Le silence de Macron ou la stratégie de l’évitement
Très peu disert depuis sa réélection, le chef de l’État n’a toujours pas donné d’impulsion à son deuxième quinquennat et se contente d’agiter des chiffons rouges dans l’espoir d’obtenir une majorité absolue aux législatives. Gagnante à la présidentielle, cette stratégie relève surtout de la paresse démocratique.
3 juin 2022 à 10h29
Emmanuel Macron à son arrivée au centre hospitalier Louis Pasteur Cherbourg-en-Cotentin, le 31 mai 2022.
La stratégie adoptée par Emmanuel Macron pour les élections législatives ressemble
à s’y méprendre à celle qui lui a permis d’être réélu le 24 avril dernier. Elle se
déploie en deux phases bien distinctes : une longue période de latence, où l’ennui
le dispute à la lassitude, suivie d’une campagne éclair, menée chiffon rouge à la
main. Sur le morceau de tissu brandi par les soutiens du chef de l’État, le
visage de Jean-Luc Mélenchon a remplacé celui de Marine Le Pen. Mais pour le
reste, rien n’a changé.
Les troupes macronistes abordent en effet ce scrutin avec le même esprit que
celui qui a prévalu lors de la présidentielle, dans un mélange d’autosatisfaction,
de bavardages creux et d’attaques frontales envers un adversaire désigné,
qu’elles transforment pour l’occasion en épouvantail. Fini l’extrême droite,
c’est désormais la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale)
et plus encore le chef de file de La France insoumise (LFI) qui occupent tous
les esprits de la confédération Ensemble.
Redoutant de perdre la majorité absolue à l’Assemblée nationale, les soutiens
du président de la République s’en prennent aujourd’hui à la gauche unie,
aidés par quelques reliquats du PS qui ont vu de la lumière et ont poussé la
porte. Dans une association de circonstance, François Hollande et Bruno Le
Maire ont ainsi tous deux dénoncé le projet économique de la Nupes, le premier
le jugeant « incapable d’être exécuté », le second estimant qu’il « conduirait
tout droit notre pays à la faillite ».
Faisant fi de la période de réserve durant laquelle les membres du
gouvernement sont censés faire preuve de « discrétion », le ministre de
l’économie a aussi qualifié Jean-Luc Mélenchon de « Chavez gaulois » dans
les colonnes du Figaro. Après avoir lancé des regards de Chimène à la gauche
dans l’entre-deux-tours de la présidentielle, juste le temps de profiter de ses
voix, les macronistes ont ressorti les menaces de pluies de grenouilles dans
l’espoir de mobiliser leur électorat de droite.
Jusqu’ici, cette période de réserve était pourtant bien pratique. Ouverte le 23
mai, soit trois jours à peine après la nomination du premier gouvernement
d’Élisabeth Borne, elle a officiellement contraint chaque ministre à « séparer
du mieux qu’il est possible l’action du membre du gouvernement des prises
de position qu’il peut avoir en tant que responsable politique ». Mais
officieusement, cet « usage » a surtout permis « d’éviter les couacs » dans
la période électorale, souligne un conseiller ministériel.
Un débat public désespérément cotonneux
Espérant profiter une nouvelle fois de l’anesthésie générale, Emmanuel
Macron est lui-même resté très silencieux, malgré la multiplication des
problèmes. Hormis quelques considérations sur les sujets internationaux,
le président de la République a esquivé toutes les questions gênantes, comme
celle portant sur le fiasco de l’organisation de la finale de la Ligue des champions
au Stade de France. « Je ne ferai aucun commentaire sur ce qui relève du
gouvernement », s’est-il défaussé le 31 mai.
Passé maître dans l’art délicat de la patate chaude, l’exécutif a adopté, dans
cette affaire, une méthode étrennée sous le précédent quinquennat. Pendant
plusieurs jours, des contre-feux ont été allumés un peu partout dans l’espoir
que l’opinion zappe de sujet et retourne se lover sous la couette d’un débat
public désespérément cotonneux. La polémique ne désenflant pas, l’Élysée
a finalement fait fuiter la colère du chef de l’État, qui a peut-être vu rouge,
mais n’en a tiré aucune conséquence.
Un mois après sa réélection, Emmanuel Macron n’a toujours pas donné
d’impulsion à son deuxième quinquennat. Il se contente de contourner les
vagues pour glisser sur l’indifférence générale. Celui qui avait promis un
« renouvellement complet » a finalement copié-collé son dispositif gouvernemental,
décevant jusqu’à ses plus fervents soutiens. « Que sait-on des convictions des
nouveaux ministres ? Rien. C’est justement pour ça qu’ils ont été choisis, se
désole l’un d’entre eux. Je ne sais pas si la politique était morte avant ou avec
Macron, mais le fait est que plus personne n’en fait. »
Les doutes des macronistes
L’élection présidentielle a été privée de confrontations d’idées du seul fait
du président de la République, qui entend aujourd’hui gagner les législatives
sur des formules générales, adaptables à toutes les campagnes. Derrière les
quelques mesures accessoires de son projet, on peine à trouver quelque chose
de nature à relever pour de bon les fameux « défis » qui se présentent. Quant
aux sujets qui fâchent, à commencer par la réforme des retraites , ils ont
momentanément été mis sous le boisseau.
Parler des autres pour éviter de s’épancher sur soi-même : cette stratégie a
été gagnante au mois d’avril et Ensemble veut croire qu’elle le sera de nouveau
les 12 et 19 juin. Mais au-delà des calculs électoraux, elle dénote surtout une
forme de paresse démocratique qui n’augure rien de bon. Certains macronistes
s’inquiètent d’ailleurs de cette politique de courte vue, calquée sur l’un des
plus célèbres conseils cinématographiques : « Oublie que t’as aucune chance.
On sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher. »
Et pour le moment, ça marche. Mais pour combien de temps encore ?, s’interrogent
plusieurs soutiens du chef de l’État, échaudés par l’atonie des dernières semaines.
« Je n’avais pas compris qu’on s’engageait en politique pour se cacher », résume
un cadre de La République en marche (LREM). Après cinq années marquées par
de nombreux renoncements et une élection présidentielle où l’extrême droite s’est
qualifiée au second tour pour la deuxième fois consécutive, les mêmes avaient cru
que les choses allaient cette fois-ci réellement changer.
Mais aujourd’hui, ils commencent à sérieusement douter du bien-fondé de
l’édifice macroniste. Une victoire l’est-elle vraiment si elle est remportée par
« effraction », comme dirait Emmanuel Macron ? Que vaut l’exercice du pouvoir
en l’absence de récit politique ? Comment espérer revivifier la démocratie quand
on assèche à ce point le débat public ? Ces questions, ils sont désormais
quelques-uns à se les poser à l’aune d’un deuxième quinquennat encore plus
flou que le premier. Eux savent qu’on ne construit jamais rien sur un malentendu.

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