jeudi 4 octobre 2018

Prélèvement à la source : des tuyaux et des hommes


30 septembre 2018

Prélèvement à la source : des tuyaux et des hommes

Plongée chez ces experts-comptables qui préparent le changement, en janvier, de la collecte de l'impôt

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Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour la comptabilité ! A la fin du mois de septembre, les premiers bulletins de paie faisant préfigurer les salaires amputés de l'impôt sur le revenu commenceront à être distribués dans les entreprises. Censés donner aux contribuables un aperçu de ce qui les attend après la mise en place du prélèvement à la source au 1er  janvier 2019, ils tiendront compte des taux choisis par les déclarants. Taux personnalisés, individualisés ou neutres que l'administration fiscale a transmis aux services concernés. Il était temps.
La grande bascule de la collecte de l'impôt a beau être dans les cartons depuis deux ans, particuliers et employeurs peinent encore à s'y retrouver. N'en déplaise à Gérald Darmanin, le ministre de l'action et des comptes publics, qui assure que le dispositif est " prêt " et ne coûtera " pas un centime ", les atermoiements du gouvernement ont marqué les esprits. " Jusque-là, la seule chose qui préoccupait nos clients, c'était l'année blanche, et comment l'optimiser. Pour le reste, ils n'étaient pas très informés. Les débats récents ont créé un climat anxiogène ", témoigne Virginie Vellut, experte-comptable associée au sein du cabinet BDS, à Troyes.
Confidentialité, recours en cas d'erreurs, risque de choc psychologique… L'inquiétude est d'autant plus forte, côté employeurs, que les syndicats patronaux n'ont pas caché tout le mal qu'ils pensent de la réforme. " Le prélèvement à la source, c'est de l'argent volé aux entreprises ", assénait à la mi-septembre François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), devant les caméras du Figaro.fr. Comme le Medef, le patron des petits patrons pointe les risques de contentieux et de frais supplémentaires.
Tout cela a un prixQu'en sera-t-il réellement ? Sur le papier, tout semble bien huilé : le prélèvement à la source ne modifie pas le montant de l'impôt, seulement sa collecte, et les entreprises n'ont qu'à jouer les percepteurs au moment de l'édition des feuilles de paie. Ce travail, près de 80  % d'entre elles le délèguent aujourd'hui à un expert-comptable, selon les estimations du conseil national de l'ordre, qui encadre la profession. Et pour cause : " Vu les évolutions constantes du droit social, c'est de plus en plus difficile de suivre, explique Mme Vellut. Contrairement à ce que pense M. Darmanin, il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton pour sortir une feuille de paie. " C'est même un sacré casse-tête.
Depuis le 1er  janvier 2017, toutes les cotisations salariales et patronales doivent être envoyées par l'intermédiaire de la DSN (déclaration sociale nominative) au site Net-entreprises.fr, le portail officiel. Techniquement, explique Lysiane Gueu, employée chez BDS, c'est le bulletin de salaire qui génère cette espèce de gros registre. Une fois celui-ci transmis, les organismes comme l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf), ainsi que ceux gérant les retraites complémentaires et la prévoyance, se rendent sur Net-entreprises.fr et collectent les sommes qui les concernent. C'est aussi par le biais de la DSN que se fera le prélèvement à la source.
" Ça marche bien aujourd'hui, concède Lysiane Gueu, mais on revient de très très loin… " Les employeurs et leurs salariés l'ignorent souvent, mais le passage à la DSN a été un bazar sans nom. Pendant la troisième phase de son déploiement, certains organismes n'étaient pas prêts à exploiter les données et les plantages se sont multipliés. " On a eu des démissions et des burn-out, on a perdu des clients. Il a fallu aussi changer d'éditeurs informatiques. Au final, ça nous a coûté près de 250 000  euros ", déplore Mme Vellut.
Faut-il s'attendre à une galère similaire pour la collecte de l'impôt ? La grande tuyauterie tiendra-t-elle le coup ? " Il y aura sans doute des bugs, c'est impossible qu'il n'y en ait pas. Mais je ne pense pas que ce sera la catastrophe industrielle ", assure l'experte-comptable, dont les équipes éditent chaque mois près de 4 000  bulletins de paie. Paramétrage, formation, réunions… Le cabinet se prépare depuis des mois. Ses petites mains savent qu'il faudra déployer des trésors de pédagogie pour expliquer et rassurer employeurs et salariés. Et tout cela a un prix.
" Le gouvernement a fait une grosse erreur de communication en disant que tout ça ne coûterait rien. Bien sûr que le surcroît de travail sera facturé d'une façon ou d'une autre. Mais ça ne va pas ruiner les entreprises, comme le laissent entendre certains représentants patronaux. Faut pas exagérer… ", s'indigne Charles-René Tandé, président de l'ordre des experts-comptables. Chez BDS, un forfait sera probablement mis en place d'environ 50  euros par an et par salarié, et le prix du bulletin de paie passera de 23 à 24  euros en moyenne.
Des cas d'abus sont toutefois remontés jusqu'à Cendra Motin, députée La République en marche de l'Isère, chargée du dossier à la commission des finances de l'Assemblée. L'élue, qui a dirigé pendant sept ans Mon service RH, une entreprise spécialisée dans la gestion de paie, cite un cabinet qui aurait augmenté de 10  euros la facturation à l'unité de ses bulletins. Des tarifs exorbitants, dont l'ordre, assure Charles-René Tandé, n'a pas directement entendu parler. " Si ça existe, ça doit concerner moins de 1  % des gens, c'est epsilon, rien du tout ", estime-t-il. " Certains me disent quand même qu'ils se rattrapent un peu pour compenser les frais qu'avait entraîné le passage à la DSN ", confie Cendra Motin.
Pour les entreprises qui ne pourront pas se permettre de se payer les services d'un expert-comptable, notamment du côté des PME et TPE, Gérald Darmanin aune solution : le recours au TESE (titre emploi service entreprise), un service gratuit proposé par l'Urssaf. Environ 58 000  sociétés l'utilisent aujourd'hui. Seulement, soulignent les professionnels, l'outil n'est pas adapté à la complexité du droit social et ne tient pas compte des différentes conventions collectives. " Le risque juridique est énorme pour l'employeur ", met en garde Lysiane Gueu, qui a vu des clients s'en remettre à l'outil avant de faire machine arrière.
En cas de doute sur le prélèvement à la source, la seule instance compétente reste l'administration fiscale. Un numéro vert a été mis en place. Aujourd'hui facturés 6  centimes d'euro la minute, plus le prix d'un appel local, les appels devraient être gratuits à partir du 1er  janvier 2019. A la mi-septembre, le service était saturé.
Élise Barthet
© Le Monde

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