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Ruffin : la honte en entier et pas à moitié
Les mots me manquent. L’interview de François Ruffin ce mercredi 11 septembre m’a choqué. J’ai d’abord pensé que le silence était sans doute la meilleure des réactions. Il y a des choses bien plus importantes à faire face au coup de force de Macron et de l’extrême droite. Nous nous y attelons avec soin pour préparer la suite de la mobilisation après le grand succès des manifestations du 7 septembre. Et pour poursuivre la campagne engagée pour la destitution du président de la République.
Mais je crois que certaines accusations ne peuvent rester sans réponse, tant elles sont blessantes, injustes et dangereuses. Je le fais donc en quelques points.
François Ruffin dit qu’il a honte d’avoir fait une campagne au faciès. Il a raison : c’est une honte d’avoir inventé le tract que l’on donne en fonction de la couleur de peau. C’est pourquoi personne ne l’a fait à part lui. Il devrait donc se demander comment il en est arrivé là plutôt que de salir l’honneur de centaines de candidats et de plusieurs dizaines de milliers de militants qui considèrent tout simplement un citoyen comme un citoyen. Quelle que soit sa couleur de peau ou sa religion.
François Ruffin accuse les insoumis d’avoir fait le choix de ne plus s’adresser à une partie de la France, alors que lui voudrait la France en entier. Il s’appuie pour cela sur les propos de Jean-Luc Mélenchon qui a rappelé que notre objectif premier était la mobilisation de la jeunesse et des quartiers populaires. Il évoque plusieurs personnes sans que l’on ne comprenne vraiment pourquoi les insoumis auraient renoncé à s’adresser à elles : les éboueurs d’Abbeville, l’aide-soignante de la clinique d’à côté, les ouvriers de chez Goodyear ou les vigiles de Sécuritas. D’où vient cette idée qu’ils seraient des oubliés de notre programme et de nos campagnes, alors que nos propositions visent précisément à unifier ces groupes sociaux ?
Il faudra en tout cas apprendre à François Ruffin que, contrairement à ce que l’on entend parfois à la télévision, les « quartiers populaires » ne sont pas remplis de profiteurs ou de dealers. On y trouve des ouvriers, des employés, des éboueurs, des ingénieurs, des aides-soignantes, des femmes de ménage ou des vigiles. Et c’est d’ailleurs essentiellement là qu’ils se trouvent car c’est souvent seulement là, malheureusement, qu’ils peuvent vivre. Lui rappeler aussi qu’il n’y a pas de « quartiers populaires » que dans les grandes villes : à titre d’exemple, environ 45 % des logements sociaux sont situés en dehors des aires urbaines de plus de 200 000 habitants. La lecture ville/campagne n’est pas ici plus pertinente qu’ailleurs.
François Ruffin accuse le mouvement insoumis d’avoir fait siennes les préconisations du rapport Terra Nova publié en 2011. On en rirait presque si l’accusation n’était pas portée avec une telle violence. Et si elle n’était malheureusement pas l’apanage de l’extrême droite quand il s’agit de reprocher à la gauche son rapport au peuple créolisé : en 2012, après le discours de Jean-Luc Mélenchon sur la plage du Prado à Marseille, Éric Zemmour disait que ce discours allait le conduire à sa perte car l’on ne pouvait pas « à la fois parler comme Georges Marchais et comme Terra Nova ». Faut-il que, moi aussi, j’use des pires caricatures en affirmant : Ruffin/Zemmour même combat ?
On se contentera donc de rappeler que ce rapport, écrit par des tenants de l’aile droite du Parti socialiste, préconisait d’abandonner les catégories populaires pour se concentrer sur les classes moyennes, les immigrés et les jeunes. Pour construire cette coalition électorale, il était recommandé à la gauche de renoncer à la lutte des classes et à tout projet de rupture avec le capitalisme. Chacun conviendra ici que l’on est assez loin du projet politique porté par la France insoumise, à qui on a plutôt l’habitude de faire le reproche inverse. On saluera au moins l’originalité de la critique.
Moins originale est la critique de la référence au concept de nouvelle France qu’a développé Jean-Luc Mélenchon ces dernières années. On y retrouve ici un mode de pensée réactionnaire, pas très éloigné malheureusement de celui des inventeurs du concept de grand remplacement. Comme si la nouvelle France que nous appelons de nos vœux n’était composée que de nouveaux Français. Comme si la nouvelle France ne se construisait pas avec celle d’avant mais à sa place. Plutôt que d’inventer des propos de Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin aurait dû assister à ses dernières conférences autour du concept de créolisation. Cela aurait moins fait plaisir aux médiacrates, mais lui aurait évité de reprendre les arguments des adversaires historiques de la gauche.
En vérité, ces accusations en disent davantage sur le logiciel de pensée de François Ruffin que sur celui de la France insoumise. En ne comprenant pas que l’action insoumise vis-à-vis des quartiers populaires est une action de classe, il donne à voir sa vision de la classe ouvrière, bien éloignée de la classe ouvrière créolisée de notre pays. En refusant que l’on puisse aussi construire des rapports de classe par la mobilisation des affects, et pas seulement dans la conflictualité capital/travail, il fait preuve d’une conception économiciste du marxisme extrêmement réductrice. En assumant de positionner le racisme en dessous du « social » dans la pile des priorités, il montre son incompréhension de la dimension pleinement sociale de la lutte antiraciste, alors que les effets du racisme se mesurent pourtant dans les conditions de vie au quotidien.
Plus choquant encore, François Ruffin renvoie dos-à-dos la France insoumise et le Rassemblement national à propos des réactions après le meurtre d’un jeune homme dans la Drôme et l’agression raciste d’un jardinier dans le Val-de-Marne. Accusant la France insoumise de n’avoir pas réagi à la première, il la compare au Rassemblement national qui n’a eu aucune réaction à la seconde. C’est d’abord faux. Nombreux sont les dirigeants insoumis à avoir dit leur émotion après le drame de la mort du jeune Thomas à Crépol qui a bouleversé une grande partie de la France. Je le renvoie (par exemple) à mon tweet en date du 24 novembre. Il vaut mieux vérifier ses informations avant de jeter des accusations aussi graves.
Mais surtout, par cette comparaison, François Ruffin alimente la lecture identitaire que la fachosphère a plaquée sur ce double drame. En renvoyant ces deux drames dos-à-dos, on retire à l’agression raciste son caractère raciste. Et on donne l’impression que pour réunir la France, il faudrait taire la dimension raciste de l’agression. Sinon, on se rendrait coupable d’opposer deux France face-à-face. Comme si les racistes et les antiracistes étaient les deux faces d’une même pièce. Comme si la France pouvait se réunir autrement que dans le rejet de la haine de l’autre et dans la recherche permanente de l’égalité entre les êtres humains.
Je ne le crois pas. Nous, les insoumis, nous ne le croyons pas. Et si François Ruffin le pense effectivement, alors il est mieux que nos chemins se soient séparés. Car il y a des pentes qui ne trompent pas. On en connait le point de départ mais pas le point d’arrivée.
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