PRÉSIDENTIELLE 2022. LA CAMPAGNE ET LE BILAN D’EMMANUEL MACRON REPORTAGE
En meeting, Macron sort les grosses ficelles
Le président-candidat a prononcé son seul grand discours de campagne d’avant premier tour, samedi 2 avril, à Nanterre. Appelant à « la mobilisation générale », il a déroulé son projet pendant deux heures, comme si rien ne s’était passé au cours des cinq dernières années.
2 avril 2022 à 22h07
Nanterre (Hauts-de-Seine).– Installés côte à côte dans le carré VIP, Jean-Pierre
Raffarin et Manuel Valls entonnent la Marseillaise. Non loin de là, Barbara Pompili
salue chaleureusement Renaud Muselier, tandis que la « reine des paparazzi »
Mimi Marchand se faufile dans les travées. Le chauffeur de salle tente
désespérément de lancer un clapping, puis une, deux, trois olas, avant de laisser
tomber. La ministre Florence Parly s’empare du mégaphone : « Dans cette arène,
on accueille en général les Rolling Stones, mais notre Rolling Stones à nous
s’appelle Emmanuel Macron ! »
Les 30 000 places assises de La Défense Arena se sont gentiment remplies depuis
deux heures lorsque le président-candidat arrive sur scène, entouré de feux
d’artifice et de nombreux gardes du corps. « Est-ce que vous entendez la ferveur ?,
lance-t-il d’emblée, sans apercevoir les gradins vides du fond de la salle. Je suis
heureux, heureux d’être parmi vous aujourd’hui. Et tandis qu’à quelques heures
de Paris on bombarde la démocratie, tandis... » Huées dans le public. « Non,
on va tout de suite se redonner une règle que vous connaissez... » Ici, on ne
siffle pas. Pas même la guerre.

Pour son unique meeting de campagne d’avant premier tour, organisé samedi 2
avril à Nanterre (Hauts-de-Seine), Emmanuel Macron a tenté de renouer avec la
fameuse « bienveillance » de 2017. Après avoir égrené plusieurs des réformes
adoptées sous son quinquennat, il a enchaîné sur son nouveau projet, présenté
comme un « projet de droit réel, un projet de solidarité, un projet de progrès
social ». « Comme vous, je vois les difficultés à finir le mois, les situations
d’insécurité, les difficultés multiples, parfois, et tant de progrès à accomplir
pour faire reculer l’extrémisme », a-t-il dit.
Dans les équipes de La République en marche (LREM), beaucoup estiment que
la conférence de presse du 17 mars « a donné, selon les mots d’un cadre du parti,
une mauvaise tonalité à la campagne ». En présentant un programme « et de
droite et de droite », le président-candidat a ouvert un boulevard à ses adversaires
à la présidentielle – à commencer par Marine Le Pen – qui ont pu, sans difficulté,
dénoncer la « violence sociale » de son projet au cours des deux dernières
semaines. Il fallait donc, de l’aveu de plusieurs macronistes, « lancer des signaux
à gauche ».
Emmanuel Macron cite le slogan de la LCR
Les mêmes étaient ravis d’entendre Emmanuel Macron parler de pouvoir
d’achat, en promettant « dès cet été » le triplement de la « prime Macron » ou
une revalorisation de « 550 euros de plus au niveau du Smic » pour les
travailleuses et travailleurs indépendants. Tout comme ils se sont félicités de
le voir faire applaudir les personnels de santé et le corps enseignant.
« L’ascenseur social reste encore trop en panne, trop de professeurs sont
encore découragés », a notamment affirmé celui qui avait pourtant corrélé
l’augmentation de leurs salaires à davantage d’« efforts ».
Évoquant à mi-mot le scandale des Ehpad Orpea, le président-candidat a
fait sien un message ancien de La Ligue communiste révolutionnaire (LCR) –
« Nos vies, leurs vies valent plus que tous les profits » –, et suscité la consternation
du candidat du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), Philippe Poutou qui a tweeté :
« Pendant que ses copains les riches volent l’argent public, Macron nous vole nos
slogans. Décidément, ces gens osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. »

« Je ne me résoudrai jamais, jamais à ce qu’on puisse faire des économies au
détriment des Français les plus précaires », a poursuivi Emmanuel Macron, sans
sourciller. Condamnant « les grands groupes privés qui voudraient décider à la
place des nations », il a également pris le temps de mettre la salle en garde contre
le « dérèglement du capitalisme », lui dont la logique économique s’est pourtant
radicalisée vers une garantie universelle donnée au capital.
Le président-candidat a déroulé son discours comme si rien ne s’était passé au
cours des cinq dernières années. Comme si personne n’avait compris le fond
des politiques néolibérales qu’il propose ni observé sa mue conservatrice sur
les questions pudiquement qualifiées de « régaliennes ». Pendant deux heures,
il s’est présenté comme un homme neuf, jonglant entre les formules creuses et
les affirmations définitives, face à un public conquis, scandant « Et un, et deux,
et cinq ans de plus ! » et agitant des drapeaux français et européens.
Pour satisfaire l’ensemble des personnalités réunies dans le carré VIP de La
Défense Arena, où Élisabeth Guigou côtoyait Éric Woerth, Emmanuel Macron
est ensuite revenu sur les deux mesures qui écrasent le reste de son projet :
l’allongement de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans et la réforme du revenu
de solidarité active (RSA). « Parfois, ce n’est pas agréable à entendre, je sais.
Mais oui, il n’y a pas d’État social, il n’y a pas d’État-providence s’il n’y a pas
d’État productif fort, a-t-il affirmé. Alors j’assume, oui, de vous dire qu’il faudra
travailler plus. »
Et d’ajouter : « Voilà pourquoi nous continuerons de mener les réformes
indispensables sur l’assurance chômage, […] voilà pourquoi aussi nous mettrons
en place pour les bénéficiaires du RSA de 15 à 20 heures par semaine des
activités de formation, d’insertion, de réinsertion sur le modèle de ce que nous
faisons depuis le 1er mars avec le contrat d’engagement jeunes pour les
18-25 ans. Il ne s’agit pas, comme l’ont prétendu certains, de travaux d’intérêt
général, non, encore moins de vouloir couper des aides à ceux que la vie a trop
abimé pour exercer une activité. » C’est son premier ministre Jean Castex,
installé tout devant, qui avait parlé de « service communautaire », le 21 mars,
Comme il l’avait fait en 2017, le président-candidat a plusieurs fois attaqué
« le système », dont il est pourtant un pur produit. « Alors, je vous rassure,
le système nous dira que c’est impossible, on nous expliquera que ça n’a jamais
été fait, qu’il faut faire comme avant, discuter depuis Paris, tout décider depuis
Paris, mais comme c’est impossible, nous le ferons », a-t-il assuré, vantant sa
« nouvelle méthode », censée accorder davantage de place à la démocratie
citoyenne. Il a aussi redit son intention de conduire la « réforme institutionnelle
qui s’impose », pour « une souveraineté populaire mieux reconnue et jamais
limitée par des organes d’experts ».
Passant rapidement sur l’affaire des cabinets de conseil qui empoisonne sa
campagne, Emmanuel Macron a simplement rappelé « à tous ceux qui s’en
indignent, qu’ils les ont à chaque fois utilisés dans leur collectivité ou au
gouvernement ». « Ces derniers jours, j’ai entendu parler beaucoup d’évasion
fiscale et de cabinets américains », a-t-il indiqué au sujet de McKinsey, sans
le citer nommément. « Il ne faut pas simplement s’indigner, il faut agir.
L’impôt minimal européen, nous nous sommes battus et nous l’avons fait. »
L’appel aux écologistes
En écho à la théorie complotiste du « grand remplacement », passée des
rangs de l’extrême droite à ceux de la droite Les Républicains (LR), le
président-candidat a fustigé celles et ceux qui « défendent le grand rabougrissement
». « Il n’y a pas plus puissant que la force tranquille de la fraternité », a-t-il dit,
en référence au slogan « la force tranquille » de François Mitterrand. Et de
poursuivre : « La France est un bloc fait de tant et de tant d’affluents. La France,
c’est un bloc et on ne trie pas. On ne choisit pas, on l’aime tout entière, on la
prend comme elle est. »
Emmanuel Macron s’est enfin réjoui du « dépassement politique » opéré ces
cinq dernières années, en affirmant vouloir le continuer au cours de celles à
venir. « C’est pourquoi j’appelle toutes celles et ceux de la social-démocratie au
gaullisme, en passant par les écologistes qui ne nous ont pas encore rejoints, à
le faire, a-t-il précisé. Car depuis le début, nous n’avons qu’un parti : c’est notre
pays, notre volonté d’agir, de porter nos valeurs, mais ce sera aussi dans la
méthode, entendre davantage la minorité, permettre que la minorité comprenne
davantage la majorité. »

En conclusion, le président-candidat est revenu sur « le danger extrémiste »,
qu’il considère « d’autant plus grand que depuis plusieurs mois, plusieurs
années, la haine, les vérités alternatives se sont banalisées ». « Dans le débat
public, nous nous sommes habitués à voir défiler sur certains plateaux de
télévision des auteurs antisémites, d’autres racistes. […] Nous nous sommes
habitués à voir des responsables politiques raconter n’importe quoi sur le Covid »
, a-t-il souligné, face au maire de Nice (Alpes-Maritimes) Christian Estrosi,
fraîchement rallié et grand défenseur de Didier Raoult.
« Ne croyez pas les sondages ou les commentateurs qui seraient formels, qui vous
disent que c’est impossible, impensable. Que l’élection est déjà jouée, que tout va
bien se passer, a encore averti Emmanuel Macron. Regardez : du Brexit à tant
d’élections, ce qui paraissait improbable a pu advenir, alors je vous le dis avec
beaucoup de force ce soir, rien n’est impossible. Mais je ne veux ni l’arrogance
ni le défaitisme. Je veux la mobilisation générale, la volonté et l’action. » À huit
jours d’une élection présidentielle frappée par l’anesthésie générale, le
président-candidat voulait réveiller ses troupes.
Le spectre de l’abstention
Car c’est bien là l’inquiétude qui règne parmi ses soutiens depuis quelque
temps : une démobilisation de la base militante dès le premier tour, laquelle
pourrait modifier aussi bien les résultats de celui-ci que la dynamique
d’entre-deux-tours. « La question qui se pose, c’est : que fait l’électeur de droite
et de gauche modérées le 10 avril ? Est-ce qu’il reste chez lui pour se faire peur ? »
, s’interrogeait récemment un ministre. À cela s’ajoute l’effondrement du
front républicain, qui hante LREM.
Le second tour est déjà dans tous les esprits de l’actuelle majorité. « Il y a un
vrai risque, estime un cadre du parti présidentiel. Tout le monde s’énerve
quand Philippe Poutou dit que les gens ne voudront pas voter Macron en cas
d’un deuxième tour face à Le Pen, et pourtant… Il dit tout haut ce que beaucoup
de personnes de gauche pensent tout bas. » Et un élu de la majorité de conclure : « Ce
qui m’inquiète le plus, c’est le silence. Personne ne parle de cette campagne et la seule
petite musique qui perce, depuis les “gilets jaunes”
et les manifestations antivax, c’est celle d’un Macron qui aurait un problème
avec la démocratie. »
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