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PORTRAIT
Avrillier, l’irréductible…
Les premiers engagements de Raymond Avrillier datent de la fin des années 60. Depuis, il n’a jamais arrêté. Photo Le DL/Christophe AGOSTINIS
Médiapart organisait, le 7 février 2016, au Palais des sports de Grenoble les "Six heures pour nos libertés". Raymond Avrillier était maire adjoint honoraire de Grenoble. Photo Le DL/ Jean-Benoît VIGNY
Grenoble, le 23 mars 2014, lors du second tour des élections municipales.
Le militant écologiste grenoblois Raymond Avrillier, principalement connu pour avoir provoqué la mise en examen et la condamnation d’Alain Carignon dans les années 90, est encore de nombreux combats.
Pendant longtemps, bien avant 2014 et l’arrivée du “maire à vélo” Éric Piolle, l’écolo grenoblois, c’était lui. C’était lui qu’on faisait applaudir dans les meetings nationaux des Verts et d’EELV… C’était lui, le combattant contre la pollution et la corruption.
Et à chaque fois, dans ces moments-là, alors que des salles entières se retournaient vers lui, on voyait l’homme esquisser un demi-sourire et plisser ses yeux gris glacé. Gêne ou fierté ? Impossible à savoir… On devine toutefois que c’était un peu des deux.
De Carignon aux sondages de Sarkozy…
L’homme reste de toute façon assez mystérieux, même s’il raconte volontiers ses épiques combats judiciaires, les parsemant d’anecdotes compliquées et de petites blagues… Alors, qui est vraiment Raymond Avrillier ?
Si on se fie à sa fiche Wikipédia, on voit qu’il est né le 25 octobre 1947, qu’il est un “militant écologiste français, principalement connu pour avoir provoqué la mise en examen en 1994 et la condamnation d’Alain Carignon, alors maire RPR de Grenoble, et pour avoir ensuite révélé l’affaire des sondages de l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy”.
L’encyclopédie numérique rappelle ensuite ses mandats d’élu municipal et régional entre 1994 et 2008, signale qu’il a été chercheur à l’université et qu’il a publié en 1995, avec Philippe Descamps, l’ouvrage “Le système Carignon”. En revanche, elle passe complètement à côté de ses premiers engagements.
Dès la fin des années 60, le jeune Avrillier est en effet déjà membre de différents comités protestataires, appelés “Anti-intox”, “Vérité justice” ou “Anti-pollueurs”. C’est le temps des premières révélations et dénonciations : production iséroise de défoliants utilisés pendant la guerre au Vietnam, projet d’installation du réacteur nucléaire Thermos en pleine agglomération grenobloise, etc.
De Superphénix aux autoroutes
Ensuite, c’est tout naturellement qu’il s’engage dans la lutte contre Superphénix, la grande centrale nucléaire de Creys-Malville dans le Nord-Isère. Ce sera l’une de ses plus longues et âpres batailles.
Puis, il y aura donc l’affaire Carignon, même s’il n’aime pas qu’on la nomme ainsi.
« Il ne s’agit pas d’une “affaire”, ce n’est pas une faute individuelle. C’est beaucoup plus large. Nous avons révélé un système entier, facilité par la passivité des acteurs de la démocratie et des autorités républicaines de contrôle. Carignon a été le seul à payer, mais il n’était pas seul », souffle-t-il.
Enfin, plus récemment, il y a eu les sondages de l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, puis le dossier - toujours en cours - des nouveaux contrats de concessions autoroutières signés le 9 avril 2015, quand un certain Emmanuel Macron était ministre de l’Économie.
Pour chacune de ces affaires, Raymond Avrillier et ses camarades ont passé des heures et des heures à éplucher tous les documents qu’ils pouvaient obtenir. Et quand ils ne le pouvaient pas, c’est vers la justice qu’ils se tournaient. Encore et encore. Notre petit doigt nous dit que le nom “Avrillier” est bien connu dans les couloirs de la Cada (Commission d’accès aux documents administratifs) ou au conseil d’État…
Alors, qui est-il vraiment ? Un opiniâtre combattant ? Un irréductible ? Un incorruptible ? Ou alors un intransigeant, voire un absolutiste ?
À cette question, ses “ennemis” ou ceux qui ne l’aiment pas trop (il y en a), répondent instantanément que c’est un « obsessionnel », un « fanatique des recours en justice », un « chieur »…
Quant à ceux qui l’aiment (et il y en a aussi), ils parlent de lui comme « un modèle inspirant », « le premier des lanceurs d’alerte ». À peine, soulignent-ils « son côté tatillon ».
Lui, en tout cas, refuse d’être considéré comme un combattant solitaire.
« Oui, il fallait un porte-parole. Je l’ai été, comme d’autres d’ailleurs. Mais seul, on n’arrive à rien. Seul, on ne peut qu’être dans l’incantation stérile. Il ne suffit pas de dénoncer, il faut agir et tenir sur la durée. Et pour gagner, l’action collective prime. Seul, on ne peut rien ».Nul ne détient la vérité et seuls les juges disent la justice, mais chacun peut et doit y contribuer : élève, étudiant, administré, contribuable, usager des services publics ou privés, habitant, locataire, consommateur…
Grenoble le 9 juillet 2018, lors de la conférence de presse de Raymond Avrillier. Photo archives Le DL/ J.-B. V.
<<Nul ne détient la vérité et seuls les juges disent la justice, mais chacun peut et doit y contribuer : élève, étudiant, administré, contribuable, usager des services publics ou privés, habitant, locataire, consommateur…>>
« NUL N’EST IRREMPLAÇABLE »
Aujourd’hui, Raymond Avrillier est encore et toujours dans l’action. Il n’en a pas fini avec l’affaire de l’accord sur les sociétés d’autoroutes. Et s’en prendre à Emmanuel Macron n’a pas l’air de l’effrayer. Il a d’autres dossiers en attente, beaucoup même. Mais il sait bien que, faute de moyens humains et financiers, il finira par en abandonner certains.
« Parfois, je m’aperçois que la jeune génération, même si elle se révolte, ne va pas jusqu’au bout des investigations. C’est vrai que ce n’est pas facile non plus de se battre contre les institutions, les administrations. D’ailleurs, la corruption ne peut exister que par le silence complice de certains ».
Alors pour aider les jeunes à chercher les informations, il les forme. Histoire de passer le relais ? « Nul n’est irremplaçable. Un jour, ils se débrouilleront bien sans moi. En attendant, je les conseille », dit celui qui assiste parfois des journalistes d’investigation parisiens et est très impliqué avec l’association Anticor.
Politiquement, aussi, il se tourne volontiers vers de nouveaux élus. Lui qui ne conçoit pas l’écologique politique sans la lutte sociale, a des messages à passer. Et que leur dit-il, alors ? « Qu’il faut bosser, tout le temps, sans s’arrêter ! Je leur dis aussi qu’il faut savoir écouter ceux qui ne sont pas du même avis que nous. Et que c’est en tenant compte de la pluralité qu’on peut avancer. Je leur conseille également d’être réalistes, pragmatiques et de ne pas croire qu’ils ont la science infuse. Et ça, je le dis même, et surtout, aux élus de la municipalité grenobloise… »
« Parfois, je m’aperçois que la jeune génération, même si elle se révolte, ne va pas jusqu’au bout des investigations. C’est vrai que ce n’est pas facile non plus de se battre contre les institutions, les administrations. D’ailleurs, la corruption ne peut exister que par le silence complice de certains ».
Alors pour aider les jeunes à chercher les informations, il les forme. Histoire de passer le relais ? « Nul n’est irremplaçable. Un jour, ils se débrouilleront bien sans moi. En attendant, je les conseille », dit celui qui assiste parfois des journalistes d’investigation parisiens et est très impliqué avec l’association Anticor.
Politiquement, aussi, il se tourne volontiers vers de nouveaux élus. Lui qui ne conçoit pas l’écologique politique sans la lutte sociale, a des messages à passer. Et que leur dit-il, alors ? « Qu’il faut bosser, tout le temps, sans s’arrêter ! Je leur dis aussi qu’il faut savoir écouter ceux qui ne sont pas du même avis que nous. Et que c’est en tenant compte de la pluralité qu’on peut avancer. Je leur conseille également d’être réalistes, pragmatiques et de ne pas croire qu’ils ont la science infuse. Et ça, je le dis même, et surtout, aux élus de la municipalité grenobloise… »
Èv.M
Par Ève MOULINIER | Publié le 08/06/2019 à 19:00
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