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jeudi 3 février 2022

Malgré les pressions, la présidente de la Commission toujours aussi opaque sur ses négociations avec les labos le 2.02.2022

 

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EUROPE

Malgré les pressions, la présidente de la Commission toujours aussi opaque sur ses négociations avec les labos



Le refus de la Commission européenne de rendre publics les échanges de SMS entre la présidente et le patron de Pfizer, durant les négociations de contrats pour des vaccins, prouve l’urgence d’une réforme de l’accès aux documents publics. Il risque aussi d’alimenter les théories complotistes sur les vaccins.

Ludovic Lamant

2 février 2022 à 20h04


Les efforts groupés de journalistes, de militant·es d’ONG et de parlementaires depuis le printemps 2021, rejoints depuis vendredi par la médiatrice de l’UE, n’y ont toujours rien fait : personne ne sait si les messages échangés par textos entre Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, et le patron de Pfizer, Albert Bourla, existent encore, ou ont été supprimés par les intéressé·es.

Ces échanges avaient été révélés par une enquête du New York Times du 28 avril 2021, qui décrivait les coulisses de la négociation du contrat de 35 milliards d’euros conclu entre l’UE et le laboratoire pharmaceutique en vue de la livraison de 1,8 milliard de doses supplémentaires pour le vaccin Covid. Après lecture de l’article, un autre journaliste, Alexander Fanta, qui collabore au site spécialisé netzpolitik.org, avait formulé une demande d’accès aux documents, pour connaître le contenu de ces messages.

D’après le règlement n° 1049/2001, n’importe quel citoyen de l’UE dispose d’un accès « le plus large possible » aux documents de la Commission. « Le plus large possible », c’est-à-dire si leur publication ne porte pas atteinte à la sécurité publique, aux affaires militaires ou encore au respect de la vie privée des individus. La Commission a répondu à Alexander Fanta en transmettant uniquement trois documents (un courriel, une lettre et un communiqué de presse qui, tous, avaient déjà été publiés) - et pas un seul SMS.

Le journaliste autrichien s’est alors tourné vers la médiatrice de l’UE, l’ancienne journaliste irlandaise Emily O’Reilly, qui a infligé vendredi un camouflet à la Commission en jugeant qu’il y avait là un cas de « mauvaise administration » : « Aucune tentative n’a été faite pour identifier si les textos en question existaient. » Et de s’en prendre aux méthodes de l’exécutif européen, qui ne répondent pas « aux attentes en matière de transparence et de normes administratives au sein de la Commission ».

Ursula von der Leyen, à Bruxelles le 2 février 2022. © Virginia Mayo / AFP / Pool

D’après l’enquête de la médiatrice, les services de la Commission n’ont à aucun moment demandé, explicitement, aux membres du cabinet d’Ursula von der Leyen de rechercher ces textos. Ils se sont contentés de demander des « documents » soumis aux critères internes d’archivage. Or les textos n’entrent pas, en théorie, dans cette catégorie de « documents » parce qu’ils sont, selon le document de référence de la Commission sur la gestion de ses archives« éphémères ».

Joint par Mediapart, Alberto Alemanno, professeur de droit à HEC et militant de longue date pour davantage de transparence dans les rouages de l’UE, commente : « L’approche de la Commission n’est pas en ligne avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE, qui dit que ce n’est pas le format, mais le contenu, qui compte. » Il insiste : « Que la Commission ait produit ou pas ces informations, si celles-ci sont en sa possession, elles tombent dans le champ du règlement d’accès aux documents de 2001. »  

Du côté de la Commission, la ligne de défense est flottante. D’abord, sur l’éventuelle suppression des SMS envoyés au patron de Pfizer, et leur éventuelle publication pour le grand public, les porte-parole se refusent à tout commentaire : « Nous répondrons à la médiatrice européenne dans le délai qui a été fixé. » Emily O’Reilly, dont les pouvoirs coercitifs sont quasi inexistants, a donné jusqu’au 26 avril à la Commission pour chercher à nouveau les textos.

Sur le débat plus général de l’archivage des textos et autres messages instantanés sur WhatsApp, Signal ou Telegram, au nom de l’intérêt public, la secrétaire générale de la Commission, Ilze Juhansone, s’était déjà justifiée en juillet 2021 « Un SMS ou n’importe quel autre texte issu d’une messagerie instantanée est, par nature, un document éphémère, qui ne contient pas, par principe, d’information importante “concernant une matière relative aux politiques, activités et décisions” de la Commission. » La politique d’archivage de la Commission exclut donc « par principe » les messageries instantanées.

Autre argument parfois avancé par l’institution pour justifier son refus : les SMS s’insèrent dans un espace de réflexion plus vaste, informel, d’échanges téléphoniques, de discussions dans le cadre de réunions de travail qui conduisent ensuite à une prise de décision formelle. C’est pourquoi ils doivent être exclus du champ du règlement de 2001.

L’argument peut toutefois sembler spécieux lorsqu’il est question de la négociation de contrats multi-milliardaires conclus avec des laboratoires, engageant non seulement de l’argent public, mais aussi la santé de centaines de millions d’Européen·nes. D’autant, comme l’ont relevé de nombreux observateurs, que le résultat de la négociation, côté UE, ne fut manifestement pas fameux, puisque le coût de la dose a été relevé de 15,50 à 19,50 euros, pour ce second contrat. En jouant la carte de l’opacité, von der Leyen se trouve accusée d’entretenir les thèses complotistes qui compliquent les politiques de vaccination sur le continent.

En novembre, Věra Jourová, l’une des vice-présidentes de la Commission, a reconnu que l’heure était sans doute venue d’« actualiser les lignes directrices de la Commission » en matière d’archivage, sans dire explicitement si elle souhaitait inclure, ou non, les SMS. Pas plus tard que le 18 janvier, les services de la Commission refusaient encore, en réponse à une question de l’eurodéputée libérale néerlandaise Sophie in 't Veld, de considérer des SMS comme des « documents », justifiant leur effacement systématique.

Pourquoi Ursula von der Leyen n’a-t-elle pas tenu les promesses de transparence du début de mandat ? Parce qu’elle peut se le permettre.

Sophie in ’t Veld, eurodéputée néerlandaise

En novembre, Mediapart et ses partenaires de l’EIC avaient révélé une autre faille de l’archivage des documents en interne : la Commission détruit au bout de six mois des milliers de documents - mails, comptes-rendus de réunions, etc. –, qui n’ont pas été considérés, par les équipes, comme suffisamment « importants » pour être intégrés au registre électronique interne baptisé « Ares ».

Des ONG et des eurodéputé·es réclament depuis plus de dix ans la réforme du règlement sur l’accès aux documents de 2001. Plusieurs moutures n’ont jamais abouti, notamment à cause de l’opposition du Conseil, qui porte la voix des capitales à Bruxelles. « La question est très sensible aussi parce que l’on ne parle pas seulement de donner l’accès à des documents européens, mais aussi des documents nationaux entre les mains des institutions européennes », précise Alberto Alemanno.

Le « delete-gate » [scandale de l’effacement - ndlr], comme certains l’appellent déjà à Bruxelles, intervient après un premier scandale similaire qui avait déjà affaibli la même Ursula von der Leyen. Il avait été établi fin 2019 que des messages provenant de deux de ses téléphones officiels, du temps où elle était encore ministre de la défense en Allemagne, avaient été effacés. Une commission du Bundestag, le Parlement allemand, qui enquêtait sur un scandale de surfacturation au sein de son ministère, avait exigé de lire ces messages - en vain.


Au-delà du cas personnel de von der Leyen, qui révèle ici son goût prononcé pour l’opacité, la question de l’archivage des SMS ne se pose pas, bien sûr, qu’entre les murs de la Commission de Bruxelles. Interrogé sur le sujet lundi en marge d’un déplacement à Paris, le commissaire européen Margaritis Schinás réagissait à sa manière : « Je serais bien étonné de voir un ministre ou un chef de gouvernement publier un SMS. »

Mais Alberto Alemanno n’est pas convaincu par l’argument : « Je ne crois pas que ce parallélisme tienne la route. La Commission gérait ici un contrat négocié pour le compte des États membres. Il s’agit de sa capacité de rendre des comptes, aux États comme aux citoyens. » Le juriste poursuit : « Les administrations au sein de la Commission sont plus transparentes que les administrations nationales. C’est lorsque l’on atteint le niveau politique que les règles ne sont plus appliquées de la même manière. »

Dans une tribune récente, l’eurodéputé Sophie in ’t Veld exhorte le Parlement européen, qui vient d’élire une nouvelle présidente, à se réveiller : « Pourquoi Ursula von der Leyen n’a-t-elle pas tenu les promesses de transparence qu’elle avait formulées en début de mandat [devant le Parlement européen, le jour de son élection – ndlr] ? Parce qu’elle peut se le permettre. Comme beaucoup de dirigeants dans le monde, nous avons laissé beaucoup de marge de manœuvre à la Commission pour gérer la crise. Au cours des deux dernières années, le Parlement européen s’est montré trop coulant avec l’exécutif qu’il est censé superviser, son exécutif protégeant la Commission de toute enquête inconfortable. »

Il n’est pas certain, à ce stade, que la Maltaise Metsola, figure de la droite européenne du PPE, la même formation qu’Ursula von der Leyen, souhaite bousculer son alliée à la tête de la Commission.

Ludovic Lamant




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