BFM, LCI et CNews s’arrachent David Guiraud. À force de punchlines bien senties et de live Twitch, la notoriété du porte-parole jeunesse de la France Insoumise ne cesse de gonfler. Ce fils d'un baron socialiste veut porter la voix des habitants du 93.
Les Lilas (93) – Un taxi affrété par la chaîne de télé LCI vient chercher David Guiraud devant son immeuble. La scène est presque routinière. Les plateaux, voilà déjà plusieurs mois qu’il les enchaîne. Ce samedi matin, à 12h15, le porte-parole jeunesse de la France insoumise (LFI) débat en direct. Au menu du jour, le Covid-19 et l’invasion du Capitole par les supporters de Trump. Le militant de 28 ans s’est imposé comme l’une des voix de gauche les plus présentes sur les chaînes d’information en continu. En général, David Guiraud est mis en minorité face à des polémistes réactionnaires, comme Elizabeth Lévy – rédactrice en chef de Causeur –, Jean Messiha – proche du Rassemblement National – ou des libéraux comme Sylvain Maillard de La République en marche.
David Guiraud « révise » dans le taxi affrété par la chaîne de télé LCI. / Crédits : Nnoman Cadoret
Alors que de moins en moins de personnalités de son bord politique acceptent de s’adonner aux joutes verbales télévisées, où il est réputé difficile d’élever le débat, le collaborateur du député Éric Coquerel occupe le terrain. Sur la banquette arrière du taxi, l’Insoumis de 28 ans recharge ses munitions. Dernier album du rappeur Dinos dans les oreilles, il révise studieusement ses fiches. C’est qu’il a une réputation à maintenir ! « C’est un adversaire que j’ai toujours respecté. Il bosse et connaît ses dossiers », concède le très droitier Jean Messiha. Résultat, sur les réseaux sociaux, ses passages sont viraux. Une notoriété qu’il renforce avec des lives Twitch et Instagram. Portrait d’une des figures montantes de la gauche ln’.
À la télé, skuds et sang-froid
David Guiraud maîtrise l’art de la punchline, compétence requise pour le rythme effréné des débats télé et leurs temps de parole limités. Sur le plateau de LCI, après que l’élue La République en Marche (LREM) Anne Genetet ait défendu l’appel du gouvernement au cabinet privé McKinsey pour gérer la vaccination, il balance :
« Je n’ai pas eu le vaccin contre le Covid, mais je suis vacciné contre la com’ gouvernementale ! »
Il connaît l’importance de la bonne formule, celle qui retient l’attention et déstabilise l’adversaire. « Celle-ci, elle n’était même pas préparée ! Je l’ai notée sur un coin de ma fiche pendant qu’elle parlait », se félicite-t-il après coup. Le risque sur les plateaux TV, c’est d’être anesthésié. « Les conventions sont très intimidantes. Tu penses que tu vas être radical et finalement tu arrives dans une institution où tout le monde est propre sur lui et poli. » Par chance, le militant possède du sang-froid et de la répartie. Cheveux coupés très courts, veste sombre cintrée, il s’est aussi fondu dans le décor, avec la touche qu’il faut pour détonner :
« À la fac, mes camarades me chambraient parce que je ressemblais à un RG. Avec ma tête de baqueux, c’est compliqué de me mettre dans la case du bobo naïf. »
Il a aussi appris à être stratège : « Quand tu es minoritaire, il faut savoir sur quoi tu vas laisser filer ». Et surtout couper la parole au bon moment. « Tu ne peux pas interrompre tout le temps, sinon tu as l’air insupportable. Mais tu ne peux pas non plus laisser quelqu’un comme Jean Messiha dérouler. Sinon, tu peux être sûr qu’il va publier une vidéo dans laquelle il dit qu’il t’a tartiné. »
Justement, lors d’un précédent débat en décembre 2020, cette fois sur CNews, l’indéboulonnable duo Lévy et Messiha est dépité de voir Assa Traoré mise à l’honneur par le Time. Après avoir argumenté en faveur de la militante, David Guiraud les tacles :
« Moi, je bois vos larmes. »
L’expression, très utilisée sur les réseaux sociaux et dans les sphères militantes, l’est beaucoup moins des plateaux télé. « J’ai pensé à Cartman dans South Park », se marre-t-il. « Quand il casse les gens, ou sort des expressions de la vie de tous les jours, ça attire ceux qui ne regardent pas forcément des vidéos de débat politique », analyse sa collègue et amie Manon Monmirel, suppléante d’Éric Coquerel à l’Assemblée nationale.
Viral
Pour toucher le plus de monde possible et faire monter sa propre cote, David Guiraud publie ses passages télévisés les plus incisifs sur ses réseaux sociaux à grand renfort d’emojis. Avec ses 27.000 abonnés sur Twitter, RT assurés ! Sur Insta, il est validé par des comptes à gros chiffres, comme les humoristes Akim Omiri – 157.000 abonnés – et Younes Depardieu – 99.700 abonnées – séduits par son engagement et son second degré. Après son passage dans l’émission diffusée sur Youtube « Salade Tomate Oignon », il a aussi créé des liens avec l’influenceuse Alix Desmoisneaux – 2 millions d’abonnés – qui s’est fait connaître dans l’émission de téléréalité Les Marseillais. « Je ne savais pas que quelqu’un avec cette mentalité pouvait être invité », s’étonne Anis Rhali, comédien adepte des formats courts sur Youtube et Instagram (75.000 abonnés). « D’habitude, je n’en ai rien à foutre de la télé, je les laisse remuer leur caca. Mais voir quelqu’un qui pense à peu près comme moi ça fait du bien ! T’as l’impression qu’il remet un peu de justice là-dedans. »
David Guiraud est désormais un habitué des plateaux de télévision. / Crédits : Nnoman Cadoret
Violences policières, contrôle au faciès, précarité étudiante, David Guiraud porte à la télé et devant des polémistes de droite, des préoccupations d’une partie de la gauche et des jeunes. Une ligne politique très présente sur les réseaux sociaux mais pas tant dans le poste. « Il fait partie de la nouvelle génération de la gauche, celle qui n’entretient aucune ambiguïté sur les questions d’antiracisme, d’islamophobie, sociales et qui, dans le même temps, est moderne sans faire semblant », commente son grand pote Taha Bouhafs, journaliste pour Le Média. Une autre figure montante de cette nouvelle génération de la gauche radicale qu’il connaît depuis la campagne présidentielle de 2017.
Depuis quelques mois, le Lilasien utilise Twitch pour s’exprimer. La plateforme appréciée des gamers attire les politiques. Le patron de la FI Jean-Luc Mélenchon a lancé sa chaîne en juin 2020. Aux États-Unis, Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez et même Donald Trump s’y sont rendus. La différence avec David Guiraud, c’est qu’il connaît la plateforme depuis qu’il est ado. Il lui arrive de parler de violences policières en pleine partie de World of Warcraft. Un intérêt sincère pour les jeux vidéo qui lui permet de toucher un autre public. « Je me suis rendu compte que Twitch était une mine d’or politiquement. Tu peux échanger pendant des heures et interagir facilement. L’univers du gaming, qui peut être viriliste et concentre certains travers de la société, a été très peu investi par la politique », juge ce fan de League of Legends.
Terrain
Le 28 novembre sur BFMTV, le militant commente en direct une manifestation contre la loi sécurité globale. Une vidéo passée à la va-vite retient son attention. « Est-ce qu’on pourrait la repasser ? » La régie obtempère. Sur les images, un manifestant est tiré au sol par un policier. L’animateur et les invités s’aperçoivent qu’un agent met un coup de pied à l’homme inconscient. Ces images ont fait la Une des émissions durant plusieurs jours. L’intervention de David Guiraud aurait par ailleurs entraîné l’ouverture d’une enquête administrative par la Préfecture de police.
Dans le sillage d’Éric Coquerel, le député pour qui il travaille, le militant tente de se connecter au terrain. Le 14 décembre 2020, il l’accompagne à la Cour d’appel de Paris. Ils sont venus soutenir la famille de Gaye Camara, tué par une balle de la police en pleine tête à Epinay-sur-Seine en janvier 2018. L’orateur participe quand il le peut aux rassemblements contre les violences policières. Et le soir même, sur la chaîne RT France, il débat avec un syndicaliste d’Alliance Police nationale sur la question. Il a noté les phrases de Mahamadou Camara, le frère de Gaye :
« C’était un discours hyper puissant. J’essaie toujours d’infuser les idées de ceux qui vivent les situations. »
L’apprenti militant progresse aux côtés de l’ancien conseiller régional d’Île-de-France, Éric Coquerel. « Avec lui, je suis passé des rassemblements avec 800 étudiants aux piquets de grève de travailleurs sans papiers à 6h du matin à l’autre bout de Paris avec dix personnes », raconte David Guiraud. En 2017, après sa campagne pour les législatives, Éric Coquerel est élu député du 93. David Guiraud, M2 de sciences politiques en poche, devient son directeur de cabinet. Depuis le début de leur binôme, le rookie sait jouir d’une grande liberté : la journée en formation politique à ses côtés et sur le terrain, les soirées sur les plateaux télé et en live Twitch en tant que porte-parole LFI. « Il a ce côté “militant de masse” quand il prend la parole, il sait s’imposer en leader », commente son mentor. Celui qui est alors secrétaire national aux relations unitaires du Parti de gauche remarque la maturité politique du jeune homme. « Il n’a pas besoin qu’on lui explique longtemps pour comprendre. C’est un bon soldat : une fois investi dans quelque chose, il va jusqu’au bout de sa mission. Il aurait pu être un “homme d’appareil” au sens strict du terme. » Il ajoute :
« On sent qu’il a baigné dans la politique. »
Tel père tel fils
David est le fils de Daniel Guiraud, maire PS indéboulonnable des Lilas pendant 19 ans. L’année dernière, à 61 ans, il a rendu le tablier et soutenu l’élection de son dauphin. Quand David Guiraud rentrait de l’école, des personnalités socialistes comme Claude Bartolone ou Bertrand Delanoë venaient dîner à la maison. « Je n’ai jamais eu le sentiment de ne pas être à ma place dans ce milieu », reconnait le fils de l’édile. Pour lui, le paternel fait de la politique « à l’ancienne ». Depuis le collège, pas question pour lui de s’intéresser aux affaires de la ville, pour qu’on ne le résume surtout pas à son père. Il pense pourtant que la commune de 23.000 habitants a forgé ses opinions :
« Je ne vais pas me faire passer pour un mec des quartiers, j’ai eu une vie paisible. Mais je suis de Seine-Saint-Denis, je connais les codes et j’ai vu ce que c’était de galérer. »
S’il est biberonné à la politique depuis tout petit, il ne saute véritablement dans le grand bain que plus tard, pendant ses années d’études sur le campus de Tolbiac, haut lieu de la contestation estudiantine. Pendant la campagne de 2012, alors qu’il est en licence d’histoire et de sciences politiques, il se laisse séduire par Jean-Luc Mélenchon. « J’ai été pris dans le truc. » Depuis, sa fidélité pour celui qu’il compare à un Senpai – ces tuteurs dans les manga japonais – est intacte. À l’époque, François Delapierre, cofondateur du Front de Gauche (FdG) décédé en 2015, le prend sous son aile. David Guiraud devient responsable jeunesse du FdG, découvre les mobilisations étudiantes, les assemblées générales (AG) et fait ses premières banderoles avec Antoine Léaument, devenu directeur de la communication de Jean-Luc Mélenchon.
David Guiraud sur le plateau de LCI. / Crédits : Nnoman Cadoret
De ces années, il en a gardé une clique de proches. Il y a Taha Bouhafs, mais aussi Helmi M’Rabet, 24 ans, assistant parlementaire de la députée LFI du Val-de-Marne Mathilde Panot, originaire de Vitry-sur-Seine. Ou l’Auvergnat Amin Ben Ali, 25 ans, également militant à la FI. Une jeunesse de gauche dans le sérail.
Le blanc à la tête de RG qui monte au front pour les racisés
Il est le seul blanc de la bande. « J’ai été contrôlé seulement deux fois dans ma vie. À chaque fois, j’étais avec eux », remarque-t-il. Il a appris les discriminations à leurs côtés. Les quatre inséparables échangent en permanence. « Moi, il m’a encouragé à être plus tempéré, à réfléchir davantage à mes tweets », concède Taha Bouhafs. « De mon côté je l’ai peut-être influencé à taper plus fort ! », « Parfois, il nous appelle et nous demande ce qu’on pense de ça ou ça », complète Helmi M’Rabet. C’est Amin Ben Ali qui lui envoie un texto pour le prévenir du coup de pied policier sur la vidéo diffusée sur BFMTV. « On s’engueule souvent mais sans eux, je n’aurais pas été le même porte-parole. J’aurais eu une manière beaucoup plus politicienne d’aborder les choses », admet David Guiraud, qui poursuit :
« On ne va pas se mentir, c’est parce que je ne vis pas les choses que je supporte l’ambiance des plateaux. »
L’assistant parlementaire, qui passe toujours à l’antenne en dehors de ses heures de travail, est conscient de son rôle. « Si Danielle Obono [députée de la FI dépeinte en esclave par le magazine d’extrême droite Valeurs Actuelles en septembre dernier] disait certaines des choses que je dis, ça ne passerait pas. Moi, je peux éviter les balles. Ça me donne une forme de responsabilité. Je dois faire attention à ne jamais blesser mes proches et ceux avec qui j’ai grandi. »
« On a toujours ce débat sur la nécessité ou non d’aller sur CNews qui est devenu facholand », détaille Helmi M’Rabet. Une question élargie aux chaînes d’info en continu. « Personnellement, vu que les Arabes et les musulmans ne sont pas les bienvenus, je suis plutôt partisan du boycott. Mais David m’a fait réfléchir. » Il poursuit :
« On ne peut pas les laisser parler entre eux, il faut porter une parole contradictoire. Imagine la gueule des plateaux sans lui ?! »
David Guiraud considère qu’en tant que responsable politique, il faut « porter le discours partout ». Il ne s’est fixé qu’une seule limite : débattre avec Éric Zemmour :
« Je ne vais pas discuter avec un mec qui pense qu’on est en guerre civile. »
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