Nichée au fond d'une baie aux eaux profondes pouvant accueillir des bateaux de croisière, Villefranche-sur-Mer, dans les Alpes-Maritimes, est un bijou de la Côte d'Azur, qui compte 5 000 habitants à l'année et le double en été. La ville est un cadre enchanteur pour villas de milliardaires, où le prix du mètre carré avoisine celui de Paris, et où le taux de logements sociaux est dérisoire : 5,65 %.
Villefranche aurait pourtant dû, entre 2013 et 2016, en construire 210 pour rattraper son retard sur le quota de 25 % du parc de résidences principales qu'impose la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU), applicable à toute commune de plus de 3 500 habitants membre d'une agglomération, en l'occurrence celle de Nice. La ville a pourtant bien besoin de ces appartements HLM pour répondre à la longue liste d'attente de 200 demandeurs, mais elle n'en a produit que 98, soit 46 % de l'objectif.
Le préfet a, en conséquence, prononcé, fin 2017, la carence de Villefranche-sur-Mer – comme celle de 25 autres communes du département –, imposé une pénalité de 205 000 euros (qui écorne un budget global de 10 millions d'euros), confisqué le droit de préemption urbain du maire pour la période 2017-2019, lui fixant, en outre, un nouvel objectif de 173 logements sociaux à créer durant cette période, et lui a retiré son pouvoir d'attribution des logements sociaux, octroyé au préfet lui-même.
Appartements de luxe
" L'Etat a durci sa position et je conteste sa sanction ", plaide Christophe Trojani, maire (LR) et proche d'Eric Ciotti.
" Nous n'avons pas les moyens de construire ces logements ", assure-t-il. Ce professeur de médecine, chirurgien orthopédique réputé exerçant au CHU de Nice, où il est aussi champion et défenseur des dépassements d'honoraires, a, à la surprise générale, ravi en 2014 la municipalité à un autre élu LR, tendance gaulliste, Gérard Grosgogeat, élu et réélu depuis près de vingt ans.
" Sous la précédente mandature, nous avions réussi à créer des logements sociaux, à sortir la municipalité de sa carence, donc à échapper aux pénalités – un exploit sur ce littoral niçois –, et laissé un programme pour réaliser plus de 200 logements sociaux, rappelle Jean-Pierre Mangiapan, élu (LR) de l'ancienne équipe.
Mais M. Trojani laisse, aujourd'hui, filer à dessein toutes les opportunités. "
C'est ainsi qu'il était prévu de démolir le vilain bâtiment de l'ancienne poste et de construire en étages, au-dessus du nouveau bureau et avec le bailleur I3F, une vingtaine d'appartements HLM, mais le maire y a renoncé :
" Ce projet, trop haut, soutient M. Trojani,
ne correspond pas à l'urbanisme de Villefranche. " Autrement dit, l'immeuble aurait bouché la vue sur mer de quelques -riverains.
L'ancien maire avait, de même, inscrit dans le plan local d'urbanisme, toujours en vigueur, une servitude de mixité sociale sur sept parcelles permettant, à l'occasion d'une transaction, de les préempter et d'exiger la création de 100 % de logements sociaux. Hélas, la ville et la métropole de Nice ont " bêtement " laissé passer l'occasion de préempter deux de ces terrains, le 9, avenue Sadi-Carnot et l'Hôtel Riviera, mitoyen, en piteux état. C'est un marchand de biens de Nice qui les a achetés et les transforme aujourd'hui en appartements de luxe, sans permis de construire puisqu'il n'y entreprend que des travaux d'aménagement intérieur auxquels la mairie ne peut pas s'opposer. Il les revendra sans difficulté entre 7 000 et 10 000 euros le mètre carré.
" Le prix de vente et les travaux nécessaires sur ces deux bâtiments auraient porté le prix du mètre carré à 4 500 euros, trop cher pour du logement social dont le prix d'équilibre est plutôt autour de 2 800 euros ", se défend Dominique Estrosi-Sassone, conseillère à la métropole et sénatrice (LR) des Alpes-Maritimes.
La villa César, avenue de Grande-Bretagne, ancienne propriété d'un Irlandais poursuivi pour fraude fiscale, aurait aussi pu être préemptée à l'occasion de sa vente ordonnée par le fisc : là encore, ni la ville ni la métropole ne se sont manifestées, ni n'ont saisi le service des domaines.
" C'est dommage, car la servitude de mixité sociale, dont les Domaines auraient tenu compte, aurait fait baisser le prix ", déplore Jean-Pierre Mangiapan. La villa César, où quinze appartements auraient pu être aménagés, a finalement été vendue à un marchand de biens 2,4 millions d'euros.
Quota augmenté artificiellementLes seuls HLM, d'ailleurs à loyer intermédiaire – plutôt haut de gamme donc –, réalisés par la ville, sont la simple conversion de 54 appartements de militaires dans la résidence Le Rochambeau, sans créer un seul lot et déjà tous occupés, et l'extension de 42 chambres d'un Ehpad, comptant pour autant de logements sociaux. Dans le programme à venir, le maire a l'intention d'ouvrir 102 chambres pour personnes âgées, permettant de porter son quota SRU à 14 % d'un coup, mais de façon artificielle et à moindres frais politiques puisque la mixité sociale à Villefranche ne s'en trouvera guère bouleversée. Ses autres grands projets sont la modernisation d'une maison de retraite en Ehpad de 86 chambres, pour arrondir encore son quota SRU, et un centre de thalassothérapie…
Au total, en huit ans, de 2014 à 2022, seuls 12 nouveaux logements sociaux auront vu le jour, mais le maire se vante, dans sa revue municipale, de parvenir à un taux SRU de 18 %
" par des opérations de requalification et non par de nouvelles constructions ".
" Il est impossible pour les jeunes de se loger : mes enfants ne peuvent pas habiter leur ville ", s'indigne Christine Petruccelli, conseillère municipale d'opposition sans étiquette, membre de l'ancienne équipe.
Isabelle Rey-Lefebvre
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