La scène se passe en marge d'une banale journée de préfète, le 28 septembre 2017. Nicole Klein vient d'accueillir à Nantes, successivement, Brune Poirson, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, puis Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. La première est venue parler d'économie sociale et solidaire, le second de chantier naval. Personne n'évoque le sujet sensible de Notre-Dame-des-Landes. Le gouvernement n'a pas encore tranché le sort du futur aéroport. On sonde la préfète de la région Pays de la Loire et de Loire-Atlantique sur l'issue possible de ce projet, vieux de cinquante ans. " Il y a beaucoup trop de testostérone dans ce dossier ", dit Nicole Klein en plissant ses yeux bleu-vert. Les postures guerrières ne séduisent guère cette femme chargée de déminer l'un des dossiers les plus difficiles pour le gouvernement.
La décision de l'exécutif d'abandonner le projet interviendra quatre mois plus tard, le 17 janvier. Mais la préfète s'est déjà forgé son opinion. Non qu'elle soit contre l'aéroport – elle prononce souvent
" aréoport " comme on dit
" aréopage " –, mais l'histoire n'a que trop duré, et les conditions ne sont plus guère réunies pour réussir le transfert de l'infrastructure de Nantes Atlantique vers Notre-Dame-des-Landes. Une rupture par rapport à l'engagement sans faille de ses prédécesseurs, Christian de Lavernée, puis Henri-Michel Comet.
Nicole Klein n'a pris ses fonctions qu'en février 2017, mais elle connaît parfaitement le dossier. Dix-sept ans auparavant, elle est secrétaire générale de la préfecture de Loire-Atlantique quand le gouvernement socialiste de Lionel Jospin décide de relancer le projet de nouvel aéroport et que débutent les débats sur la déclaration d'utilité publique. Mais quand, à l'automne 2012, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault lance une offensive (avortée) pour évacuer la ZAD – la zone d'aménagement différé devenue " zone à défendre " –, Nicole Klein observe de loin. Elle est alors préfète de Seine-et-Marne.
Cette femme à la silhouette menue, cheveux courts à la teinte cuivrée, a eu d'autres dossiers difficiles à gérer. Nicole Klein, 67 ans – on ne lui fête son anniversaire qu'une fois tous les quatre ans, car née un 29 février –, sort de l'ENA, promotion Fernand Braudel en 1987, puis enchaîne les postes… et les crises. Son souvenir le plus traumatisant fut le 26 juillet 2016, quand elle donna l'ordre, comme préfète de Normandie, de " neutraliser " les deux terroristes auteurs d'une prise d'otages dans l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) et de l'assassinat du père Jacques Hamel.
" Je devais prendre la décision, et quand le directeur de la sécurité vous dit qu'il faut tirer, vous dites oui. Mais je n'oublie pas les corps des deux jeunes, morts, devant moi ", raconte Nicole Klein.
" Extrêmement républicaine "Des drames, elle en connut d'autres : le 3 octobre 1988, des inondations font onze morts à -Nîmes, quand elle est directrice du cabinet du commissaire de la -République dans le Gard. En juin 2011, en Aquitaine, alors qu'elle préside à la préfiguration des futures agences régionales de santé, elle fait face à une grave contamination par la bactérie
Escherichia coli de la population dans la région. Fin août 2015, préfète de Picardie, elle décide de ne pas faire intervenir les forces de l'ordre alors que les gens du voyage occupent l'autoroute A1 pour ne pas risquer un nouveau drame, trois jours après la mort de quatre personnes à Roye (Somme), subissant alors les critiques de la droite et du Front national.
Nicole Klein ne revendique aucun engagement politique.
" Elle est extrêmement républicaine, c'est une femme de gauche, son parcours le montre, mais quand on est préfet, on est préfet. Elle fait un travail remarquable, avec beaucoup de sang-froid, beaucoup de conviction ", dit d'elle le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb.
De Mai 68, elle se rappelle avoir regardé les événements du balcon de l'appartement familial, rue de Bretagne, dans le 3e arrondissement parisien. Elle a alors 16 ans.
" Je lisais “Mémoires d'une jeune fille rangée”, de Simone de Beauvoir, j'adorais ce livre ", -évoque celle qui se revendique
" féministe ".
Avant d'entrer à l'ENA, elle travaille à La Documentation française, de 1976 à 1981.
" On était une petite bande, on avait créé la section CFDT, et Nicoleen était, se souvient Jean-Paul Roux-Fouillet, un ancien collègue.
On avait tous à peu près le même âge, 25 ans, et on organisait des fêtes. " Et de narrer les manifestations où ils allaient ensemble, contre l'attentat antisémite de la rue des Rosiers, en août 1982. De tendance maoïste, il se rappelle d'une Nicole Klein, elle,
" plutôt PSU " (Parti socialiste unifié).
Et c'est sous le gouvernement de Michel Rocard (ex-dirigeant du PSU, rallié au PS), dans le cabinet de Catherine Tasca, à la communication, qu'elle fait ses premières armes.
" Je fais de la politique, mais en servant la République, comme préfète, et on ne peut pas trop se mettre en avant ", avance-t-elle. De son passage au ministère de la culture et de la communication, Nicole Klein a gardé le goût des concerts et du théâtre que son emploi du temps lui laisse peu le temps d'apprécier. Cette femme aux plaisirs simples – un concerto de Mozart, un livre de Stefan Zweig, un œuf à la coque et une compote –, mère de trois enfants trentenaires, a aussi travaillé à la Banque mondiale, au début des années 1990, l'occasion d'effectuer de nombreux voyages en Afrique.
Cette carrière diversifiée l'a probablement préparée à la gestion de Notre-Dame-des-Landes.
" Nicole est une femme avec un immense sang-froid, très humaine et avec une qualité essentielle : le discernement ", estime Nicolas Hulot.
" Même si ce n'est pas elle qui a décidé de l'abandon du projet d'aéroport, elle a joué un rôle important dans la gestion de ce dossier. Elle a toujours essayé de maintenir le dialogue, de faire preuve d'ouverture, et si cela se passe relativement bien, c'est grâce à elle. Elle a ma confiance totale ", résume de son côté Gérard Collomb. Lors d'une réunion des préfets autour de Nicolas Hulot, le 25 avril, ses collègues sont venus
" lui rendre un hommage unanime ", selon un témoin de la scène.
" Faire preuve d'autorité "
" Elle n'est pas autoritaire, mais sait faire preuve d'autorité. C'est une énarque qui sait restituer des dossiers en termes simples, elle attache une grande importance à la communication ", décode Johann Mougenot, son directeur de cabinet. Une qualité exercée alors qu'elle était chef du service de l'information et des relations publiques du ministère de l'intérieur, de 1997 à 2000.
Pressée par ceux qui veulent en découdre avec les zadistes, notamment les partisans de l'aéroport déçus par la décision du gouvernement, elle tempère les ardeurs. Elle déclare la route départementale 281 libérée, quand cabanes et obstacles ornent toujours les pourtours de la route.
" Il n'y a plus de barricades sur le bitume, il est dégagé ", déclare-t-elle sèchement à ceux qui font valoir que la route ne peut être rouverte. Elle se refuse à parler d'évacuation et revendique des
" expulsions ciblées ", se plaignant des va-t-en-guerre, et conjure les zadistes de déposer des dossiers individuels de régularisation, faisant valoir que
" le degré d'exigence est assez peu élevé ". Revendiquant une approche
" pragmatique ", la préfète confie, en privé, son inquiétude d'une opération qui se ferait
" sans discernement " et engendrerait des victimes, sa hantise. Elle essaie de rayer certains sites de la liste des squats à détruire établie par la gendarmerie.
Certains des opposants lui reconnaissent d'ailleurs des mérites, quand d'autres voient en elle la représentante d'un Etat honni.
" Elle nous écoute et essaie d'arranger les choses, coincée entre ceux qui veulent jouer à la guerre dans la ZAD et au gouvernement ", témoigne Sylvain Fresneau, agriculteur opposant historique au projet d'aéroport, qui eut la surprise de voir la préfète venir trinquer avec lui, verre de cidre à la main, à Notre-Dame-des-Landes, le 26 janvier.
" Elle a fait un geste audacieux et réfléchi, en buvant dans un verre siglé “Non à l'aéroport”. “On avait de la chance d'avoir cette préfète”, ont alors dit certains. Mais quand elle a annoncé la fin des expulsions, l'intervention des gendarmes a continué, d'où une méfiance à son égard ", explique Marcel Thébault, autre éleveur historique de la zone. En outre, en 2013, alors qu'elle était préfète de Picardie, l'autorisation du projet d'exploitation bovine industrielle de la ferme dite " des mille vaches ", réduite à cinq cents vaches, fait tache pour les écologistes.
" Le dossier tenait la route administrativement, je n'avais pas à juger le projet ", se défend Nicole Klein, toute à sa mission de servir l'Etat.
Rémi Barroux
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