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Sep
2016
Et voici le « faucon » Hillary, par Jeet Heer
Source : New Republic, le 07/06/2016
En s’attaquant à l’imprudence de Donald Trump, Clinton s’est trouvée associée à la critique néoconservatrice du président Obama.
Par Jeet Heer | 7 juin 2016
Mardi dernier, dans son discours donné à San Diego sur la politique étrangère « dangereusement incohérente » de Donald Trump, Hillary Clinton a porté un coup décisif à son adversaire Républicain présumé, le mettant sur la défensive et rassurant les Démocrates qui craignaient que Clinton ne puisse pas avoir le courage de se mesurer à Trump. Pourtant, alors que Clinton a qualifié le comportement imprudent et les préférences de politique générale de Trump avec beaucoup d’agressivité et de mordant, les libéraux ont de bonnes raisons de s’inquiéter de l’alternative offerte par Clinton.
Tandis qu’elle se présente elle-même comme l’héritière de Barack Obama et met en avant la fermeté du Président pour donner le feu vert au raid pour tuer Oussama ben Laden, Clinton a également adressé un message clair pour dire qu’elle était, pour de très nombreux points, proche des critiques d’Obama envers les faucons néoconservateurs. Le contraste entre Obama et Clinton était souligné par le discours de politique étrangère du Président qu’il avait prononcé un peu plus tôt ce jour-là, discours qui abordait les mêmes thèmes mais avec une différence frappante dans le ton et la teneur. Les deux discours se devaient d’être complémentaires, mais il y avait suffisamment de différences significatives pour rendre évident le fait que Clinton se dirige vers une présidence beaucoup plus « faucon ».
Obama et Clinton ont affiché, tous les deux, la même position envers Trump (son nom n’a pas été mentionné par Obama mais c’était clair dans les sous-entendus). Tous les deux se prononcèrent contre la vision pessimiste de Trump sur le déclin des États-Unis et affirmèrent que l’Amérique restait une grande puissance et un pilier essentiel pour le maintien de l’ordre international. Mais, en parcourant le discours d’Obama, on percevait une mise en garde contre les dangers d’une politique expansionniste et également une tentative pour tirer une simple leçon des guerres perdues au Vietnam et en Irak : le pays se doit d’être prudent dans l’utilisation de la force militaire.
Les thèmes de la prudence et de la coopération internationale, qui étaient nettement absents du discours de Clinton, semblaient être partout dans celui d’Obama :
Bien évidemment, gouverner avec sagesse signifie aussi résister à la tentation d’intervenir militairement chaque fois qu’il y a un problème ou une crise dans le monde. L’Histoire est jonchée de ruines d’empires ou de nations qui se sont agrandis démesurément, épuisant leur pouvoir et leur influence. C’est la raison pour laquelle nous devons suivre une voie plus sensée. Comme nous l’avons vu au Vietnam ou en Irak, la plupart du temps, le plus grand préjudice porté à la crédibilité américaine arrive quand nous voulons en faire trop, quand nous ne réfléchissons pas aux conséquences de toutes nos actions. Et, ainsi, nous devons retenir l’enseignement de notre Histoire. Et cela signifie aussi que nous devons veiller à nos hommes et à nos femmes en uniforme…
Et on est leader, non pas en imposant sa volonté aux autres nations, mais en travaillant avec eux en tant que partenaires ; en traitant les autres pays et leurs populations avec respect et non pas en leur faisant la morale. Et ce n’est pas uniquement parce que cela doit être ainsi : c’est dans notre propre intérêt. Ainsi, les pays seront plus enclins à travailler avec nous et, au bout du compte, cela accroît notre sécurité.
L’insistance d’Obama pour que l’armée soit la solution de dernier recours montre bien la défense explicite d’une politique sur laquelle lui et Hillary Clinton ne sont pas d’accord, politique concernant la Syrie. « Ma décision de ne pas frapper la Syrie après l’utilisation d’armes chimiques a été contestée par certains à Washington, » explique Obama. « Mais, parce que nous avons saisi l’option diplomatique, appuyée par la menace de notre armée, des nations se sont unies et nous avons réalisé beaucoup plus que ce que nous aurions pu faire avec des frappes militaires : la totalité des armes chimiques stockées par la Syrie a été éliminée avec succès. » Bien sûr, Clinton était partisane d’une plus large intervention militaire en Syrie.
Enfin, Obama s’est enorgueilli d’avoir pris l’initiative du rapprochement vers Cuba et vers le Vietnam, activités diplomatiques que Clinton n’a pas mentionnées, même si elle pouvait prétendre à un certain mérite en tant que Secrétaire d’État d’Obama.
L’axe principal du discours d’Obama était, selon ses propres termes, les avantages de l’utilisation de « la diplomatie, pas la guerre ». Le discours de Clinton a pris une approche très différente. Elle a efficacement critiqué l’inconstance de Trump, mais elle l’a opposé à sa détermination inébranlable et non pas à ses compétences diplomatiques. Lorsqu’il s’est agi de parler d’autres nations, son refrain invariable était qu’elle était suffisamment forte pour les faire plier à la volonté de l’Amérique ; rien sur les inquiétudes d’Obama sur les dangers de « donneur de leçons » aux autres pays.
Quand bien même elle aurait pu s’enorgueillir du succès diplomatique de l’accord nucléaire avec l’Iran, Clinton l’a encadré de termes militaires, assurant à ses auditeurs qu’elle utiliserait la force militaire si l’accord était violé : « Maintenant, nous devons faire respecter rigoureusement cet accord. Et comme je l’ai déjà dit à maintes reprises, notre approche doit être “méfiance et vérification”. Le monde doit comprendre que les États-Unis agissent avec fermeté si nécessaire, y compris par des actions militaires, pour empêcher l’Iran d’obtenir une arme nucléaire. »
Parfois, Clinton s’est trouvée plus à droite que Donald Trump. Ainsi, elle a critiqué Trump pour avoir soi-disant dit « qu’il va rester neutre sur la sécurité d’Israël. » En fait, ce que Trump avait promis, c’était d’être un intermédiaire honnête entre les Israéliens et les Palestiniens dans les négociations de paix, une position également adoptée par Bernie Sanders et conforme à l’opinion traditionnelle en matière de politique étrangère américaine. Clinton a dit que Trump avait trop tendance à aller dans le sens de la Russie et de la Chine, en opposition à sa politique d'”affrontement” avec ces pays.
Pour couronner le tout, Clinton a répété les références aux États-Unis comme un pays « exceptionnel ». « Je crois de tout mon cœur que l’Amérique est un pays exceptionnel, » a déclaré Clinton. Elle a ajouté plus tard, « le réseau américain d’alliés fait partie de ce qui nous rend exceptionnel. »
L’utilisation du mot « exceptionnel » était clairement un coup de sifflet destiné aux néoconservateurs qui ont souvent critiqué Obama pour sa prétendue aversion à l’idée de « l’exceptionnalisme américain » et de l’indifférence supposée au déclin à long terme de l’Amérique. Attirer les néo-conservateurs est un jeu politique intelligent pour Clinton. Beaucoup d’entre eux ont franchement peur des aberrations sur la politique étrangère de Trump et sont réceptifs à voter pour Clinton. Bien que peu nombreux, les néoconservateurs pourraient tirer vers eux un plus grand ensemble de Républicains qui se sentent en décalage avec le Trumpisme.
Si le but des discours d’Hillary Clinton est de gagner sur la droite, cela a clairement marché. Elle a attiré des critiques dithyrambiques de nombreux experts conservateurs. Noah Rothman, qui écrit dans National Review, l’a saluée comme « un défenseur de l’héritage de Ronald Reagan ». Dans le Washington Post, Jennifer Rubin a soutenu : « En somme, son but était de peindre Trump comme une menace pour le pays et elle-même comme un dirigeant posé et expérimenté. Elle a atteint son premier but, et à la surprise de beaucoup de ses détracteurs, a marqué un point de poids contre eux. Cela devrait réconforter des millions de Républicains et d’indépendants qui ne peuvent pas se résoudre à voter pour Trump. » Ces sentiments ont été largement repris à droite.
Mais cela devrait inquiéter les libéraux qui ont soutenu la politique étrangère d’Obama ou qui sont à gauche du président. Dans son discours de San Diego, Clinton n’a assimilé aucune des leçons de la guerre en Irak. A l’écouter, on pouvait conclure qu’élue présidente elle utiliserait plus facilement la force militaire à grande échelle qu’Obama. Alors que la primaire touche à sa fin, les libéraux font face à la sombre réalisation que la seule alternative à l’isolationnisme de Trump est le libéralisme va-t-en guerre de Clinton qui a plus en commun avec le néoconservatisme qu’avec la doctrine de prudente retenue d’Obama.
Source : New Republic, le 07/06/2016
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.