Emprisonne-t-on trop ou pas assez en France ? La réalité des prisons en France est bien plus complexe que cela. Mais il faut commencer par rappeler un chiffre : 72 809. C’est le nombre de détenus en France, et il vient d'atteindre son plus haut niveau historique. Avec en réalité 60 698 places opérationnelles, cela correspond à une densité carcérale moyenne de 120%, selon les derniers chiffres du ministère de la justice. Le précédent nombre le plus élevé (72 575 détenus) remontait à mars 2020, à la veille du premier confinement. Mais, pour lutter contre la pandémie de Covid-19 derrière les barreaux, des milliers de prisonniers avaient alors été remis en liberté de façon anticipée, au grand dam des victimes.
Depuis juin 2020, le nombre de personnes détenues dans l'Hexagone a de nouveau augmenté de 25,3%. Une augmentation qui n'a rien de nouveau : en 40 ans, le nombre de prisonniers en France a déjà plus que doublé. En réalité, 56 prisons affichent déjà une densité supérieure à 150%, et même à 200% dans six établissements pénitentiaires. Bilan : des conditions d’incarcération déplorables. Une situation qui a d’ailleurs amené la France à être condamnée en 2020 par la Cour européenne des droits de l'homme. Il faut imaginer des milliers de détenus à deux ou trois par cellule, certains dormant sur des matelas, avec moins d’un mètre carré d’espace vital par personne, 24 heures sur 24. D’où la nécessité de « lâcher du lest » pour éviter que la cocotte-minute pénitentiaire n’explose.
Qui est en prison ? Avant tout des hommes : seules 3,5% des personnes incarcérées sont des femmes, et 0,8% des mineurs. À noter que plus du quart des détenus (26,9%) ne sont en fait que des prévenus, en attente de jugement, et par conséquent encore présumés innocents. Malheureusement pour eux, la densité carcérale dans les maisons d’arrêt où ils se trouvent, avec les condamnés à de courtes peines, culmine à 142,8%. Par ailleurs, plus d'un détenu sur quatre est de nationalité étrangère : au 1er juillet, sur 72 020 détenus, l'administration pénitentiaire recensait 53 952 Français et 18 068 étrangers. Si le parallèle peut sembler facile, ce chiffre correspond globalement à la surpopulation carcérale. D'autant plus que ces prisonniers purgent leurs peines jusqu'au bout, sauf à accepter une « libération conditionnelle expulsion ».. Quelles sont les origines les plus représentées en détention ? D'abord l'Afrique du nord (2093 Marocains, 1254 Tunisiens, mais surtout 3974 Algériens, chiffre en hausse d'un tiers comparé à 2021). Suivent les délinquants roumains (982), les autres nationalités présentes en prison ne comptant chacune que 250 à 300 de leurs ressortissants derrière les barreaux.
La justice française est-elle laxiste ? Il est vrai que selon l'édition 2022 des chiffres clés de la justice, seulement 21% des 555 078 peines prononcées en 2021 auront été de la prison ferme. En effet, les principales peines demeurent du sursis, des amendes et des travaux d'intérêt général. Seulement 27% des mineurs arrêtés ont été poursuivis l'an passé. Alors que le nombre de places de prison reste toujours largement inférieur aux besoins, 41% des individus condamnés pour des délits en 2021 étaient aussi des récidivistes. Et derrière les murs, les barreaux, que se passe-t-il ? Selon les constats dressés par l'Institut pour la Justice, les parloirs sont bien souvent devenus des salons familiaux, sans surveillance. Les fouilles sont presque interdites et ne peuvent être décidées que par un gradé. Les « projections » de paquets par dessus les murs foisonnent, et la drogue circule librement derrière les barreaux, touchant plus d'un quart de ceux vivant derrière, entre haschich et cocaïne. Quid de la réinsertion ? Avec seulement un détenu sur quatre au travail, notamment faute d'entreprises volontaires, elle est mal engagée... En fait, la quasi-inexistence de toute préparation à la sortie compromet d'emblée tout parcours d’insertion ou de réinsertion.
Et demain ? Rien ne permet de prédire que les choses s'arrangeront. Et ce contrairement aux pays voisins : le taux d’incarcération a baissé de 12,9% en Allemagne, et de 17,4% aux Pays-Bas ces dix dernières années. À l'inverse, à l'horizon 2027, les autorités françaises tablent sur 80 000 prisonniers. Mais où iront-ils donc ? En 2017, lors de sa première campagne présidentielle, Emmanuel Macron promettait la création de 15 000 places supplémentaires. Seules 2000 ont pour l'instant été créées. Quelques centaines seront sans doute livrées d'ici à 2025. Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi le Garde des Sceaux souhaite privilégier les mesures alternatives à l'incarcération, comme l'assignation à résidence ou la surveillance électronique.
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