Un jour, j’étais une salariée dans un open space. Celui d’après, une salariée en télétravail depuis sa cuisine. Jusque-là, c’était plutôt simple. Mais la transformation finale couvait : me voilà aujourd’hui hybridée. Je vais, je viens. Tantôt assise en tailleur sur mon tapis, ordinateur sur la table basse, tantôt déambulant dans le bel immeuble en verre du quartier d’affaires morne que le journal a investi depuis peu. Hybride, hybridé, hybridation. Les consultants et conférenciers spécialistes du travail n’ont, ces derniers temps, que ce mot à la bouche. Nous ne sommes plus ici ni là, nous flottons entre deux mondes, comme un véhicule hésite entre sa batterie électrique et son réservoir de carburant. Cela pose forcément des questions d’organisation et d’immobilier (que faire de ces bureaux à moitié vides ? Pourquoi ne pas sous-louer le troisième étage ? Est-il vraiment nécessaire d’ouvrir la cantine ?). Je me contenterais d’observer cette mutation d’un air détaché si elle ne posait pas un problème majeur : les réunions de travail ne se tiennent plus en physique (ce qui était très long), ou à distance (ce qui était très froid), mais en « hybride », ce qui est un enfer. Cela donne lieu à des situations absurdes. Dix personnes sont en réunion, dont deux à distance. L’ensemble des participants installés dans la salle de réunion vont passer une heure à regarder l’écran du minuscule ordinateur portable posé sur la table et à lui parler en s’approchant à deux centimètres du micro plutôt que de s’adresser à leurs collègues assis à leurs côtés. Eux vont se livrer à un étrange ballet : au moment de prendre la parole, il faudra se lever pour se mettre dans le cadre de la vidéo, approcher l’écran pour espérer être entendu par les camarades à distance, désespérer de leurs « on t’entend pas » mi-désolés mi-agacés, tirer 25 fils pour récupérer un micro, puis finalement dire deux mots − forcément décevants au regard de l’énergie déployée. Temps perdu : l’éternité. Taux d’essorage à la sortie de la salle : maximum. Si ceci ne plaide pas en faveur des emails, je ne sais pas ce qu’il vous faut. |
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