Je m'appelle Yancouba Badji, j’habite au Sénégal, plus précisément en Casamance. Ce qui m’a poussé à prendre les bateaux, c’est que je n’avais plus le choix. Les conditions de vie n’étaient pas favorables. Pourtant, j’étais bon élève à l’école. Mais après le décès de mon père, je n’ai plus eu de soutien. J’ai dû partir en Gambie, pour essayer de me débrouiller là-bas. J’y suis resté pendant 17 ans, à faire des petits boulots pour nourrir ma famille au Sénégal. Mais un beau jour, il a fallu quitter le pays. Tu sais, la traversée de la Méditerranée est terrifiante… Tellement qu’on ne peut pas tout dire devant les caméras. Ce sont des enfants de l'Afrique qui meurent dans le désert, des enfants de l'Afrique qui meurent en Méditerranée. En silence, c’est devenu un cimetière, personne n’en parle. Arrivé en Libye, j’ai été esclave. Je n’ai jamais fait de prison de ma vie, mais en Libye, j’ai été en prison… Une fois, deux fois, trois fois. En Libye, j’ai vu des jeunes filles se prostituer pour avoir à manger, juste pour une baguette. Là-bas, on vendait les gens comme des petits pains. J’ai vu des gens mourir de faim sur les côtes où on attendait que les eaux soient favorables pour traverser. Ce passage par la Libye est une violation des droits humains. Je ne comprends pas comment on peut prendre des personnes, les mettre dans des camions à ordures, les transporter pour après les loger avec des moutons, des brebis ou des chameaux. Je suis resté presque un an en Libye, à me battre pour passer en Italie sans y arriver. À chaque fois, on nous récupérait et on nous entassait dans des bateaux en plastique, qu’ils appellent des zodiacs. On était entassés comme dans des boîtes à sardines. Une fois assis, tu ne peux plus te lever. Ceux qui sont debout doivent se mettre de profil, pour que les autres puissent s’insérer. Vous n’imaginez même pas tout ce qu’on peut éprouver durant ce voyage. Si on veut pisser, on pisse dans le bateau, si on veut chier, on chie dans le bateau. C'est inhumain. 160 personnes entassées dans des bateaux dans lesquels on est persuadé d’être plus proche de la mort que de la survie. J'ai vécu ça quatre fois. Je n'arrivais pas à dormir, je faisais des cauchemars. C’est comme si tu revivais les mêmes scènes. Il y a plusieurs milliers de mes frères africains qui vivent ça et qui en souffrent, tout ça pour vivre un autre calvaire en Europe. Les gens ne comprennent pas vraiment ce qu’on a pu affronter. On sait à quel point il est bon d’avoir son père ou sa mère à ses côtés, et pourtant, on les abandonne. On renonce à notre pays pour affronter la Méditerranée. Mais la mer n’est pas une solution. Attention, je ne dis pas aux jeunes de ne pas voyager. Je pense que tout le monde a le droit de pouvoir voyager dans de bonnes conditions. Mais si les jeunes m’écoutent, je vous en supplie, attendons que nos gouvernements nous apportent des réponses positives sur cette question, parce que cette situation ne peut pas continuer. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire