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jeudi 4 janvier 2018

Les divisions de l'Etat iranien au grand jour




4 janvier 2018

Les divisions de l'Etat iranien au grand jour

Le Guide Ali Khamenei dénonce les manifestations et ses partisans critiquent le président Rohani

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Les manifestants d'Iran ont semblé marquer un temps d'arrêt, mardi 2  janvier au soir, après un rappel à l'ordre sec du Guide suprême, Ali Khamenei, la plus haute autorité du pays, et alors que les forces de sécurité et l'institution judiciaire se disaient prêtes à la plus extrême sévérité.
Au sixième jour de ces rassemblements, entamés jeudi 28  décembre, des regroupements ont eu lieu à Touyserkan, dans l'ouest du pays, où six personnes avaient été tuées dimanche, à Chiraz (centre), à Karadj, ville populaire et de classes moyennes située en périphérie de la capitale, ainsi qu'à Téhéran. Au vu des images postées en ligne par des manifestants, certains étaient de moindre ampleur, dispersés par des policiers relativement peu nombreux. Les autorités n'ont fait état d'aucune victime, après deux nuits violentes – depuis jeudi, les médias d'Etat ont dénombré au moins 21 morts. Un millier de personnes ont été arrêtées en six jours, selon des chiffres officiels, dont 450 à Téhéran, où les rassemblements étaient pourtant moins importants.
A la mi-journée mardi, le Guide, Ali Khamenei, s'était brièvement exprimé pour la première fois sur les manifestations, à l'occasion d'une rencontre avec des familles de vétérans. Tranchant avec l'ouverture manifestée par le président, Hassan Rohani, envers ceux qui expriment dans la rue leur colère face à la stagnation économique et politique du pays, le Guide a mis en garde contre une tentative " d'infiltration " des " ennemis " étrangers de l'Iran, qu'il accuse d'avoir usé " d'argent, d'armes, - d'influence -politique et de leurs services de renseignement " pour peser sur les événements.
Lui emboîtant le pas, l'ensemble des responsables politiques iraniens ont dénoncé les encouragements qu'expriment depuis vendredi aux protestataires le président des Etats-Unis, Donald Trump, et le département d'Etat. Des contre-manifestations organisées par l'Etat dans plusieurs villes du pays ont diffusé, mercredi, ce message éprouvé, en Iran, pour discréditer et effrayer les contestataires. Le principal groupe réformateur, emmené par l'ex-président Mohammad Khatami, qui dispose de peu d'influence sur ces mouvements sans leaders, qui mêlent classes populaires et une partie de la classe moyenne, n'a eu d'autre choix que de condamner " les fauteurs de troubles " et la " profonde duperie " des Etats-Unis. M.  Rohani a demandé au président français, Emmanuel Macron, avec lequel il s'est entretenu mardi par téléphone, d'agir contre les Moudjahidines du peuple, un groupe d'opposition en exil basé en banlieue parisienne, puissant lobbyiste et très actif en ligne, que M. Rohani accuse " d'encourager la violence ".
Perte de confianceAlors que le chef du tribunal révolutionnaire de Téhéran affirmait mardi que les agitateurs pourraient être passibles de la peine de mort, chaque camp tentait d'échapper à la colère de la rue, qui blâme aussi bien le gouvernement que les factions conservatrices, et où certains cortèges n'hésitent pas à chanter des slogans hostiles au Guide. Du côté du gouvernement modéré de M. Rohani, le ministère de l'éducation supérieure a affirmé mardi qu'il entreprendrait des démarches pour que les étudiants détenus sans charges sévères soient libérés, afin qu'ils puissent assister à leurs examens de fin d'année, dans quelques jours.
Les factions conservatrices opposées à M. Rohani, quant à elles, chargeaient un peu plus le président, et ses mauvais résultats économiques. Il avait suscité de fortes attentes dans la population, en promettant une reprise économique, après la signature de l'accord international sur le nucléaire iranien, en juillet  2015, et la levée d'une partie des sanctions internationales. " Le gouvernement -paraît capable de surmonter cette crise, estime l'analyste conservateur Amir Mohebbian. Mais le vrai danger, c'est la perte de confiance des gens dans sa capacité à résoudre leurs problèmes. "
En réalité, cette perte de confiance a été précipitée ces derniers mois par les conflits de plus en plus ouverts entre les deux camps. Des responsables d'institutions étatiques et para-étatiques, de fondations religieuses et caritatives, et une part du clergé n'ont pas digéré la manière dont M. Rohani les a frontalement accusés de piller les deniers publics, en présentant au Parlement son budget pour l'année 2018, en décembre  2017. Dans un effort de " transparence ", M.  Rohani avait " supplié " les parlementaires de l'aider à " réduire " les financements de ces institutions, " dont personnes ne sait qui a la charge ". " Lorsque nous leur demandons où l'argent a été dépensé, ils nous répondent : “Ce n'est pas votre affaire. Vous nous avez donné l'argent. Bonsoir ! Nous le dépenserons comme nous l'entendons.” "
Ces déclarations avaient été suivies d'un rassemblement antigouvernemental, le 28  décembre, à Machhad (est), fief d'une richissime fondation religieuse, Astan-e Qods, que dirige le rival -malheureux de M. Rohani à la présidentielle de mai  2017, Ebrahim Raisi. Son beau-père, principale autorité religieuse de la ville, a été convoqué par le Conseil de sécurité nationale pour qu'il s'explique sur son rôle dans ces manifestations. Il les avait ouvertement soutenues, avec des médias ultraconservateurs. Le mouvement avait dès le lendemain entraîné d'autres mobilisations spontanées à travers le pays, échappant à tout contrôle.
Attaques contre les élitesLa rupture d'une partie de la population avec ses dirigeants de tous bords, qu'expriment les manifestations depuis six jours, a été précipitée par une autre figure conservatrice : l'ex-président populiste Mahmoud Ahmadinejad. Lâché par ses anciens soutiens " ultra ", menacé par la justice et devenu un imprévisible provocateur, celui-ci a multiplié les attaques ces derniers mois contre les " élites " institutionnelles du pays – en premier lieu la famille Larijani, l'une des plus puissantes du pays, dont l'un des membres, allié de M. Rohani, préside le Parlement, tandis qu'un autre a été nommé par le Guide à la tête de l'institution judiciaire.
M.  Ahmadinejad se tient silencieux depuis le début des mouvements de rue, il est largement discrédité auprès du public après neuf ans d'exercice du pouvoir. Mais ses successeurs parmi les factions conservatrices n'ont jamais réussi à rassembler sa base électorale, mise à mal par la politique de rigueur budgétaire de M. Rohani, avide de ses ruées contre l'" establishment ", et saisie par ses provocations contre Ali Khamenei.
Louis Imbert
© Le Monde


4 janvier 2018

Macron appelle à la " retenue ", Le Drian reporte sa visite

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Marquer sa préoccupation sur les risques de répression, tout en gardant le -contact avec le président Hassan Rohani et sans l'affaiblir : l'exercice n'est pas simple pour Emmanuel Macron, qui souhaite se rendre à Téhéran ces prochains mois. Lors d'un entretien téléphonique avec son homologue iranien le 2  janvier dans la soirée, le chef de l'Etat l'a appelé à " la retenue " et à " l'apaisement ". L'entretien était, selon l'Elysée, prévu avant les manifestations.
" Les libertés fondamentales, notamment les libertés d'expression et de manifestation, doivent être respectées ", a insisté le président français, qui, d'un commun accord avec son interlocuteur, a décidé de reporter la visite dans la capitale iranienne que devait effectuer le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, à la fin de la semaine. La maintenir, c'était envoyer le message selon lequel la France soutenait le pouvoir en place face à la rue. D'où ce choix de décaler une nouvelle fois ce voyage, prévu à l'origine fin novembre  2017 mais renvoyé une première fois, sur fond de polémiques entre les deux capitales. Les autorités françaises avaient publiquement alors exprimé leur inquiétude sur " la tentation hégémonique " de l'Iran au Moyen-Orient, et Téhéran avait répondu en accusant Paris de " partialité " en faveur de l'Arabie saoudite.
Déclarations enflammées de WashingtonFidèle à sa stratégie de " parler à tout le monde tout en disant clairement les choses ",Emmanuel Macron veut reprendre langue avec Téhéran et garder l'équilibre, à la différence de ses deux prédécesseurs, qui avaient respectivement privilégié le Qatar, puis l'Arabie saoudite. En septembre  2017, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, à New York, le président français avait déjà rencontré Hassan Rohani, juste après des entretiens avec Donald Trump. Si les autorités françaises veulent préserver l'accord sur le nucléaire iranien de juillet  2015, menacé par l'administration américaine, elles sont conscientes de ses limites. Elles s'inquiètent du programme balistique iranien et des risques de déstabilisation régionale, entraînés par le soutien de  Téhéran au régime d'Assad, au Hezbollah libanais ou aux rebelles houthistes au -Yémen. Elles veulent donc ouvrir des discussions sur ces thèmes, qui sont aussi au cœur des préoccupations de l'administration américaine et d'Israël, tout en continuant la normalisation avec Téhéran. C'est  le sens de la visite que veut effectuer Emmanuel Macron dans la capitale iranienne, la première d'un chef d'Etat ou de gouvernement d'un grand pays occidental depuis la révolution islamique en  1979.
La montée de la contestation et les risques d'une répression très dure compliquent beaucoup la donne. Les Européens, notamment la chef de la diplomatie de l'UE Federica Mogherini, qui avait parrainé l'accord sur le nucléaire de 2015, restent aussi très prudents dans leur réaction, espérant que " le droit à la manifestation pacifique et la liberté d'expression seront garantis, à la suite des déclarations publiques du président Rohani ". Mais l'administration américaine continue de multiplier les déclarations enflammées de soutien à la contestation. L'ambassadrice américaine à l'ONU, Nikki Haley, a annoncé que les Etats-Unis vont demander une réunion d'urgence du Conseil de sécurité tout en saluant le " courage " des manifestants et récusant toute accusation d'ingérence.
Marc Semo
© Le Monde

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