La Tunisie est entrée dans une nouvelle phase de turbulences sociales. Dans plusieurs villes du pays et dans certains quartiers de Tunis, des heurts ont opposé manifestants et forces de l'ordre, mardi 9 janvier, pour la deuxième journée consécutive. Un jeune homme avait trouvé la mort lundi à Tebourba, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, en marge d'un rassemblement contre la vie chère, alors que grandit une grogne générale contre le budget d'austérité adopté fin 2017. Les manifestations, émaillées dans certains cas de scènes de pillage de magasins, surviennent dans un contexte social dégradé, où le rebond de l'inflation – 6,4 % en glissement annuel – ajoute aux effets délétères d'un taux de chômage de 15 % (30 % pour la catégorie des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur).
Sept ans après la révolution de 2011, qui avait renversé la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali, la stagnation socio-économique est l'envers du décor d'une transition démocratique qui avait valu à la Tunisie un certain prestige à l'étranger. L'agitation sociale, notamment dans les régions de l'intérieur – historiquement défavorisées par rapport au littoral –, est récurrente comme l'avaient illustré les poussées de fièvre de janvier 2016 ou du printemps 2017.
Volatilité politiqueLa rapidité de la contagion de ces derniers jours présente toutefois un caractère nouveau. Les troubles ont touché quasiment simultanément des quartiers de Tunis – Ettadhamen, El Ouardia – des localités proches de la capitale (Tebourba), des gouvernorats de l'intérieur (Kasserine, Sidi Bouzid, Gafsa) et même des villes du littoral (Gabès, Nabeul). La police a procédé à deux cents arrestations dans la soirée de mardi.
Ces secousses mettent rudement sous pression le gouvernement de Youssef Chahed, nommé en août 2016, dont la marge de manœuvre s'avère limitée. Au plan politique, le premier ministre n'est que mollement soutenu par son parti, Nidaa Tounès, la formation dite " moderniste " alliée aux islamistes d'Ennahda dans la coalition gouvernementale. M. Chahed, placé à la tête du gouvernement par le chef de l'Etat, Béji Caïd Essebsi, a irrité nombre de ses amis en raison des ambitions présidentielles qui lui sont prêtées. En quête de nouveaux soutiens, il a noué une relation de travail privilégiée avec l'Union générale du travail tunisien (UGTT), le principal syndicat du pays. Ce lien ne lui est toutefois guère utile pour apaiser la tension sociale, car nombre de protestataires ne sont affiliés à aucune organisation syndicale. La perspective des élections municipales prévues en mai, premier scrutin local depuis 2011, devrait ajouter à la volatilité du paysage politique en attisant de nouvelles concurrences, y compris au sein de la coalition gouvernementale.
M. Chahed voit en outre sa latitude bornée par des indicateurs financiers au rouge. Alors que dérivent le déficit budgétaire (6,1 % du PIB) et la dette publique, qui frôle les 70 % du PIB, le gouvernement s'est résolu à aggraver la ponction fiscale, en particulier en relevant la TVA. Ajouté à l'inflation importée nourrie par la dépréciation du dinar, qui a perdu le quart de sa valeur par rapport à l'euro en deux ans, ce relèvement de la fiscalité indirecte s'est révélé socialement périlleux en pesant lourdement sur le pouvoir d'achat.
Frédéric Bobin
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