La BD, Roselyne Bachelot lui fait sa fête. La ministre de la Culture a une drôle de manière de célébrer le neuvième art, en pleine opération
« Année de la bande dessinée ». Interrogée sur le Pass culture
dans « le Monde », elle déclare ainsi :
« On peut entrer dans la culture par le divertissement ! Par exemple, la bande dessinée permet d’entrer dans la lecture. On peut arriver à lire Kundera en commençant par lire des Astérix ! »Roselyne Bachelot voue une grande passion à Astérix, dont elle a dévoré les albums dans sa jeunesse. Les aventures du petit Gaulois moustachu inventé par Goscinny et Uderzo sont devenues un
cadeau idéal dans sa branche (
« J’offre “la Zizanie” à mes amis qui entrent en politique en disant : “vous avez un viatique, vous allez voir ce qui va vous arriver” ») et une sempiternelle référence (
« Didier Raoult, c’est Astérix contre les Romains », « J’appelle Olivier Véran Jolitorax »)
. C’est donc en toute conscience de l’excellence de cette série qu’elle estime, malgré tout, que la BD représente une sorte de sous-culture, voire un manuel d’apprentissage technique de la lecture. En somme, rien de plus qu’un tremplin vers les hautes sphères intellectuelles. Le roman, lui, irait au-delà du divertissement. Où ? On ne sait pas bien.
Insidieuse, cette petite phrase autour d’une pseudo-hiérarchie entre les domaines artistiques trahit surtout le mépris. De ceux qui font de la BD, et qui, ne cessant d’alerter sur leurs conditions précaires, auraient bien besoin du soutien de leur ministre de tutelle. Mais aussi de ceux qui la lisent, ces affreux jojos abrutis de culture populaire qui stagnent sur la route linéaire qui doit mener de Petit ours brun à Nietzsche.
Il est aussi étrange d’ignorer soixante ans de publication de bandes dessinées. Depuis « Astérix le Gaulois », bien des dessinateurs ont repoussé la limite du médium et certains ont même osé afficher des prétentions littéraires. On serait tenté de recommander à Mme Bachelot la lecture de « Maus » d’Art Spiegelman, mais l’exemple s’est un peu élimé à force d’être employé. En vrac, on conseillera donc « l’Ascension du Haut-mal », « l’Espoir malgré tout », « Moi, ce que j’aime, c’est les monstres », « l’Accident de chasse » et bien d’autres. Et comme légèreté ne veut pas dire frivolité, pourquoi ne pas se marrer un peu avec les BD de Riad Sattouf ou de Fabcaro - « Zaï zaï zaï zaï », voilà un cadeau qui changerait un peu dans les arcanes du pouvoir.
Roselyne Bachelot est peut-être passée à côté de Chris Ware, qui
vient de remporter le Grand Prix d’Angoulême. Cet auteur, à l’origine de quelques chefs-d’œuvre, réinvente le langage de la BD pour le mettre au service de ses histoires sur la mélancolie, les souvenirs et la recherche du temps perdu. Si l’on voulait caricaturer (
même si ça a déjà été très bien fait), on dirait qu’on peut arriver à lire du Chris Ware en commençant par lire Marcel Proust.
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