Translate

samedi 12 février 2022

Dix années de désindustrialisation à la sauce Macron..le 11.02.2022

 https://www.mediapart.fr/

INDUSTRIE

Dix années de désindustrialisation à la sauce Macron

L’industrie est le talon d’Achille d’Emmanuel Macron. Car, en ce domaine, son bilan est de dix ans et non de cinq. Et il est tout sauf convaincant.

Martine Orange

11 février 2022 à 19h45

Il est revenu trois fois en cinq ans. Fin novembre 2021, Emmanuel Macron s’est à nouveau rendu à Amiens (Somme) pour voir les anciens ouvriers de Whirpool. Ceux qu’il avait rencontrés entre les deux tours de l’élection présidentielle, en avril 2017. Pas question de tomber dans la démagogie comme François Hollande à Florange, en Moselle, en 2012, s’était-il alors défendu. Mais il avait pris des engagements pour aider à sauver les emplois de Whirpool en particulier, l’industrie en général.

Cinq ans plus tard, alors que l’usine a été fermée, que deux plans de reprise ont échoué, que l’un des repreneurs vient d’être condamné pour abus de bien social et banqueroute, Emmanuel Macron a dû le concéder : « Je me suis fait avoir avec vous. »

Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie dans l’usine de verrerie « Arc International » à Arques (Pas-de-Calais), le 27 juin 2016. © Photo Philippe Huguen / AFP

Emmanuel Macron le sait. L’industrie est son talon d’Achille. D’autant qu’en ce domaine il a un passé et un passif de dix ans et non de cinq.

Dès son arrivée comme secrétaire général adjoint de l’Élysée puis comme ministre de l’économie, il s’est occupé, souvent en sous-main, des grands dossiers industriels et du sort des grands groupes français. Rien n’a changé depuis son arrivée à l’Élysée : c’est au Château que s’arbitrent les grandes décisions industrielles, selon des choix jamais expliqués, et dont on ne sait s’ils procèdent d’Emmanuel Macron lui-même ou du secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler. Au point que cette dyarchie a provoqué des conflits ouverts et publics avec le ministre des finances Bruno Le Maire, comme dans l’affaire Suez-Veolia.

Dix ans d’interventions et de choix, cela laisse le temps d’imprimer une politique. En matière industrielle, son bilan n’est guère convaincant. Pourtant, entre les différents allégements, suppression d’impôt, l’État a versé plus de 60 milliards d’euros par an aux entreprises depuis le début du quinquennat.

Une désindustrialisation continue

C’est la grande victoire proclamée de Bruno Le Maire : l’hémorragie industrielle a été stoppée. « Grâce à notre politique, nous avons réussi à stabiliser l’emploi industriel en France depuis deux ans »dit-il dans Les Échos.

Mais il était difficile de tomber plus bas. En dix ans, l’économie française a perdu plus d’un million d’emplois industriels. La part de l’industrie dans le PIB est passée de 20 % à 10 %. À l’exception de Chypre, de Malte et du Luxembourg, aucun autre autre pays de la zone euro n’affiche un taux aussi bas.

AscovalGM&SDouxSaint Louis SucreRoquette, LuxferArjowiggins, La Chapelle Darblay, BoschFerropem et aujourd’hui les fonderies du Poitou, de MBF, les fonderies de Bretagne, la Société de métallurgie aveyronnaise et tant d’autres… La chronique de cette destruction industrielle sans précédent s’est déclinée ces dernières années en une litanie sans fin. Plus de 100 usines ont été sacrifiées chaque année.

Il a fallu la crise sanitaire du Covid-19 pour que le gouvernement réalise soudain l’ampleur du désastre, prouvant au passage le désintérêt qu’il avait jusqu’à présent porté à la question industrielle. Non seulement Sanofi, censé être le leader mondial des vaccins, n’était pas capable d’en élaborer un, mais le pouvoir découvrait que la France n’était plus en capacité de produire des masques, du gel, des petits matériels médicaux, et même des principes actifs aussi essentiels et basiques que le paracétamol. Sans parler des composants électroniques, des semi-conducteurs, du bois, etc.

Cet affaissement industriel trouve sa traduction dans les comptes de la nation. Alors que la France affichait un excédent commercial jusqu’en 2004, sa situation se dégrade année après année. Les exportations n’ont cessé de baisser en volume et en valeur, tandis que les importations grimpent. Fin 2021, le déficit commercial atteignait 84,7 milliards d’euros. Un niveau jamais atteint.

Évolution de la balance commerciale de 1971 à 2020. © Sources: Insee, DGDDI

Le Monopoly comme stratégie industrielle

Alstom. Le nom lui colle comme un sparadrap depuis des années et Emmanuel Macron ne parvient pas à s’en débarrasser. Car cette affaire est emblématique de toute sa politique industrielle. À la manœuvre dès 2012 à partir des soupentes de l’Élysée, il a œuvré activement au démantèlement accéléré de ce qui fut le premier conglomérat français (CGE puis Alcatel-Alstom). La branche électromécanique d’Alstom a été vendue à GE, et Emmanuel Macron a veillé à neutraliser les rares défenses mises en place par son prédécesseur, Arnaud Montebourg. Alcatel a été cédé au Finlandais Nokia et l’essentiel des emplois détruits. Sans l’opposition de la direction européenne de la concurrence, la partie ferroviaire d’Alstom aurait d’ailleurs été absorbée par l’Allemand Siemens.

En parfait « connaisseur de la grammaire des affaires », Emmanuel Macron n’a jamais eu la moindre critique contre la financiarisation débridée des capitaines d’industrie. Au contraire. Il en épouse toutes les vues : le Monopoly financier – vendre, acheter, fusionner, scinder, démanteler – tient lieu pour lui de stratégie industrielle. Il s’agit toujours de créer un géant mondial, peut-être européen, en tout cas un champion français. Avec à chaque fois des centaines de millions de commissions pour les banquiers d’affaires, les avocats et bien sûr les cabinets de conseil. Et, à chaque fois, des productions délocalisées, des sites fermés, des emplois directs et indirects détruits.

Avec les encouragements de l’Élysée, quand ce n’est pas à son initiative, des groupes entiers ainsi ont été essorés, liquidés pendant cette mandature. Car il n’y a pas eu qu’Alstom. Il convient d’y ajouter Lafarge, Essilor, Rhodia, Suez pour ne citer que quelques noms de groupes privés.

Mais l’État mérite une mention spéciale pour les entreprises dont il est actionnaire. Le secteur de l’énergie, jadis un des points forts de l’économie française, a été particulièrement saccagé. Le groupe parapétrolier Technip est ressorti vidé de sa substance après l’échec, prévisible dès le départ, de sa fusion avec l’Américain FMC. EDF, à qui Emmanuel Macron a imposé d’assumer une partie des pertes liées à la faillite cachée d’Areva, puis la construction de deux EPR sur le site britannique de Hinkley Point, est affaibli, endetté et menacé d’être démantelé pour pouvoir reverser une partie de la rente nucléaire au privé. Quant à Engie, l’ancien GDF, il est vendu à la découpe à Total, Bouygues, Veolia et autres fonds. En attendant que Total, le grand gagnant de cette mise à sac du secteur de l’énergie, rachète les restes de l’ancien monopole public gazier.

Le secteur automobile a été un peu plus préservé. Mais Renault a failli aussi sombrer dans le scandale provoqué par Carlos Ghosn, que les pouvoirs publics ont laissé prospérer pendant des années, bien qu’ils aient été parfaitement informés de la situation. PSA, lui, s’est marié avec Fiat pour créer Stellantis. Et sa première décision a été d’implanter son siège social aux Pays-Bas avec l’assentiment de l’État actionnaire.

Un plan « France 2030 » sans vision

En septembre 2020, le gouvernement, déclarant avoir tiré quelques leçons de la crise sanitaire, annonçait la création du Haut-Commissariat au plan, disparu dans les années 1990. Nommé président, François Bayrou a pour mission « d’éclairer les choix collectifs que la nation aura à prendre pour maintenir ou reconstruire sa souveraineté ».

Un an plus tard, impossible de trouver la moindre trace de l’apport de ce Haut-Commissariat au plan. Il n’a même pas été officiellement associé au plan « France 2030 », censé tracer les pistes de l’avenir et présenté en grande pompe par Emmanuel Macron en octobre 2021. 30 milliards d’euros pour répondre « aux défis de notre temps », pour aider à « l’émergence des futurs champions technologiques », à « la transition de nos secteurs d’excellence que sont l’automobile, l’aéronautique, ou l’espace ». 30 milliards d’euros surtout saupoudrés en de multiples projets, répondant tous à la croyance absolue du numérique, du tout électriquedu nucléaire. Bien entendu, tout est placé sous la responsabilité du privé, l’État n’entendant avoir ni droit de regard ni effet d’entraînement. Et il ne demande aucune contrepartie.

Mais c’est une question d’habitude. L’État a distribué plus de 40 milliards d’euros d’allégements fiscaux et sociaux, d’aides diverses chaque année, sans que les dépenses en R&D n’augmentent, sans que l’investissement productif ne progresse significativement, sans que les productions manufacturières ne montent en gamme, sans que la productivité ne s’améliore.

Ratios des sociétés non financières. © Sources : comptes trimestriels de l'Insee ; en bleu, projections Banque de France

Avec le « quoi qu’il en coûte » adopté depuis le Covid-19, les largesses publiques ont été encore plus abondantes. Sans le moindre contrôle. Alors que les groupes français figurent depuis des années parmi les firmes mondiales qui reversent le plus de dividendes à leurs actionnaires, ils s’apprêtent cette année à battre tous les records : les entreprises du CAC 40 ont prévu de redistribuer 98 % des profits engrangés en 2021. Des profits en partie améliorés grâce aux subsides de l’État.

En dix ans, Emmanuel Macron, qui se voulait le président de la « start-up nation », a surtout conforté les rentes existantes. Au lieu des Gafam, la France a les LHOCK (LVMH, Hermès, L’Oréal, Chanel, Kering), cinq groupes de luxe qui dominent la vie des affaires et le CAC 40.

Martine Orange


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire