Et moi, est-ce que je produis de la violence symbolique ? Je suis actuellement plongé dans une enquête sur les relations entre les parents et l’école. Et ce que je lis à travers les très nombreux récits que j’ai pu récolter est assez glaçant. Les parents en prennent pour leur grade : laxisme, abrutissement numérique, consumérisme. Les enseignants, itou : rigidité pédagogique, propos humiliants, paranoïa vis-à-vis du monde extérieur. En somme, des deux côtés des grilles de l’école, semble prévaloir le même sentiment d’être soumis à une intense violence – au moins symbolique – émise par le camp adverse.
D’un esprit optimiste, je ne renonce pas néanmoins à dénicher des établissements où l’on résiste à la tentation de la vexation et du mépris réciproque. D’un esprit pragmatique, je considère par ailleurs que les rapports de force sont consubstantiels aux organisations humaines. Et que ce n’est pas forcément un mal. Je l’ai écrit plusieurs fois : la libération de la parole et des affects à laquelle nous assistons aujourd’hui est ni plus ni moins le parachèvement de notre grande aventure démocratique. Reste à gérer la part d’anarchie et de violence que cela induit.
A l’imposition des règles par l’autorité statutaire, doit se substituer un travail – harassant – de pédagogie. Un immense défi, a fortiori pour une institution, l’école, où, culturellement, la violence symbolique est partout. Dans le projet d’arrachement des enfants à leurs déterminismes. Mais également dans les rapports à la fois déférents et brutaux entre échelons hiérarchiques, statuts, corps de métier…
Cela dit, balayons devant notre porte. Dans un milieu se voulant très horizontal, le journalisme, le tutoiement confraternel ne garantit nullement la qualité des relations professionnelles. J’ai longtemps vice-présidé une association œuvrant pour la diversité dans les médias, dont les anciens bénéficiaires - des étudiants boursiers devenus journalistes - ont expliqué un jour à leurs anciens tuteurs qu’ils subissaient de leur part une violence symbolique paralysante. Les tuteurs en question ont vécu ce moment plus ou moins sereinement.
Pour ma part, tout en me défiant du risque d’enfermement de nos tutorés dans un rapport dominant/dominé, j’ai essayé d’en faire une source de questionnement sur ce que pouvait dégager le mâle-blanc-bourgeois-de-province-diplômé-de-Sciences-Po-Paris que je suis. Ce travail introspectif me nourrit. Sans que je puisse dire ce que j’aurais pu en tirer en situation puisque je n’ai jamais managé de journalistes à l’exception d’une expérience éphémère il y a plus de vingt ans. Sûrement maladroite au demeurant.
Gurvan Le Guellec
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire