Kazuo Ishiguro (l’auteur des « Vestiges du jour ») vient de le dire dans une interview à retrouver dans « l’Obs » cette semaine. Recevoir le prix Nobel n’est pas une sinécure. Car l’Académie suédoise n’a pas pour habitude de prévenir le lauréat. Quand le téléphone a commencé à sonner sans discontinuer dans la maison des Ishiguro, en cet automne 2017 où le prix lui fut attribué, il ne s’était pas lavé les cheveux, et sa femme était chez le coiffeur en train de changer sa couleur. Chez les Ishiguro, on ne rigole pas avec la chose capillaire.
Les photographes étaient donc dans la rue, meute affamée, avant que l’élégant Kazuo ne comprenne de quoi il retournait, et ne réussisse à mettre la main sur une chemise décente. C’est presque impoli, dit-il. Qu’on débarque chez vous comme ça, au débotté. Mais avec ce sourire délicieusement britannique, il ajoute : « On ne va pas quand même se plaindre d’avoir le Nobel ».
A qui ira le Nobel cette année ? Personnellement, je miserais tout sur Ahmet Altan, l’écrivain turc qui a longtemps été emprisonné (il vient de publier un très beau roman,
« Madame Hayat » chez Actes Sud), ou la courageuse, la magnifique
Asli Erdogan. Ils le méritent. Ils l’auront un jour, l’un ou l’autre sinon les deux. Allez, puisque vous me demandez mon avis, je dirais plutôt Asli. Elle est, avec
Pamuk, l’âme d’Istanbul.
Comment font ces satanés Suédois pour garder le secret jusqu’au bout ? Et pour lâcher la bombe le jour dit, alors que vous êtes en train de vous raser, ou de passer l’aspirateur, que vous êtes en train d’attendre le métro, de monter ou de descendre d’un taxi ? Pas comme avec le Goncourt où tout Paris est souvent au courant avant même que les jurés ne commencent à s’entretuer chez Drouant. En France, quand on reçoit le fatidique appel, le fatidique Goncourt, on est déjà sur son trente-et-un. Alors que les écrivains, lorsqu’ils reçoivent le Nobel, sont souvent grognons.
Souvenez-vous de
Doris Lessing. Pour lui avoir rendu plusieurs fois visite, dans sa jolie maison londonienne, je peux vous assurer qu’il n’y avait pas plus aimable. Et patiente. Amicale aussi. Souriante. La grand-mère parfaite. La grand-mère de l’humanité. Mais lorsqu’elle s’est retrouvée descendant d’un taxi, justement, pour apprendre que les dés suédois étaient jetés, et qu’ils avaient parlé en sa faveur, sa réaction n’a rien eu à voir avec celle d’une gentille maman gâteau. Elle s’est mise à souffler, à pester, à lancer des
« Oh Christ ! » et des regards courroucés vers la foule des photographes. Probablement qu’elle non plus ne s’était pas lavé les cheveux.
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