Pas question de laisser le trouble s'installer et la contestation prendre de l'ampleur. Alors que le projet de loi asile-immigration est attendu en conseil des ministres en février et promet des débats houleux, le gouvernement s'efforce de calmer la fronde naissante au sein de la majorité.
Fin décembre 2017, des voix se sont élevées dans les rangs des députés de La République en marche (LRM) pour manifester leur inquiétude face à la fermeté du gouvernement en matière de politique migratoire. Des réserves qui s'ajoutaient à la colère des associations contre la circulaire du ministère de l'intérieur demandant aux préfets de recenser les migrants dans les centres d'hébergement d'urgence. Au sein de l'exécutif, les poids lourds ont vite compris que l'immigration pouvait devenir le premier sujet à mettre en péril l'unité de la majorité depuis le début du quinquennat.
" Cela peut créer une profonde ligne de fracture ", redoutait l'un d'eux.
Trois semaines plus tard, on s'active sur le sujet, au gouvernement et à l'Elysée. Le chef de l'Etat s'est emparé du volet international du dossier, avec un voyage thématique en Italie, jeudi 11 janvier. Avant le sommet franco-britannique du 18 janvier, il devrait se rendre le 16 à Calais, où affluent les migrants qui veulent traverser la Manche.
" Les moyens d'améliorer la gestion commune de la frontière à Calais seront évoqués " avec les Britanniques, a précisé l'Elysée.
" Point d'équilibre "Côté gouvernement, on s'attache à dissiper les doutes de la majorité. Le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, est en première ligne. Méthodique, il multiplie les rencontres avec les députés macronistes, qu'il reçoit par petits groupes à son ministère, région par région. Le 4 janvier, une trentaine d'élus franciliens ont été reçus place Beauvau.
Au total, l'entourage de M. Collomb dit avoir
" abordé les enjeux avec une centaine de parlementaires " et organisé pas moins de
" cinquante réunions avec les associations ". Une mobilisation qui ne faiblit pas : mardi soir, le ministre a encore reçu dix députés LRM des commissions des lois et des affaires sociales, chargés de suivre le texte. Et il compte venir s'exprimer devant l'ensemble des 312 députés LRM, lors d'une réunion de groupe à l'Assemblée prévue vers le 20 janvier.
" Collomb est très cash. Il nous a rappelé les enjeux du texte et nous a dit : “Moi, je suis là pour aider le président de la République et pour mettre en œuvre son programme. Nous avons trouvé un point d'équilibre, c'est la seule position tenable” ", rapporte un participant à ces réunions.
Ce " point d'équilibre " vise à améliorer les conditions de l'asile pour les réfugiés éligibles à ce droit et, dans le même temps, à procéder à des reconduites aux frontières pour ceux qui résident en France sans titre de séjour régulier. Avec l'objectif de raccourcir les délais d'instruction des demandes d'asile, alors que plus de 100 000 demandes ont été déposées en 2017, un niveau
" historique " (
Le Monde du 9 janvier).
Equipe de communicationJusqu'ici resté plus en retrait, Edouard Philippe a décidé de prêter main-forte à son ministre de l'intérieur. Après avoir reçu une première fois les associations d'aide aux migrants le 21 décembre 2017, le premier ministre doit à nouveau les accueillir à Matignon jeudi, en présence de M. Collomb et d'Agnès Buzyn, la ministre des affaires sociales, également mise à contribution.
" Ce projet de loi est un texte très important, éminemment politique. Il y a des questions posées, c'est le rôle du premier ministre et du gouvernement d'y répondre ", justifie-t-on à Matignon.
Mais c'est surtout du côté des parlementaires que l'exécutif a décidé de porter son effort. Echaudé par l'attaque de la députée LRM de la Manche Sonia Krimi, qui avait estimé lors des questions au gouvernement, le 19 décembre, que les centres de rétention des demandeurs d'asile étaient
" indignes de notre République ", M. Philippe tente de rassurer les parlementaires de la majorité. Il devait ainsi accueillir une délégation de députés LRM et MoDem mercredi à Matignon, en présence de Richard Ferrand, président du groupe macroniste à l'Assemblée, et de Marc Fesneau, son homologue du parti centriste.
" Nous concertons avant même d'avoir déposé le texte au Conseil d'Etat pour montrer l'ouverture à la coconstruction du texte ", explique un proche de M. Collomb.
Dans cette optique, un groupe de travail interne a été mis en place à la commission des lois. Composé d'une dizaine de députés LRM, il a démarré ses travaux mardi sous la houlette de la présidente de cette commission, la députée LRM Yaël Braun-Pivet.
" L'idée est de travailler le texte en amont, en liaison avec le ministère de l'intérieur, pour aboutir à un texte équilibré ", explique-t-elle.
Dans les mots, l'heure est aussi à la pommade.
" Il est naturel que les parlementaires soient exigeants vis-à-vis du gouvernement. Ils sont là pour ça ", a convenu M. Philippe dans
Le Journal du dimanche, le 7 janvier.
" Si la majorité ne pose pas de questions, on dit qu'elle est godillot. Si elle pose des questions, on dit qu'il y a une fronde. Laissons-la faire son travail ", abonde son entourage, qui réfute tout schisme sur le sujet. A entendre ses proches, le premier ministre compte utiliser la même méthode que celle qui lui a réussi lors des ordonnances de la loi travail ou du dossier calédonien.
" Il reçoit tout le monde, il écoute tout le monde et à la fin, il décide ", résume-t-on à Matignon.
Autre initiative : la mise en place d'une équipe de communication dans les médias pour soutenir le projet. Composé du porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, du délégué général de LRM, Christophe Castaner, ou de la porte-parole du groupe macroniste à l'Assemblée, Aurore Bergé, ce groupe est chargé de défendre le projet de loi dans la presse. Manuel Valls devrait également venir en renfort, avec un rôle informel.
L'argumentaire est déjà rodé pour faire rentrer les députés dans le rang :
" S'attaquer à Collomb, c'est s'attaquer à Macron. " " Le ministre de l'intérieur met en œuvre la politique qui est celle du président de la République. Une politique d'équilibre pour laquelle il est nécessaire d'être solidaires ", met en garde Aurore Bergé.
" Il y a un chemin pour avancer "La volonté du gouvernement d'instaurer un dialogue avec les députés de la majorité semble contribuer à apaiser les troupes.
" La méthode est la bonne. Je sens le premier ministre et le gouvernement dans un état d'esprit constructif ", témoigne le député du Val-d'Oise Aurélien Taché, chargé par le gouvernement d'une mission sur la " refonte " de la politique d'intégration.
" Il y a un chemin pour avancer ", veut-on croire dans l'entourage d'Edourad Philippe.
Reste à voir si cela suffira à apaiser l'ensemble des élus LRM. S'il a lâché du lest, fin décembre, en gommant le concept des " pays tiers sûrs " dans la future loi sur l'asile – qui aurait permis de renvoyer des demandeurs hors d'Europe sans examiner leur dossier en France –, le gouvernement n'entend pas céder de terrain outre mesure. Il ne reviendra pas, par exemple, sur la circulaire Collomb.
" C'est un texte qui nécessite d'être expliqué, mais qui est nécessaire ", justifie l'entourage de M. Philippe. Et M. Collomb affiche toujours sa fermeté. Lors de ses vœux aux gendarmes, le 3 janvier, il s'est félicité de leurs 40 000 interpellations d'étrangers en situation irrégulière réalisées en 2017.
" En 2018, il faudra encore amplifier cette action ", leur a-t-il demandé.
Résultat : la vigilance reste de mise chez certains députés LRM, qui attendent de juger le projet de loi sur pièce.
" Nous devons tenir nos promesses. Il faut garantir le droit d'asile, en gérant cela avec humanité et en mettant l'étranger au centre du dispositif, souligne Sonia Krimi, trois semaines après sa prise de parole remarquée.
Mon rappel reste d'actualité. "
Alexandre Lemarié, Et Cédric Pietralunga
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