Translate

mercredi 10 janvier 2018

Le CHU de Grenoble vivement critiqué pour son " style de management "


10 janvier 2018

Le CHU de Grenoble vivement critiqué pour son " style de management "

Deux mois après le suicide d'un neurochirurgien, l'établissement hospitalier, épinglé pour sa gestion déshumanisée par le ministère de la santé, va modifier sa gouvernance

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
C'est un état des lieux de douze pages au contenu accablant qui vient raviver le débat sur la souffrance au travail d'une majorité de soignants et d'agents exerçant dans le milieu hospitalier français. Dans un rapport rendu public lundi 8  janvier, le ministère de la santé épingle le CHU de Grenoble pour son fonctionnement entrepreneurial et sa gestion déshumanisée du personnel, qui s'appuieraient trop systématiquement sur des critères de rentabilité liés aux " problématiques budgétaires "" Le style de management, qui maintient de manière permanente une certaine pression sur les équipes et priorise le résultat (…), doit s'infléchir ", préconise son auteur, Edouard Couty, qui a auditionné une trentaine de praticiens et évalué l'organisation de trois services paralysés par des conflits entre médecins.
Missionné par la ministre de la santé, Agnès Buzyn, après le suicide d'un neurochirurgien de 36 ans, retrouvé mort le 2  novembre 2017 dans un bloc opératoire, le médiateur dresse une série de " défauts " de gouvernance à " corriger rapidement " avec l'aide d'un " solide accompagnement extérieur ". Le 19  décembre, devant l'Assemblée nationale, le député isérois (LRM) Olivier Véran – par ailleurs neurologue au CHU – avait interpellé la ministre sur le cas de l'hôpital grenoblois, en proie à de " graves situations de harcèlement ".
Contacté par Le Monde, l'élu explique que " plusieurs dossiers chauds " ont été portés à sa connaissance par des " blouses blanches " désireuses de briser le silence. Et rappelle qu'il n'est pas rare de voir des tensions se cristalliser au sein d'hôpitaux de cette ampleur, où les " décisions de gouvernance sont toujours très raides et pyramidales "." Il ne s'agit pas de cibler des responsabilités, mais de se demander quelle réponse apporter à cette situation qui pourrit la vie des soignants au quotidien ", tempère-t-il.
Depuis, les langues se délient peu à peu au sein de l'hôpital, bousculant les codes d'un milieu où règne la culture du secret professionnel. " Ou l'omerta ", ironise un ancien chirurgien de l'hôpital qui a porté plainte contre X pour harcèlement moral en janvier  2017, près de trois ans après avoir claqué la porte. La semaine dernière, il a détaillé devant la presse sa " mise au placard " après avoir alerté à plusieurs reprises de difficultés d'organisation pesant sur la prise en charge des malades.
Pressions, violences verbales ou humiliations : ces derniers mois, plusieurs soignants ou agents, parmi les 8 000 que compte l'hôpital, ont quitté l'établissement ou sollicité un arrêt maladie, souffrant de burn-out ou éreintés par les tensions quotidiennes affectant les soins. Après le choc provoqué par le suicide du neurochirurgien, la tentative de suicide d'un brancardier, qui s'est ouvert les veines et la gorge dans l'hôpital le 29  décembre 2017, est venue rappeler l'urgence de la situation.
" Discours comptable "Certains praticiens, à l'image de deux pédiatres du service endocrino-diabétologie absentes depuis un mois pour soigner un " épuisement professionnel ", ont pris le parti de s'adresser aux familles de leurs patients, las de ne pas être entendus par leur hiérarchie. Dans un courrier, ils se disent victimes de " maltraitance institutionnelle "et accusent la direction de tenir un " discours comptable ".
" Il manque une attention particulière aux difficultés et aux souffrances des personnels ", confirme le médiateur. Son diagnostic expose le cas de réunions de pôles où les questions de gestion sont " quasi exclusivement " consacrées aux résultats financiers et à la " responsabilisation des équipes au regard de ces résultats "" Le discours gestionnaire (…) n'est compris et admis que lorsque s'est instaurée au préalable une relation de confiance ", souligne-t-il.
Edouard Couty constate également un décalage " trop important " entre " le discours institutionnel et la réalité du terrain ", déjà fragilisé par un contexte économique resserré et un climat général de méfiance apparu en raison d'une communication rompue entre le personnel et sa hiérarchie. " Les informations ne remontent pas du terrain car les temps d'échange informels, ceux qui cimentent les équipes et résolvent les problèmes, n'ont plus lieu ", déplore un responsable syndical. Il décrit un système à bout de souffle et fustige l'inaction de la direction, " restée sourde " aux signaux.
En mai  2017, les syndicats ont obtenu la signature d'un protocole d'accord encadrant la politique managériale après le boycott des instances dans lesquelles ils siègent. Depuis, les réunions pour sa mise en place se font attendre. " La direction soigne des budgets, nous des êtres humains ", martèle le responsable syndical.
Reçue vendredi à Paris par Agnès Buzyn, la directrice générale de l'hôpital, Jacqueline Hubert, s'est vu renouveler la confiance du ministère en échange d'un " plan d'action "qui tiendra compte des recommandations du médiateur. La direction envisage de " modifier profondément " le mode de gouvernance " d'ici deux à trois mois " et se donne cinq ans pour " arriver à une accointance entre les cadres et les chefs de service ", selon une source syndicale.
Benoît Pavan
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire