Les guerres mémorielles font rage dans notre société : elles fracturent au lieu d’interroger, elles induisent des dominations et des humiliations au lieu de permettre plus d’égalité. Pierre Tevanian, auteur de « Politiques de la mémoire » aux éditions Amsterdam, est l’invité de la Midinale.
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Sur le l’importance de la mémoire pour le présent et pour élaborer des projets politiques
« Le présent n’est jamais vécu par un sujet qui serait une page blanche et vierge : son vécu est informé par un passé plus lointain, le sien ou celui de ses ancêtres - c’est le déterminisme. »
« On pourrait m’objecter que la politique, c’est inventer un futur. Mais que l’on soit conservateur ou révolutionnaire, on enracine de toutes les façons son projet politique dans le passé. »
« Sans enracinement dans le passé, la matérialité du projet politique n’existe pas. »
« Il y a soit la mémoire du pire, la mémoire traumatique dominée par la volonté de plus-jamais-ça, soit la mémoire du meilleur qui génère le désir de l’éternel retour. »
« Les utopies politiques viennent de l’imagination qui travaille en assemblant des expériences vécues et des morceaux de réel. »
Sur les discours dominants
« Les discours dominants tenus sur certaines mémoires me posent problème. »
« Il faut penser le pire, c’est-à-dire les épisodes les plus monstrueux de l’histoire de l’humanité pour essayer de ne pas les revivre. »
« Ma motivation première, c’est la colère et le dégout, le besoin viscéral de rétablir des faits quant à ce que j’ai entendu dire. »
« On aurait une société française fracturée et empêchée de se perpétuer par de vilains groupes minoritaires enfermés dans le ressassement de leur passé victimaire : ce discours a envahi l’espace public. »
« Il y a une panique morale des dominants face à une montée en puissance de revendications dites mémorielles pour discréditer les luttes sociales. »
Sur le récit national
« Notre récit national républicain s’assoit sur un certain nombre d’identités. »
« On appelle identité ce qui fait que chaque être humain est ce qu’il est avec une singularité liée à de multiples appartenances à des groupes de personnes. »
« Ce qui construit une identité, c’est le sentiment d’avoir un vécu commun qui s’ancre dans la réalité d’un vécu commun. »
« Emmanuel Macron va honorer un bourreau et un boucher qui a mis à feu et à sang l’Europe, qui a rétabli l’esclavage et qui était antiseptique comme Napoléon. Il va aussi honorer le penseur de l’esclavagisme Colbert, l’apologue du génocide des Arméniens Pierre Loti, Charles Maurras ou Pétain. Au delà de la personne de Macron, il y a aussi tous ces noms de rues, tous ces lieux de mémoires, toutes ces statues, toutes ces commémorations et tous les silences de tous ceux qui sont oubliées : c’est tout cela le récit national dominant, éminemment identitaire. »
« On a une identité blanche catho-laïque des dominants qui a imposé son récit et ses hérosen piétinant une multitude d’autres histoires si ce n'est directement la vérité historique. »
« Il a un discours bête et méchant qui considère que certaines luttes parce que se base sur une genre, une sexualité ou l’appartenance à une minorité ethnique serait identitaire et pas sociale. »
« Ce qui est disqualifié parce que soit-disant identitaire par ceux qui disposent d’une espèce de parasol de l’identité dominante, ce n’est jamais un refus du politique mais ce sont des luttes sociales. »
« Les vertus et usages politiques de la mémoire ne sont pas inventés par les minorités en lutte ou par les ressortissants des mémoires occultées, elles sont inventées par les dominants qui se gargarisent de modèles et de figures tutélaires, assis sur des récits parfois mensongers. »
Sur les discours politiques et le rapport à l’histoire
« Il y a un discours dominant antimémoriel. »
« Les historiens ne sont pas toujours les seuls à faire avancer la vérité historique. »
« Quand les historiens font leur travail avec la rigueur nécessaire, qui produisent de la vérité et du savoir, ont un rôle à jouer. »
« Il faut faire la distinction entre histoire et mémoire parce qu'elle est complètement instrumentalisée par les dominants pour disqualifier les revendications mémorielles. »
« Il y a une opposition binaire entre la morale et la politique : la politique, ça n’est pas de la morale. »
« Quoi que dise Macron, la commémoration n’est pas obligée de se polariser que sur des figures positives. C’est très bien de commémorer aussi le négatif. »
Sur la hiérarchisation des mémoires
« La comparaison n’est pas un crime. Ça nous aide à penser et à mettre en relief des injustices. Mais il y a des risques. »
« Je défends l’idée qu’à un moment donné, ça peut être utile de comparer : jamais pour égaliser par le bas mais pour égaliser par le haut. »
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