« Certains artistes sont du vent », écrit Charles Dantzig dans son dernier livre, « Théories de théories » (Grasset). « Tout ce qu’ils créent est mouvementé comme des nuages, changeant comme un ciel d’Irlande, échevelé comme une bourrasque, titubant comme dans une tempête. » Je me demande quel écrivain pourrait être comparé à une bourrasque. Je pourrais sans doute en citer quelques-uns dont le talent volatil évoque d’assez près la morphologie du courant d’air. Dantzig, est-ce du vent ? Sans doute il plane, mais comment ne pas adorer toutes ses jolies formules. Je me souviens de celle-ci, sur Faulkner, dans son « Dictionnaire de la littérature mondiale » : « Faulkner, c’est comme l’opéra : souvent génial et toujours trop long. »
L’air donc. Charles Dantzig, profession brise légère. Au fait, pour lui, « le plus grand artiste venteux », c’est le Bernin. Peu importe qu’il soit sculpteur, un coup de baguette magique, et le voici écrivain : « Le Bernin est un romancier ». Dantzig serait-il un potier venteux ? Un moraliste, en tout cas, et un encyclopédiste, assurément. Si la Poste n’avait pas augmenté ses tarifs, j’aurais aimé entretenir une correspondance avec lui, que Grasset publierait quand nous serions tous les deux morts. Il y a toujours l’e-mail, mais alors ce ne serait plus une correspondance. Ce serait du ping-pong sans les raquettes.
Comme Charles Dantzig, Michel Schneider est avant tout un grand lecteur. Schneider publie un essai chez Gallimard intitulé « Des livres et des femmes ». Pas sûr d’aimer ce titre. Son côté « Des racines et des ailes », vous voyez. On ne sait pas qui, de Dantzig ou de Schneider, gagne au nombre d’écrivains cités au mètre carré. Mais les deux possèdent l’art subtil de savoir écouter les grandes œuvres. Savoir lire, est-ce savoir exister ? C’est la question que pose Schneider dans son livre. Son hommage final à Jean Starobinski, le grand universitaire suisse dont il dit qu’il était son mentor, est loin de me laisser indifférent. Mon mentor à moi, c’était Jean-Pierre Richard, son complice méridional. Starobinski et Richard : deux merveilleux inventeurs. Deux artistes du siècle passé.
Schneider est-il un écrivain venteux ? Je le sens plutôt du parti de la terre. Lesté. Cet homme a trop de livres dans sa vie. Trop de femmes ? Il pourrait apprendre de Dantzig, libre comme un courant d’air.
Même quand il rend visite à Philip Roth, Schneider se plaint : « Il (Schneider parle de lui à la troisième personne) en rapporta le récit dans lequel, le premier, il annonçait que le grand écrivain américain n’écrirait plus (publié le 27 septembre 2012 sous le titre “Exit Roth ?” dans l’hebdomadaire Le Point, précision nécessaire après de multiples auto-attributions de la primauté de cette annonce fracassante par d’autres médias). » Et, quelques pages plus loin, Schneider remet ça : « L’arrêt de l’écriture qu’il avait annoncé à l’Homme aux livres… » Décidément. Ça le turlupine, cette histoire. Pas très aérien tout ça. L’essai de Schneider est sombre, crépusculaire, hanté. Celui de Dantzig est un nuage en orbite géostationnaire. Dantzig exulte, Schneider déprime. Si vous le croisez dans la rue, n’hésitez pas à lui demander si Philip Roth projette d’écrire d’autres livres. Il a un scoop à ce sujet.
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