Après le très attendu sommet des BRICS (Chine, Russie, Inde, Brésil et Afrique du Sud) qui vient de se terminer le 24 août à Johannesburg, est-il trop tôt pour parler, comme le font des commentateurs tels que Pascal Boniface, de l'émergence d'un « anti-G7 » dont l'objectif est clairement de contester l'hégémonie économique et politique des Etats-Unis et d'œuvrer pour un « monde multipolaire » ? Les accents anti-américains n'ont certainement pas manqué, plutôt implicites dans le discours de Xi Jinping mais explicites dans les propos (par vidéo) de Vladimir Poutine, représenté à Johannesburg par le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov en raison du mandat d'arrêt international lancé contre le président russe, accusé de crimes de guerre. Le principal résultat de la réunion a pourtant été l'ajout de six pays au groupe des BRICS, qui devrait doubler de taille avec l'inclusion de l'Égypte, de l'Arabie Saoudite, des Émirats Arabes Unis, de l'Éthiopie, de l'Iran et de l'Argentine. La prédominance des pays producteurs de pétrole parmi les nouveaux pays qui rejoindront le groupe en 2024 n'a pas échappé à l'attention des analystes : avec les nouvelles adhésions, le groupe des BRICS représentera 42 % de la production mondiale de pétrole brut, contre 20 % actuellement. L'accent mis sur les pays riches en énergie semble également cohérent avec l'un des principaux thèmes abordés avant et pendant le sommet - notamment dans l'argumentation de Poutine - comme l'un des principaux objectifs des BRICS : la « dédollarisation » du commerce international.
Une des principales accusations portées contre l'Occident par les représentants des BRICS est que leur domination des structures financières internationales aurait entravé la croissance économique du « Sud global » en lui imposant une sorte d' « apartheid » économique. Notamment en raison du fameux système du « pétrodollar » mis en place par Henry Kissinger et le roi Fayçal de l'Arabie Saoudite suite au premier choc pétrolier de 1973, quand les pays de l'OPEP avaient haussé leurs prix afin de punir les Etats-Unis pour leur soutien d'Israël lors de la guerre de Yom Kippur. L'accord trouvé par la suite entre l'Arabie Saoudite et les USA imposait la pérennisation des transactions internationales de l'or noir en dollars américains, tandis que les Américains fournissaient une aide militaire massive aux Saoudiens. La nouvelle richesse de l'Arabie Saoudite et d'autres pays de l'OPEP en « pétrodollars » acquis grâce à leurs exportations était en grande partie réinvestie dans l'achat des obligations du Trésor américain, finançant ainsi la dette des USA. À cet égard, l'ajout surprenant de l'Arabie saoudite aux BRICS représente un changement radical par rapport aux décennies précédentes de ce « mariage de convenance » entre Riyad sur Washington, même si des signes de changement étaient déjà apparus en 2021 avec la signature par l'Arabie Saoudite d'un accord de coopération militaire avec Moscou. Cette année à Davos, le ministre saoudien des finances avait par ailleurs annoncé que son pays était ouvert aux échanges dans des monnaies autres que le dollar américain.
Il semble donc évident qu'un BRICS composé de 11 membres se caractérisera par un commerce intensif en monnaies locales. La plupart des observateurs semblent pourtant sceptiques quant à la concrétisation d'un projet plus ambitieux (déjà en discussion depuis 2009) : la création d'une nouvelle monnaie mondiale pour défier le dollar. Parmi les sceptiques figure l'ancien économiste en chef de Goldman Sachs, Jim O'Neill, inventeur de l'acronyme « BRIC » dans un document de recherche publié en 2001. O'Neill a qualifié de ridicule l'idée d'une « monnaie d'échange » des BRICS (préconisée notamment par le président brésilien Lula) en raison des intérêts divergents de certains de ses membres, en particulier l'Inde et la Chine.
Néanmoins, la réunion de Johannesburg a été saluée par de nombreux commentateurs des pays des BRICS eux-mêmes comme une étape historique vers un ordre mondial revu et corrigé. L'ajout le plus clairement anti-américain au groupe est l'Iran, dont certains pensent que l'inclusion a été encouragée par la Chine (le plus grand acheteur de pétrole iranien, supposément payé en yuans), ainsi que par la Russie, cherchant comme Téhéran à contourner les sanctions occidentales. Au niveau politique, il serait peut-être simpliste de considérer que les BRICS favorisent les régimes autoritaires par rapport aux démocraties, mais l'exemple iranien montre que les droits de l'homme (et surtout des femmes) ne figurent pas parmi les critères de sélection pour l'adhésion au groupe.
Même en restant très hétéroclite, l'organisation devra de plus en plus compter sur la scène internationale, représentant 36% du PIB mondial (calculé à parité de pouvoir d'achat) avec ses nouveaux membres. Le prochain sommet des BRICS, qui se tiendra en 2024, aura lieu en Russie et Vladimir Poutine devrait y assister en personne.
Peter Bannister
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire