Angoulême existe-il encore ? Ce vendredi se tient le 48e Festival de la BD d’Angoulême. Ou ce que la pandémie en a laissé. C’est-à-dire uniquement le palmarès, qui sera décerné devant un public clairsemé d’une poignée de journalistes et des lauréats qui voudront et pourront venir. Qui décrochera le Fauve d’Or ?
« Rusty Brown » ?
« Pucelle » ?
« Peau d’homme » ?
« L’Accident de chasse » ? Pour ce qui est des expositions et autres événements, l’organisation espère encore une édition ouverte au public au mois de juin. Un Angoulême sans rhume, une grande première.
Angoulême nous mérite-t-il ? Le festival d’Angoulême, c’est un peu comme si le Salon du livre était l’endroit où l’on décernait Goncourt, Renaudot et co. Un délicat exercice d’équilibriste entre la foire commerciale et les rencontres artistiques. Qu’on l’apprécie ou pas, il a le mérite de fédérer auteurs de BD et professionnels de l’édition, et d’offrir une caisse de résonance au niveau national et international. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si de nombreux auteurs de BD ont profité des projecteurs braqués sur eux pendant cette période pour protester contre leur précarité, déjà mise en lumière par le
« rapport Racine » remis au gouvernement début 2020. Angoulême a
répondu froidement à cet appel au
boycott très suivi, y voyant une
« injustice ». Léger signe de changement de temps : « Une année exemplaire », de Lisa Mandel, est la première BD auto-éditée à figurer dans la sélection officielle depuis une quinzaine d’années.
Angoulême va-t-il tenir le coup ? Ironie du sort, c’est sans doute pendant « BD 2020 », l’année que le gouvernement a voulu consacrer au secteur, qu’il a été le plus mis à mal. Le confinement et la fermeture des librairies a poussé les parrains de l’opération (Florence Cestac, Catherine Meurisse, Régis Loisel et Jul) à s’en désengager. Quant au festival d’Angoulême, il a vu partir Stéphane Beaujean, son directeur artistique depuis quatre ans. Celui qui avait travaillé d’arrache-pied pour faire vivre toutes les formes de BD (notamment le manga) pendant l’événement a été remplacé par rien de moins qu’un triumvirat : Frédéric Felder, Sonia Déchamps et Stéphane Ferrand. Ferrand est vite parti s’occuper à plein de temps du label Vega racheté par Dupuis, tandis que le tandem restant a animé
une cérémonie de présentation en combinaison étanches, garanties anti-Covid. Un dispositif se voulant potache dans lequel ils ont mis toute leur bonne volonté, mais qu’on aurait mal vu Beaujean exécuter.
Angoulême a-t-il encore un sens ? Selon une étude Gfk, la BD a connu une année record en 2020 avec 53 millions d’exemplaires achetés en France (+9 %). Alors qu’
une encyclopédie de la discipline vient de paraître dans la prestigieuse collection Bouquins, les chercheurs s’y intéressent de près et se mettent à
étudier sa place dans l’ensemble du champ littéraire. Dès lors, y a-t-il encore un sens à trier livres et bandes dessinées ? Pourquoi ce distingo entre littérature et « petits miquets » persiste, quand on connaît les qualités littéraires de certains albums ?
Distingué par le prix Goncourt de la biographie 2019, l’érudit et magnifique « Manifeste incertain » de
Frédéric Pajak n’est-il pas un roman graphique ? Dans le monde anglo-saxon, où on a récompensé « Maus » par un Pulitzer,
on ne se l’interdit pas. Voilà une piste pour ne pas enfermer les auteurs de BD… dans des cases.
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