Fin juin, ma psychanalyste part à la retraite, c’est une décision post-Covid, une forme grave lui a fait réaliser qu’elle n’avait plus 50 ans. Elle était encore en convalescence quand elle me l’a annoncé, à l’automne dernier, lors d’une séance par téléphone. J’ai pleuré silencieusement aux abords de la Bastille, à Paris. Cinq ans, deux fois par semaine, 45 minutes. C’était un abandon. Puis, j’ai organisé le déni. C’était une déclaration inconsidérée née du fameux brouillard neurologique induit par les Covid longs. Il y a dix jours, elle a remis le sujet sur la table, avec − cette fois − toute sa tête. En plus de me confirmer son départ, elle m’a proposé de passer en face-à-face, quand je le sentirai, pour qu’on puisse se voir pour se séparer. Intéressant, le café d’en bas de Bruel. Tous ses patients n’avaient pas besoin de cette étape assise, a-t-elle ajouté, ce qui m’a inquiété. Etais-je plus mature ou plus fragile que les autres ? Oui, j’en suis encore là après cinq ans d’analyse. Les deux séances suivantes, je me suis allongée sur le divan en ayant conscience de profiter des derniers instants de ce dispositif de parole si particulier qui permet un discours à mi-chemin entre une parole à soi-même (flottante et associative) et une parole adressée à l’autre (ce qui fait que cette pensée est motivée, qu’elle se poursuit). Puis, à la troisième séance, je me suis assise en face d’elle et j’ai pu mesurer d’un coup la brutalité du regard de l’autre sur soi lorsqu’on parle. C’est ce qu’on vit tous les jours, sans s’en rendre compte. Face à son visage, son jugement, je ne parlais plus pareil, je n’associais plus pareil, et le fait qu’elle ait un corps, qu’elle ne soit plus une voix divine, changeait tout. On sortait de la mythologie pour passer au commerce. Quand se termine une analyse ? Le philosophe François Roustang répond qu’elle se termine quand le sens, suffisamment fatigué, rentre « se reposer dans la chose, c’est-à-dire dans le vivant que nous sommes ». Oui, mais quand ? Pour répondre, voici l’incompréhensible Lacan : « L’analysant ne termine qu’à faire de l’“objet a” le représentant de la représentation de son analyste. C’est donc autant que son deuil dure de l’“objet a” auquel il l’a enfin réduit, que le psychanalyste persiste à causer son désir… Puis le deuil s’achève. Reste le stable. » L’« objet a », c’est le manque à être, la libido volante. L’objet de la cure est précisément de révéler au sujet cette vérité du manque indéfinissable, inassouvissable, faisant tomber du même coup l’aliénation et l’attache à l’analyste. Quant au stable, on va voir. Il va falloir s’occuper. |
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