Deux ans après la mise en place d'un troisième plan de sauvetage de la Grèce concrétisé par la mise à disposition, lors de l'été 2015, d'une ligne de crédit de 86 milliards d'euros par le Mécanisme européen de stabilité (MES), la Grèce semblerait être sur le chemin du redressement économique. Les membres de l'Eurogroupe viennent d'accepter le versement d'une tranche de 6,7 milliards d'euros pour couvrir… le service de la dette, satisfaits qu'Athènes ait voté un budget 2018 reposant sur la prévision d'un excédent budgétaire primaire – c'est-à-dire avant le paiement des intérêts de la dette – de 3,5 %. Dans la foulée, les trois principales agences de notation se sont précipitées pour relever la note du pays, suivant l'argument complémentaire que les créanciers publics de la Grèce (MES, Banque centrale européenne – BCE – et Fonds monétaire international – FMI) allaient accepter une nouvelle restructuration de la dette à l'issue du plan de sauvetage, en août 2018. Sans oublier les propos très rassurants du gouverneur de la banque centrale grecque, satisfait de la disparition des deux déficits jumeaux, le déficit budgétaire et le déficit de la balance des paiements courants. En d'autres termes, il n'y aurait plus de dossier grec…
On peut malheureusement opposer à cette lecture d'autoconviction des données strictement économiques qui corrigent l'optimisme affiché. D'abord, le sauvetage de la Grèce est le résultat d'une succession de prêts à taux voisins de zéro effectués par un fonds européen, le MES, dont les ressources proviennent de l'émission de titres achetés par des investisseurs privés, mais garantis par les Trésors européens. Les prêts du MES représentent 230 milliards d'euros, et bien sûr un volume équivalent de garanties, sur une dette d'Etat de 330 milliards.
Nous sommes désormais dans une problématique de type
" too big to fail " : le défaut de la Grèce conduirait à l'exercice des garanties et donc à la sollicitation du contribuable, politiquement difficile à imaginer. La France assure environ 20 % de la garantie, soit 46 milliards, auxquels s'ajoute un prêt direct de 10 milliards, soit une exposition de près de 60 milliards d'euros. L'argument selon lequel le remboursement des créanciers du MES pourrait se faire, non par un impôt, mais par un endettement qui n'aurait qu'un impact marginal sur le déficit budgétaire en raison du niveau très bas des taux d'intérêt ne tient pas. On démontre facilement que la somme actualisée des intérêts d'une dette perpétuelle est exactement égale au montant de la dette. Ce ne sont certes pas les -contribuables de 2018 qui paieraient, comme dans l'hypothèse de l'impôt, mais toutes les générations futures. C'est le fameux théorème de l'équivalence ricardienne.
Fin du troisième programme d'aideLa sortie de la mécanique qui s'est mise en place repose uniquement sur un excédent budgétaire primaire permettant de rembourser progressivement la dette. Mais contrairement à ce qui est affirmé, les chiffres ne sont pas si rassurants. Si la Grèce a réalisé en 2017 un excédent budgétaire primaire de 1,9 milliard d'euros, ce dernier est en nette baisse par rapport à 2016 (2,8 milliards), et cache surtout un déficit budgétaire total de 4,3 milliards si l'on prend en compte le paiement des intérêts sur la dette existante. Or, la fin du troisième programme d'aide en août 2018 obligera la Grèce à se financer sur le marché financier, où le taux à 10 ans est aujourd'hui voisin de 4 %, ce qui conduira mécaniquement à un accroissement significatif du surplus primaire nécessaire au remboursement de la dette.
Enfin, l'affirmation de la disparition des déficits jumeaux est une formulation rhétorique. La balance des paiements courants accuse en effet toujours un déficit en 2017, estimé à 1,5 milliard d'euros, même s'il est en baisse de 25 %, principalement en raison des recettes du tourisme. Quant au solde budgétaire, il n'est excédentaire que si l'on élimine la charge d'intérêt.
Quel scénario au mois d'août 2018, au moment de l'abandon annoncé des prêts garantis par l'Europe ? On peut envisager trois hypothèses complémentaires. D'une part, un nouveau plan de restructuration de la dette grecque, reposant sur l'allongement de l'horizon de remboursement de la dette existante, procédure strictement équivalente à l'octroi de nouveaux prêts. Rien n'aura alors changé, sinon la cosmétique. D'autre part, le rachat par la BCE de titres grecs aux banques, dans le cadre de sa politique de rachat d'actifs (
" quantitative easing "), permettant ainsi une baisse des taux d'intérêt obligataires et la réduction du coût de financement de la Grèce sur le marché financier. En tant que " prêteur de dernier ressort ", la BCE a le pouvoir de créditer sans limite le compte des banques à la Banque centrale en contrepartie de l'achat d'actifs. Enfin, un prolongement de l'aide du FMI pour couvrir le besoin de financement que les deux premières solutions ne parviendront pas à satisfaire.
La leçon du dossier grec est qu'un emprunteur ne fait défaut que si ses créanciers refusent de lui prêter ce qu'il ne peut rembourser. Et le coût du défaut de la Grèce est tel que ce dernier devient en réalité improbable. C'est certainement ce que savent ceux qui affirment que la Grèce est sortie de la crise.
Didier Marteau
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