J’ai compté : depuis la rentrée, nous avons publié
27 articles portant sur ce qu’on appelle « les grands prix d’automne ». D’après mes calculs savants, nous devrions en rédiger au moins 10 de plus d’ici à la fin de la saison, vers la mi-novembre. Or, cet exercice particulier met le journaliste culturel face à un challenge délicat : que raconter de nouveau alors que, liste après liste, les mêmes noms reviennent ? Heureusement, mes années à bourlinguer de Saint-Germain-des-Prés à Odéon m’ont enseigné quelques astuces. Chez moi, aucune sueur froide quand un écrivain tanzanien que personne n’a vu venir
décroche le Nobel, aucun tremblement quand une maison d’édition inconnue de mes services est propulsée dans une sélection.
J’ai en effet mis au point une recette, dont je vous dévoile ci-dessous les ingrédients. Un cocktail de professionnalisme, de références et de sous-entendus, à boire avec modération.
- La technique « Galligrasseuil » : comptabiliser combien de nominations a décrochées une maison d’édition. Toujours signaler quand ce n’est pas un mastodonte, les jurés y étant longtemps restés réticents.
- La technique « Chiennes de garde » : regarder de plus près si le jury a respecté la parité dans sa liste. Car même après le MLF, même après #MeToo, même après l’écriture inclusive, de mauvais élèves subsistent.
- La technique « Bulletin de notes » : déterminer combien de fois un auteur a été nommé dans la même saison. Ce qui donne un indice sur ses chances au Goncourt, le plus prestigieux des prix - ou peut-être pas du tout.
- La technique « Retour vers le futur » : rappeler qui sont les lauréats des années passés. Trois ans déjà que j’utilise le nom de Nicolas Mathieu,
prix Goncourt 2018, à toutes les sauces.
- La technique « 4e de couv’ » : résumer chaque livre nommé. Sur un malentendu, on peut même en avoir lu un.
- La technique « Bave aux lèvres » : Un peu comme les éclipses, les polémiques liées aux prix littéraires se produisent une fois par an. Autant ne pas les rater. En général, chaque prix Goncourt vient avec la sienne. Cette année, c’était les soupçons de favoritisme, dit aussi « l’affaire Camille Laurens », qui a même conduit les jurés à
changer leur règlement. L’année d’avant, la destinée de « Yoga » d’Emmanuel Carrère, sans doute torpillée par
les accusations de son ex-femme. Encore avant, « le Lambeau » de Philippe Lançon
mis hors concours, car jugé comme relevant du récit et non du roman.
Alors que Didier Jacob explique
dans nos pages cette semaine comment le Goncourt pourrait s’inspirer du Booker Prize anglo-saxon et de son jury tournant, je me prends parfois à rêver à un simple changement de forme. Et si le prix Goncourt était décerné au Théâtre du Châtelet, façon César ? Je me vois déjà dans le rôle de la voix off, entonnant de ma plus belle voix de velours alors que Christine Angot est appelée sur scène (scénario complètement fictif) :
« Longtemps reniée par l’establishment littéraire, Christine Angot raconte son histoire dans le poignant “
Voyage dans l’Est”
… » Ou alors des prix qu’on commenterait comme un match de football.
« Alors qu’Abel Quentin vient de sortir du Femina, il est devancé par Mohamed Mbougar Sarr, qui continue sur le Goncourt… et c’est le buuuuuuuuuuuuut » (scénario tout aussi fictif).
En attendant ce jour où les cérémonies de remise de prix seront plus attendues que « The Voice », je demeure une humble journaliste de presse écrite. Qui, avec ses collègues, a pimenté ses
comptes rendus de sélections avec une contrainte oulipienne. Saurez-vous la retrouver ? Si non, réponse la semaine prochaine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire