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jeudi 27 février 2020

Trois jours de terreur, de dévastation et de batailles entre hindous et musulmans à New Delhi - le 27.02.2020




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Trois jours de terreur, de dévastation et de batailles entre hindous et musulmans à New Delhi


Sur fond de politique discriminatoire à l’égard des musulmans, des émeutes ont fait 34 morts et 330 blessés dans les quartiers du nord-est de la capitale indienne. L’opposition accuse le parti du premier ministre de conspiration.

Par  Publié aujourd’hui à 06h33, mis à jour à 16h56

Le quartier désert de Chand Bagh, à New Delhi, le 26 février.


Le quartier désert de Chand Bagh, à New Delhi, le 26 février. ISHAN TANKHA POUR "LE MONDE"

Chand Bagh n’est plus que dévastation. Les routes sont impraticables, jonchées de pierres, de débris de verre, de carcasses de voitures ou de motos et d’autres déchets carbonisés, sans doute les restes de magasins mis à sac. De la fumée s’échappe encore des immeubles incendiés. Les rues principales, d’habitude bondées, sont désertes. Tous les rideaux des magasins sont baissés. Seuls des vaches et des chiens errants fouillent dans les poubelles, qui ne sont plus ramassées.
Après trois jours de heurts extrêmement violents entre hindous et musulmans, Chand Bagh, comme les autres quartiers du nord-est de New Delhi (Jafrabad, Maujpur, Babarpur, Brijpuri, Gokalpuri), se réveille douloureusement et compte ses victimes. Le centre de la capitale indienne se situe à une dizaine de kilomètres, relié par une voie rapide de deux fois trois voies, qui porte elle aussi les stigmates des affrontements. La grande station-service, comme la plupart des commerces bordant la route, a été incendiée.
Dense et populaire, Chand Bagh abrite une succession de petites enclaves musulmanes et hindoues que rien ne distingue, sinon les mosquées, les temples et les noms inscrits sur les magasins.

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Les forces de l’ordre, totalement absentes ou inertes jusque-là, ont enfin été déployées, mercredi 26 février, après que le chef du gouvernement de New Delhi, Arvind Kejriwal, a demandé au ministre de l’intérieur d’assurer la paix et l’ordre dans la capitale. La veille, il avait fallu l’intervention nocturne de la justice pour que la police accepte d’assurer le transfert de victimes grièvement blessées, bloquées dans un hôpital local, vers un établissement mieux équipé capable de leur prodiguer les soins nécessaires.

Un blessé à l’hopital Al Hind, dans le nord de New Delhi, le 26 février.
Un blessé à l’hopital Al Hind, dans le nord de New Delhi, le 26 février. ISHAN TANKHA POUR "LE MONDE"

Le calme est revenu. Mais le mal est fait

Des policiers et des paramilitaires, armés de lathis (longs bâtons en bois ou plastique), de mitraillettes et de gilets pare-balles filtrent désormais les entrées dans le quartier et patrouillent, demandant aux habitants qui se hasardent dans les rues de rentrer chez eux.
Le calme est revenu. Mais le mal est fait. New Delhi n’avait pas connu de tels affrontements depuis plusieurs décennies. Comment se relèveront ces quartiers où cohabitent 70 % de musulmans et 30 % d’hindous ? Un dernier bilan, jeudi 27 février, dénombrait 34 morts et 330 blessés, dont beaucoup atteints par balles. Des habitants ont tout perdu, comme ce commerçant à l’entrée de Chand Bagh dont les étals de fruits jonchent le sol. L’intérieur de son échoppe n’est plus qu’une ruine.

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Alors que l’appel à la prière retentit, dans une petite ruelle, devant le seuil de son immeuble, Muhammad Ferman, son fils dans les bras, raconte ces dernières soixante-douze heures de terreur. « J’habite ici depuis vingt ans. Nous n’avions jamais eu de problème. Nous vivions en paix. Dimanche, lundi et mardi, des hindous extérieurs au quartier – ils étaient plusieurs milliers – ont débarqué avec des cocktails Molotov, des pistolets, des sabres et des barres. Nous n’avions que des pierres pour nous défendre. Aucun policier n’est intervenu. »
A ses côtés, Naved Ahmad, un jeune homme, la trentaine, assure que les assaillants étaient des nationalistes hindous issus du parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien) et du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, Association des volontaires nationaux), une organisation ultranationaliste créée dans les années 1920 pour mettre en œuvre l’Hindutva : faire de l’Inde une nation exclusivement hindoue. « Nous avons essayé de protéger nos lieux de culte qu’ils tentaient de détruire. Mais ils nous ont tiré dessus. Les quelques policiers qui étaient là étaient de leur côté. Les attaquants ont brûlé nos Corans et vandalisé les mosquées en chantant Jai Shri Ram” (« Vive le dieu Ram »), un cri de ralliement des nationalistes hindous.

Devant le seuil de son immeuble, Muhammad Ferman (à gauche) raconte ces dernières soixante-douze heures de terreur.
Devant le seuil de son immeuble, Muhammad Ferman (à gauche) raconte ces dernières soixante-douze heures de terreur. ISHAN TANKHA POUR "LE MONDE"

Naved Ahmad habite le long de l’artère principale. Son immeuble a été miraculeusement épargné. Les occupants ont eu le temps d’en protéger l’accès en érigeant de grandes barricades en métal, qui servent habituellement dans les chantiers pour éviter la dispersion des poussières.

Propos haineux

Plus bas, un temple hindou, que l’on devine derrière une grande maison rose, est intact. Mais les enclaves hindoues n’ont pas échappé aux violences. Trois hommes postés devant les grilles d’une ruelle assurent qu’ils ont été agressés par plusieurs centaines de musulmans venus de l’Uttar Pradesh. Une odeur âcre de fumée entoure l’enclave. Une école a été incendiée et éventrée. Les musulmans portent les même accusations, convaincus aussi, que leurs agresseurs venaient de l’Uttar Pradesh.
Chand Bagh se situe à la frontière de cet Etat dirigé par un leader du BJP, Jogi Adityanath, un prêtre hindou fanatique, connu pour sa politique anti-musulmans. Amit Shah, le ministre de l’intérieur, durant la campagne des législatives régionales à Delhi, début février, l’avait fait venir en renfort dans la capitale pour proférer des propos haineux contre les opposants à la loi sur la nationalité adoptée le 11 décembre 2019 par le Parlement indien, qui régularise les immigrés des pays voisins à l’exception des musulmans. Cette réforme a embrasé le pays. Depuis deux mois, dans toute l’Inde, des citoyens manifestent pour défendre les principes de laïcité et d’égalité inscrits dans la Constitution.

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Des blessés à l’hopital Al Hind, dans le nord de New Delhi, le 27 février.
Des blessés à l’hopital Al Hind, dans le nord de New Delhi, le 27 février. ISHAN TANKHA POUR "LE MONDE"

Les violences ont-elles été minutieusement préparées et orchestrées en amont pour transformer cette contestation jusque-là pacifique en un confit intercommunautaire ? L’hypothèse est crédible. Tout a commencé le 22 février, lorsqu’un leader local du BJP, Kapil Mishra, a rassemblé ses partisans dans le nord de New Delhi pour déloger des femmes qui venaient d’investir une route pour protester contre la loi sur la nationalité, à l’image des femmes de Shaheen Bagh, qui bloquent depuis le 15 décembre 2019 une route dans le sud de New Delhi. L’homme avait donné trois jours à la police pour évacuer les contestataires, le temps que Donald Trump achève sa visite en Inde, menaçant dans le cas contraire d’intervenir. Dimanche, alors que le président américain entamait des négociations commerciales avec Narendra Modi, les heurts éclataient.

L’opposition évoque une « conspiration »

Pour l’opposition, les coupables sont désignés. Sonia Gandhi, accuse le BJP d’avoir créé une « atmosphère de peur et de haine » et évoque une « conspiration ». La présidente intérimaire du parti du Congrès a appelé, le 26 février, à la démission du ministre de l’intérieur, « le principal responsable, selon elle, de la situation ».
Mais elle pointe également le rôle du chef du gouvernement de Delhi, Arvind Kejriwal, qui, accuse t-elle, n’a pas pris « les mesures adéquates pour assurer la paix ». « Le gouvernement de Delhi et le ministre du gouvernement central Amit Shah sont tous les deux responsables de cette tragédie dans la capitale. » Arvind Kejriwal, qui n’a pas autorité sur la police, avait demandé au gouvernement de déployer l’armée et d’instaurer un couvre-feu pour ramener la paix dans la capitale.

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Mercredi, dans les différents quartiers nord de la mégapole, des familles, inquiètes pour leur sécurité, ont préféré abandonner leur maison, emportant des valises de vêtements pour rejoindre des parents dans des lieux plus sûrs. Elles espèrent revenir bientôt. Pour ceux qui ont tout perdu, l’avenir est beaucoup plus incertain.

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