur insu ? D’autres l’ont découvert. C’est le cas de 151 mennonites (groupe chrétien ultra-conservateur dont sont historiquement issus les amish) de Manitoba, en Bolivie. Les victimes avaient entre 3 (!) et 65 ans. Elles se réveillaient le matin le corps endolori, sans sous-vêtements, trouvaient des taches suspectes sur leurs draps et des brins d’herbe dans leurs cheveux. Ce qui était advenu la nuit, elles n’en avaient aucun souvenir. Quand elles évoquaient des violeurs, on leur répondait : plutôt des fantômes ou des démons, très chère pécheresse. La vérité éclata à la faveur d’un flagrant délit. De 2005 à 2009, un groupe d’hommes leur administrait de l’anesthésiant vétérinaire et les agressait sexuellement, chez elles ou dans les champs alentour. Sept hommes mennonites ont été condamnés à vingt-cinq ans de prison pour ces crimes en 2011. Un autre est toujours en fuite.

Élevée chez les mennonites, l’écrivaine canadienne Miriam Toews en avait tiré un roman-manifeste, titré « Ce qu’elles disent » (Buchet-Chastel, 2019) et plus tard adapté au cinéma par Sarah Polley. Quand on l’avait rencontrée pour la sortie française du livre, elle racontait que les événements de Manitoba l’avaient « horrifiée, mais pas surprise ». Elle décryptait : « Il n’y a pas de police. Pas d’autorité. Ces communautés sont régulées par des chefs religieux autoproclamés. Les femmes ne parlent pas la langue du pays [mais le plautdietsch, un dialecte allemand, NDLR]. Elles ne quittent la colonie qu’accompagnées par un homme. Fondamentalement, elles sont prisonnières. »

On acquiesçait. Bien sûr qu’il est facile de profiter de femmes isolées de la civilisation moderne. Bien sûr que sans internet, sans téléphone portable, sans voiture, il leur était complexe de chercher de l’aide. Bien sûr que dans un milieu sans éducation sexuelle et sans contraception, il n’y a pas de cours de consentement. L’affaire de Mazan vient fracasser ces certitudes, cet exotisme mal placé. La culture du viol s’infiltre partout. Que tu laboures dès l’aube ou que tu coules une paisible retraite au soleil, femme, ton corps est en danger potentiel.

Avec l’affaire de Mazan, on comprend plus profondément le symbole que Miriam Toews a voulu faire du cas des femmes mennonites. Dans l’incandescent « Ce qu’elles disent », la romancière ne s’intéresse pas aux viols en soi, mais à l’après. Les victimes tiennent conciliabule sur la réaction à adopter. Faut-il se venger ou pardonner ? Faut-il rester ? Faut-il partir et où ? De quelle façon continuer à faire société avec les hommes ? Ces questions épineuses, c’est celles que se posent aujourd’hui de nombreuses Françaises sous le choc de cette affaire historique.

Amandine Schmitt

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