Alors que les règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance sont enfin respectées par tous les Etats membres de la zone euro, la France ayant franchi le seuil de référence de 3 % en 2017, il est paradoxal qu'un nombre croissant de voix laisse entendre que ces -règles ne sont plus crédibles. Cette vision prône une réforme de l'union économique et monétaire qui réduirait le rôle du pacte de stabilité et de croissance et attribuerait aux marchés financiers la tâche de discipliner les gouvernements de la zone euro. Si la restructuration de la dette publique était rendue plus facile, voire automatique pour les pays qui demandent le soutien financier du Mécanisme de stabilité européen, les marchés -deviendraient plus prudents pour financer les Etats, nous dit-on. Les Etats seraient ainsi -incités à être plus rigoureux.
Or, c'est une illusion de croire que les marchés financiers soient capables de discipliner les décideurs politiques, ou même que ce soit leur rôle. Les marchés ont tendance à pécher dans la durée par excès de complaisance, et à surréagir ensuite soudainement, en négligeant les fondamentaux sous-jacents. Les marchés peuvent être mani-pulés et évoluer au gré d'anticipations qui s'auto-alimentent, notamment en présence d'une architecture monétaire incomplète.
Une telle réforme serait donc préjudiciable pour tout un ensemble de raisons.
D'abord, même si le seuil de référence d'un ratio de 3 % entre déficit public et produit intérieur brut (PIB) a été souvent franchi depuis l'introduction de l'euro, il ne faut pas oublier que juste dix ans après sa création, la zone euro a été frappée par la récession la plus sévère depuis la seconde guerre mondiale.
Processus désordonnéDix ans après la crise, la zone euro ne s'en sort pas trop mal par rapport aux autres grandes économies avancées. Son déficit budgétaire est descendu sous 1 % du PIB en 2017, contre 5 % aux Etats-Unis, 4,3 % au Japon et 2,1 % au Royaume-Uni. La dette publique a reculé de 4 points sur les trois dernières années, à 87 % du PIB, alors qu'elle continue d'augmenter aux Etats-Unis (108 %), au Japon (240 %) et au Royaume-Uni (89 %). Si la situation varie en fonction des Etats membres, l'endettement s'est dans l'ensemble stabilisé, ou a diminué. Pour ne citer que quelques exemples, la dette a reculé de 2 points de pourcentage en Espagne et de 5 au Portugal depuis 2014. Elle reste -supérieure à 130 % du PIB en Italie.
Ensuite, à l'exception de la Grèce, la crise traversée par la zone euro n'est pas le résultat de politiques budgétaires excessives, mais plutôt du contraire. C'est la crise de la zone euro, elle-même déclenchée par la restructuration de la dette grecque et la perte de confiance des marchés financiers sur l'intégrité de l'union monétaire, qui a fait augmenter les déficits et la dette. La confiance est progressivement revenue après la décision des Etats membres de mettre en place l'union bancaire et l'engagement de la Banque centrale européenne à
" faire tout ce qu'il faut " pour soutenir l'euro.
Troisième argument, le pacte de stabilité et de croissance n'a jamais été conçu comme un ensemble de règles rigides mais, le traité le précise bien, comme une procédure destinée à évaluer si les déficits et la dette sont excessifs. Le seuil de 3 % déclenche une procédure d'appréciation menée par la Commission européenne et les ministres des finances des Etats membres qui en endossent la responsabilité.
Enfin, c'est un artefact théorique de croire que la dette publique des économies avancées peut faire l'objet d'une " restructuration ordonnée ". Comme l'expérience l'a montré, la restructuration de la dette tend à suivre un processus désordonné, avec d'énormes répercussions sur les marchés -financiers et donc sur l'économie réelle, et exige des mesures de politique monétaire extraordinaires pour sortir de la phase de turbulences. La restructuration de la dette publique doit rester un événement exceptionnel – et non automatique comme il fut proposé lors de l'accord de Deauville en octobre 2010 –, mise en œuvre quand la dette n'est plus soutenable et quand le pays n'est plus en mesure de réaliser des actions -correctives sur les dépenses ou les recettes publiques.
Tout pris en considération, la zone euro n'avancera pas en déléguant le contrôle des politiques budgétaires aux marchés financiers. Ce serait non seulement inutile et -potentiellement déstabilisant, mais aussi contraire au principe de responsabilité -démocratique qui sous-tend l'Union européenne. Ce qu'il faudrait plutôt, c'est renforcer les engagements des Etats membres pour poursuivre des politiques économiques convergentes et réformer le cadre institutionnel pour permettre à la zone euro d'être plus résiliente et par là définitivement irrévocable.
Lorenzo Bini Smaghi
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