samedi 28 octobre 2017

Venezuela : le prix Sakharov pour une opposition désunie

28 octobre 2017.

Venezuela : le prix Sakharov pour une opposition désunie

Les eurodéputés distinguent l'Assemblée nationale, privée de son pouvoir législatif, et les prisonniers politiques

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
C'est un succès international pour l'opposition vénézuélienne qui, jeudi 26  octobre, s'est vu décerner le prix Sakharov 2017 " pour la liberté de l'esprit ". Le Parlement européen a choisi d'attribuer la distinction à l'Assemblée nationale vénézuélienne – où l'opposition est majoritaire – et aux prisonniers politiques. " La communauté internationale reconnaît notre peuple ", s'est réjoui, sur Twitter, Julio Borges, le président de l'Assemblée.
Cette reconnaissance internationale intervient alors que l'opposition se déchire et que la Table de l'unité démocratique (MUD), la coalition qui réunit tous les partis antichavistes, menaçait jeudi d'exploser. " C'est évidemment important que les eurodéputés expriment leur soutien au pouvoir parlementaire, juge Elsa Cardozo, professeur de relations internationales à Caracas. Leur appel implicite à l'unité des forces démocratiques ne l'est pas moins. "
La victoire écrasante du Parti socialiste (PSUV) aux élections régionales du 15  octobre a avivé les divisions de l'opposition. Vingt-trois postes de gouverneur étaient en jeu, la MUD n'en a remporté que cinq. Le scrutin a été marqué par des accusations de fraude et une forte abstention des électeurs d'opposition. L'échec des violentes manifestations du printemps, qui ont duré quatre mois et fait croire à certains que la fin du régime était proche, explique en partie cette démobilisation et le discrédit des dirigeants de la MUD. Le président Nicolas Maduro entend bien tirer profit de l'une et l'autre.
" Pas question de s'agenouiller "
Sur les cinq gouverneurs d'opposition élus, quatre sont membres du vieux parti social-démocrate Action démocratique (AD). En acceptant de prêter serment, jeudi, devant l'Assemblée nationale constituante (ANC), ils ont déchaîné une tempête politique. Composée uniquement de partisans de l'ancien président Hugo Chavez (1999-2013), l'ANC, élue en juillet, s'est arrogé les pleins pouvoirs, au-dessus de toutes les institutions, y compris du Parlement contrôlé par les opposants. La MUD avait annoncé que ses cinq candidats élus refuseraient d'y prêter serment.
Henrique Capriles, ex-candidat du parti Primero Justicia (PJ, centre) à la présidentielle, et Freddy Guevara, du parti Voluntad popular (VP, droite), ont accusé les quatre gouverneurs qui l'ont finalement fait de " trahison ". Sur les réseaux sociaux, les insultes ont fusé. Le secrétaire général d'AD, Henry Ramos Allup, a choisi de désavouer les gouverneurs qui, a-t-il affirmé, se sont " exclus d'eux-mêmes " du parti. " Au sein de l'AD, pas un crayon ne bouge sans que Ramos Allup l'autorise ", a rétorqué M. Capriles, convaincu que son rival – mû par la perspective de la présidentielle de 2019 – est prêt à toutes les concessions avec le pouvoir. M.  Capriles a annoncé qu'il ne pouvait rester au sein d'une même coalition avec M. Ramos. La MUD menace d'imploser.
Tout au long de la campagne électorale, le président Maduro avait annoncé que les gouverneurs élus devraient reconnaître l'autorité de l'ANC. Celle-ci a été voulue par lui pour court-circuiter le Parlement aux mains d'une opposition qui s'est jurée de renverser le gouvernement. Depuis trois mois qu'elle est installée, la Constituante n'a pas soumis une seule proposition de Constitution. Mais elle décide de tout. Elle a déclaré jeudi que les élections municipales auront lieu le 10  décembre. Dès avant l'annonce de la date, Freddy Guevara avait annoncé que VP ne participerait pas à ces élections, faute de garanties démocratiques.
Le gouverneur élu de l'Etat du Zulia, Juan Pablo Guanipa (PJ) a, lui, refusé de se présenter devant cette toute-puissante Assemblée constituante. " Pas question de s'agenouiller devant la dictature ", a-t-il écrit sur Twitter. Jeudi, il a été démis de ses fonctions pour " défaillance totale " par le conseil régional du Zulia, où les chavistes sont majoritaires. " La Constitution a été violée, la volonté du peuple bafouée ", a-t-il déclaré.
M.  Maduro a par ailleurs nommé un " protecteur de l'Etat " aux côtés de chacun des gouverneurs d'opposition. Et il a désigné, pour occuper le poste, les candidats chavistes défaits le 15  octobre. Cette figure du " protecteur " avait été créée au lendemain des régionales de 2012 pour court-circuiter les pouvoirs et les ressources budgétaires de M. Capriles, réélu gouverneur de l'Etat du Miranda. " En matière de créativité juridique, le chavisme est imbattable ", raille un diplomate latino-américain.
Faut-il encore voter au Venezuela ? La question fait débat au sein de l'opposition depuis longtemps. En  2005, les partis d'opposition avaient refusé de participer aux législatives. Selon nombre d'opposants, à l'époque, " une erreur crasse " qui avait laissé aux chavistes le monopole du débat parlementaire. Mais les électeurs d'opposition hésitent désormais à participer à la " mascarade des élections ".La formule est de Sayed, 42 ans, qui, " pour la première fois de - sa - vie ", envisage de s'abstenir aux prochaines municipales. " Mais comment ne pas voter quand on se bat pour la démocratie ? ", s'interroge-t-elle. Les dirigeants de la MUD ont, à ses yeux, leur part de responsabilité dans la défaite du 15  octobre : " Ils ont commis l'erreur de sous-évaluer la force du chavisme, l'habilité de Nicolas Maduro et la perversité du régime. " Elle ne croit pas que le prix Sakarov puisse sauver la MUD.
Marie Delcas
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire