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La Convention citoyenne pour le climat : un joli coup de bluff
Publié le 29/06/2020 à 12:19
Jacques Billard
Jacques Billard, philosophe, agrégé de l’Université, a été directeur d’études à l’IUFM de Paris, inspecteur, professeur de l’Éducation nationale, maître de conférences à Sciences-Po Paris et l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne
Cet article est à retrouver dans le "Carnet des médiologues", où vous pouvez retrouver Régis Debray et sa bande chaque semaine.
Ah ! La belle leçon de « démocratie participative ». Le citoyen a la parole et ce qu’il dit va être traduit en acte « sans filtres » ! Il y a de quoi admirer les virtuoses de la communication politique. Alors, allons-y de nos petites remarques bien mesquines devant la grandeur de l’événement. Pensez, « démocratie participative » ! Respect et chapeau bas. Allons-y quand même.
Un. L’expression « démocratie participative » est un pléonasme. Autant monter en haut ou descendre en bas au jour d’aujourd’hui. Le second terme n’ajoute rien au premier car que peut bien être une démocratie non participative ? Une démocratie dans laquelle le peuple n’aurait pas son mot à dire ?
Deux. Des citoyens tirés au sort, nous a-t-on dit ? 150 membres ont certes été « tirés au sort », toutefois, ce tirage au sort a eu lieu à partir de deux listes, l’une électorale, l’autre des abonnés au téléphone. Or, ces deux listes sont déjà des élaborations et non des listes brutes. Une sélection a donc déjà été effectuée.
Trois. Les « tirés au sort » avaient la possibilité de refuser la mission et, une fois désignés, ils avaient la possibilité de se désister. Un vrai tirage au sort ne permet pas d’échapper à la désignation. Les jurés d’assise, par exemple, n’ont pas cette possibilité.
Quatre. On a pris soin de faire que ces 150 constituent une image de la société française. La répartition en CSP (catégorie socio-professionnelle) a été respectée, tout comme la parité. Là, tout hasard disparaît forcément.
Cinq. Ces 150 ont disposé d’une « gouvernance ». Encore un mot qui dit le contraire de ce qu’il désigne réellement. Une mauvaise langue, qu’on n’écoutera pas, suggérerait : « les 150 ont été cornaqués », sous-entendant qu’ils ont été conduits là où on voulait qu’ils aillent. Encadrés, ils l’ont été, et même, sérieusement. D’abord par le CESE (Conseil économique, social et environnemental) qui est une institution (inutile) de la République. Ensuite par, tenons-nous bien : Thierry Pech ! Celui de Terra Nova, Think tank qui a fourni ses idées à Hollande (favoriser les minorités) et à Martine Aubry (le socialisme du care). Et aussi, car Thierry Pech risquait de ne pas s’en sortir tout seul : Laurence Tubiana. De l’école Jospin. À ces deux monstres sacrés, s’ajoutent pas moins de douze experts. Vient enfin, pour compléter le tout, un « collège de garants ». Grâce à tout ce dispositif, le peuple va enfin pouvoir s’exprimer. On comprend que les Gilets jaunes, qui ne disposaient rien de tout cela, n’aient pas pu s’exprimer librement.
PEUPLE OU EXPERT ?
Un vrai tirage au sort consiste à mettre tous les noms dans un (grand) chapeau dans lequel une main innocente tire 150 fois de suite un petit papier, en remuant le tout avant chaque tirage. Ce n’est pas ce qu’on a fait et qu’on aurait pu faire avec les moyens modernes. On n’a, délibérément, rien laissé au hasard. On a, en fait, constitué ce qu’on appelle en sociologie, un panel, c’est-à-dire une image réduite de la population générale. De plus un assez mauvais panel, car cent-cinquante personnes pour en représenter soixante-six millions d’autres, c’est très insuffisant si l’on veut une marge d’erreur qui rende le résultat crédible. Mais obtenir un résultat crédible, ce n’est pas ce qui a été voulu.
Alors qu’a-t-on voulu faire ? Une seconde mauvaise langue, qu’on n’écoutera pas plus que la première, insinuerait que ces démonstrations de « démocratie participative » n’auraient en fait pour but que de dé-démocratiser la vie publique, que de retirer la parole au peuple pour la laisser aux experts. Cette mauvaise langue ajoute, mezza-voce (c’est de l’italien !) que la quasi-totalité des réformes politiques intervenues depuis quelques dizaines d’années (au moins) consiste à revenir sur les traces de démocratie qui pourraient subsister encore dans notre vie publique.
La dé-démocratisation, voilà le nouveau défi politique.
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