samedi 13 décembre 2025

VU DU DROIT - « Journal d’un prisonnier », Nicolas Sarkozy dans son registre : ingratitude, petitesse et goujaterie - samedi 13 décembre 2025

 

« Journal d’un prisonnier », Nicolas Sarkozy dans son registre : ingratitude, petitesse et goujaterie

Cracher sur ceux qui se sont dévoués pour lui, un président ne devrait pas faire ça.

 
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Comme beaucoup de mes amis, probablement par dérision, j’ai reçu le PDF du livre de Nicolas Sarkozy. Je ne sais même pas quel est le petit malin qui s’est chargé de cet envoi ! Et il ne m’est évidemment pas venu à l’idée d’ouvrir le fichier. Il y a quand même des limites.

J’ai dit une fois de plus ce que je pensais de la décision d’incarcération de Nicolas Sarkozy décidée par le tribunal correctionnel de Paris. Infondée factuellement, infondée juridiquement, ce n’était qu’un épisode de la vendetta judiciaire que la magistrature inflige à l’ancien président depuis près de 20 ans. La volonté d’humilier en était la première raison. La deuxième, de s’inventer une image de capacité à punir les puissants, en forme de diversion pour la complaisance judiciaire dont bénéficie le système Macron. Après l’avoir fait élire, en prêtant la main au coup d’État finalisé au printemps 2017, elle lui assure une immunité judiciaire confortable. Pour des raisons juridiques incontournables, les magistrats savaient très bien, qu’à partir du moment où Nicolas Sarkozy aurait fait appel, la Cour le mettrait en liberté quelques jours plus tard en attendant l’audience. On notera d’ailleurs que celle-ci a été fixée étonnamment rapidement… Ce qui n’est pas nécessairement de bon augure pour lui.

Avec le carnaval de son arrivée à la Santé, Il nous a pourtant donné une nouvelle démonstration qu’il n’a toujours pas compris les ressorts politiques et personnels de l’acharnement judiciaire dont il est l’objet. Ou bien qu’il refuse de mener le combat sur ce terrain. La mise en scène de son entrée en prison et de son incarcération, le suivi heure par heure de sa détention par la presse amie, la description de ses menus, la scénographie de la sortie, du déjeuner dans un restaurant de luxe etc., ont été perçu par le corps judiciaire comme autant de provocations. Et ont bien sûr exaspéré cette partie de l’opinion publique qui le déteste depuis longtemps et qui avait acclamé la décision d’incarcération sans se soucier de sa validité juridique.

Et puis il y a eu le bouquin ! Un « Journal d’un prisonnier » pour trois semaines à l’ombre, difficile de faire plus ridicule. On sait depuis longtemps que celui-ci n’est pas létal même si cette nouvelle provocation n’est pas précisément ce qui incitera à l’indulgence, les magistrats de la cour qui interviendront dans quelques semaines.

Il ne m’est donc pas venu à l’idée d’ouvrir le PDF, et je ne l’ai toujours pas fait. En revanche m’est tombé sous les yeux un extrait sidérant de ce livre. Celui où l’ancien président a jugé bon de piétiner « son ami » Thierry Herzog, celui-là même qui durant toutes ces années d’acharnement judiciaire ne lui a jamais manqué. Mettant à son service ses capacités professionnelles, son savoir, son intelligence, sa puissance de travail et un dévouement sans faille. Jusqu’à être pris en otage et sacrifié, par une justice pour laquelle abattre Sarkozy, justifiait tous les écarts avec le simple respect de la loi et des principes.

Il convient de citer ce passage du « livre » et de l’assortir de quelques observations. Cela permettra d’en qualifier l’auteur.

« Mon amitié avec Thierry Herzog m’avait aveuglé sur la possibilité qui était la sienne d’embrasser un dossier qui avait pris une telle ampleur. J’avais sous-estimé le travail de recherche et de déconstruction du dossier à charge bâtie par les juges d’instruction et le parquet national financier. » Cette première citation pose déjà un problème de la part d’un ancien Président de la République, lui-même juriste et avocat. Il aurait été incapable de mesurer le travail que nécessitait le combat dans la guerre que lui avait déclarée les magistrats ? Pour quelqu’un qui a été durant cinq ans chef de la Nation et de ses armées dans un monde difficile, c’est quand même un peu préoccupant.

Il poursuit : « quel que soit son talent et son dévouement il ne pouvait, aidé de sa seule collaboratrice approfondir toutes les directions que nous aurions pu explorer. » Est-il possible d’être plus venimeux ? Ainsi, non seulement sa fidélité a valu Thierry Herzog de voir sa carrière brisée, mais en plus aujourd’hui au bout de près de 20 ans, après une douzaine de procédures pénales harassantes, il s’entend dire qu’il était nul. Ou en tout cas pas au niveau. Oubliées les milliers d’heures de boulot, les audiences tendues, les déplacements, les doutes, les angoisses, les nuits sans sommeil, et pour agrémenter le tout, la police à six heures du matin au saut du lit, la perquisition en pyjama, la garde à vue, les menaces. À l’insulte de l’ami, Nicolas Sarkozy ajoute une goujaterie minable à l’égard de la « collaboratrice » qu’au contraire de tous les autres avocats, il ne nomme pas. Pour avoir eu le privilège de la rencontrer, je pense qu’elle a dû apprécier.

Il se trouve que je connais Thierry Herzog. Les hasards de la vie ont fait que nous avons exercé notre métier dans le même immeuble, avons eu de multiples occasions de rencontres et appris à nous connaître. Plusieurs de mes spécialités recoupaient les affaires qui impliquaient Nicolas Sarkozy et que Thierry avait en charge. Il y avait notamment « La responsabilité personnelle des décideurs publics », que j’ai enseignée à l’université Paris II, fréquemment pratiquée et sur laquelle j’ai beaucoup écrit. Et également tout ce qui concernait l’application de la loi de 1990 sur le financement public de l’activité politique avec son volet particulier de droit électoral. Sans être immodeste, je crois avoir acquis sur ces questions une légitimité que peu mettent en doute. À partir de nos très nombreuses et fréquentes discussions et échanges, y compris sur les dossiers en cours, je peux témoigner de son intelligence des situations, de son agilité d’esprit, et de sa disponibilité à appréhender certaines notions, dont il aurait pu être au départ un peu éloigné. Effectuant en parallèle, un travail sur les affaires politico-médiatiques, que je considérais comme l’expression d’un dévoiement judiciaire, j’avais une connaissance assez approfondie de celles concernant Nicolas Sarkozy. Durant toutes ces années, je n’ai jamais eu le moindre doute concernant le fait que Thierry Herzog était l’avocat de la situation. Parce qu’à ses compétences à mes yeux incontestables, il joignait un engagement total fondé sur l’amitié et la confiance.

Nicolas Sarkozy le trahit sans barguigner, ce qui est déjà détestable, mais comme si cela ne suffisait pas, il y ajoute un coup de pied de l’âne. En portant au pinacle le successeur de Thierry dans sa défense, il oublie soigneusement de rappeler les raisons de ce changement. Après l’affaire des écoutes, par une condamnation à la fois scandaleuse et injustifiée, comprenant outre de la prison ferme, une peine complémentaire de suspension professionnelle de trois ans, Thierry Herzog ne pouvait donc plus poursuivre le sacerdoce entamé 20 ans auparavant.

Et Sarkozy de poursuivre : « Christophe Ingrain et ses deux collaborateurs Tristan Gautier et Isaac Arnoud, représentaient une tout autre puissance de feu. J’étais confiants dans leur capacité d’autant plus que s’y ajoutait la hauteur de vue de Jean-Michel Darois. J’étais cependant le seul responsable de ce retard à l’allumage d’une défense réellement structurée. Mon amitié a ainsi pu me porter préjudice. C’est une leçon que je n’oublierai pas. »

On s’autorisera d’abord de rappeler que s’il y a quelqu’un à qui l’engagement de défense par amitié a « porté préjudice » c’est bien Thierry Herzog. Privé pour cela, et pour cette seule raison, du droit d’exercer ce métier qu’il aimait tant. Ensuite pour avoir eu l’occasion d’évaluer différentes interventions du « successeur », par ailleurs ancien magistrat, je n’y ai rien vu d’ébouriffant. En tout cas rien qui soit de nature à dévaloriser ainsi son prédécesseur. Et on ajoutera enfin que la fameuse « puissance de feu » n’a pas donné grand-chose c’est le moins qu’on puisse dire. Dans un « dossier libyen » plein de trous, Nicolas Sarkozy a été condamné au maximum applicable à la qualification juridique retenue par le tribunal. Assorti d’un mandat de dépôt différé de quelques jours. Comme barrage d’artillerie, on a connu plus efficace.

Les réseaux et la presse se sont faits l’écho des réactions à cette bassesse. Il y a ceux qui détestant Sarkozy, l’ont relayé avec gourmandise, moins par solidarité avec Thierry Herzog que pour cette nouvelle démonstration du niveau de l’ancien président. Et puis plus nombreux, il y a ceux qui de bonne foi sont scandalisés par cette ingratitude. Dont les avocats ont l’habitude, parce que souvent après avoir maudit le juge, on fait porter à l’avocat la responsabilité de la défaite.

Mais avec la publicité donnée par Nicolas Sarkozy à cette ingratitude insigne, c’est encore autre chose. Gérard de Nerval nous disait : « Il n’y a qu’un seul vice dont on ne voit personne se vanter, c’est l’ingratitude. »

Si, il y en a au moins un Monsieur de Nerval. Nicolas Sarkozy, qui non seulement s’en vante, mais le revendique.

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