Le chaos s’est installé en Guadeloupe et en Martinique : grève générale, émeutes, barrages, incendies, pillages, tirs contre les forces de l’ordre et les journalistes… Pour faire face à la guérilla urbaine, Paris a envoyé le 21 novembre une cinquantaine d'agents du GIGN et du RAID en renfort des 2250 policiers et gendarmes présents sur le territoire.
En France métropolitaine, c’était la hausse du prix du carburant et la limitation aux 80km/h qui avaient déclenché la crise des Gilets jaunes. Aux Antilles, les mesures sanitaires contre le Covid, et notamment l’obligation vaccinale pour le personnel soignant, ont fait déborder le vase, et ont ranimé une vieille défiance envers Paris.
La suspension du personnel soignant et des pompiers non vaccinés « ne passe pas ». Leur obligation vaccinale est vécue comme un engrenage : si « on cède pour les soignants, bientôt c’est toute la population qui y sera astreinte » confie un Guadeloupéen au Figaro (23 novembre). « Mon corps n’est pas un vaccinodrome », ajoute-t-il.
La crise sanitaire a jeté du sel sur des plaies anciennes mais toujours ouvertes. De vieux griefs expliquent la colère des habitants des îles. À la défiance qui remonte au lointain passé esclavagiste, s’est ajouté un sentiment de mépris et d’abandon par la métropole. Les inégalités sociales, tant en Guadeloupe qu’en Martinique, se creusent entre salariés du public (dont le salaire est de 30 à 40% supérieur à celui de la métropole) et du privé, et de nombreux travailleurs indépendants, souvent non déclarés qui, lorsqu’ils ne peuvent travailler, ne perçoivent par conséquent ni allocations, ni chômage partiel. La crise sanitaire a accentué la baisse du pouvoir d’achat et le chômage qui touche d’abord les jeunes (55,7% en Guadeloupe, 47,8% en Martinique). Certains quartiers sont privés d’eau potable depuis des années.
Le tout est avivé par les lourdes séquelles physiques et psychologiques de l’empoisonnement des corps et des sols par le chlordécone. L’utilisation de ce pesticide dans les plantations de bananes dans les années soixante-dix a continué d’être autorisée par l’État français jusqu’en 1993, alors que sa toxicité était connue. Cette molécule a pollué les sols et causé de nombreux cancers, de la prostate notamment, dans la population. Ce n’est pas de nature à faciliter l’acceptabilité de la vaccination par la population.
Confronté au double incendie antillais, le gouvernement jette du lest… et de l’argent. Avant de se rendre enfin sur place, dimanche 28 novembre, après deux semaines de chaos dans les îles, le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu a affirmé que le gouvernement était « prêt » à discuter de l'autonomie de la Guadeloupe (proposition que l’opposition de droite a jugé particulièrement malvenue à deux semaines d’un troisième référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie) et a annoncé la création d'emplois aidés pour les jeunes. Précédemment, la gouvernement avait déjà molli sur l’obligation vaccinale des soignants et des pompiers, en ramenant sa mise en œuvre au 31 décembre en Guadeloupe comme en Martinique, en levant la suspension des professionnels récalcitrants, et en rétablissant leur rémunération. Les organisations syndicales, elles, ne mollissent pas : « Hors sujet ! », répondent-elles à propos de l’autonomie de la Guadeloupe ; quant à l’obligation vaccinale, « on ne veut pas d’un report, on veut une dérogation à la loi ! » Le recul du gouvernement et de nouvelles manifestations massives, samedi 27 novembre, veille de l’arrivée du ministre en Guadeloupe, les confortent dans leur détermination à ne céder ni sur le retrait pur et simple de l’obligation vaccinale, ni sur des mesures sociales s’appliquant à toute la société antillaise. Comme le pointe Guillaume Tabard dans son éditorial du Figaro (en lien ci-dessous), « si l’urgence sanitaire est le motif de cette obligation vaccinale, tout report est synonyme d’une mise en danger sanitaire étonnamment acceptée outre-mer alors que l’argument d’autorité reste brandi en métropole. Fermeté en deçà de l’Atlantique, faiblesse au-delà. » Une telle dérogation va à l’encontre du principe d’égalité de l’État.
Mais au fait, l’urgence sanitaire justifie-t-elle vraiment la vaccination obligatoire ? Avec les incertitudes sur l’efficacité voire l’opportunité de vacciner contre le variant Omicron, le doute et la défiance grandissent dans l’opinion des deux côtés de l’Atlantique.
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