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vendredi 28 septembre 2018

Un vote relance le débat sur les bases à Okinawa


28 septembre 2018

Un vote relance le débat sur les bases à Okinawa

Les opposants à la présence militaire américaine se mobilisent

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C'est un scrutin local à l'enjeu stratégique, déterminant pour l'avenir d'une pointe de terre plongeant dans les eaux turquoises du Pacifique. Il sera suivi de près par Tokyo et Washington. Dimanche 30  septembre, les 1,4  million d'habitants d'Okinawa vont élire leur gouverneur. Il succédera au populaire Takeshi Onaga, mort d'un cancer, le 8  août.
Du vainqueur dépendra le sort d'un déménagement très symbolique, celui de la base aérienne américaine des marines de Futenma, qui doit se réinstaller sur une autre partie de l'île. La base est aujourd'hui au cœur de Ginowan, une ville densément peuplée, non loin de la capitale, Naha, dont les habitants sont las des nuisances sonores et des problèmes de sécurité qu'elle génère. Conformément à un accord signé en  2006 par le -Japon et les Etats-Unis, ses activités doivent être relocalisées sur une base à construire sur un polder établi à la pointe d'Henoko, petit bourg abritant une autre installation américaine : Camp Schwab.
Ce déplacement est vivement contesté. Le premier de ses opposants est Denny Tamaki, 58 ans, fils d'un GI et d'une Japonaise, animateur de radio, militant pour la paix et député à la Chambre basse nationale. Membre du petit Parti libéral, un parti d'opposition, il a été désigné par M. Onaga comme son successeur. Il veut poursuivre la politique du défunt gouverneur, qui a usé de tous les recours juridiques possibles pour bloquer les travaux d'Henoko, estimant qu'Okinawa, territoire limité – l'île principale fait 100  km de long pour 15 km de large –, accueille déjà trop de bases américaines. " Nous abritons 80 % des forces américaines déployées au Japon. Ce n'est pas normal ", s'insurge le candidat lors d'un rassemblement.
Soutien de Tokyo" Je suis pour l'alliance de sécurité nippo-américaine, mais je n'accepte pas le déplacement à Henoko. Si je suis élu, je l'empêcherai et je ferai fermer immédiatement Ginowan ", martelait M. Tamaki, soutenu par la coalition All Okinawa, réunissant les démocrates, les communistes, des ONG et une partie du monde local des affaires. Face à lui, Atsushi Sakima, 54 ans et à l'allure hiératique rappelant qu'il est maître de karaté, est plus ambigu sur le sujet d'Henoko. Ancien maire de Ginowan, il insiste seulement sur la fermeture de la base de Futenma. Peu importe où elle ira ensuite. Depuis le début de sa campagne, il se concentre sur l'économie. Lors du lancement de sa campagne le 10  septembre, il a promis la gratuité des cantines scolaires et des soins aux personnes âgées, et même " une équipe de baseball professionnelle ", tout en s'engageant à soutenir les PME, " 99,9  % des entreprises d'Okinawa ". Cette stratégie lui vaut le soutien appuyé de Tokyo, où la campagne est suivie de près par un gouvernement qui vivrait comme un camouflet la victoire des opposants à la relocalisation sur le site d'Henoko. " Shinzo Abe a comme priorités l'endiguement de la Chine et le maintien de l'alliance avec les Etats-Unis, explique Fumiaki Nozœ, de l'université internationale d'Okinawa. Okinawa, dont dépendent les îles Senkaku disputées avec la Chine et Taïwan, se trouve en première ligne. "
Tout en affirmant son souhait de réduire le fardeau des bases à Okinawa, le gouvernement les maintient donc. " Les déplacer sur l'île principale de Honshu poserait un problème politique, puisque les gens n'en voudraient pas, et donnerait l'impression d'un repli face à la Chine ", analyse M. Nozœ.
Le problème pour le gouvernement est que M. Sakima apparaît en retrait dans les sondages. Le candidat paye l'attitude adoptée par l'administration Abe envers M. Onaga, le gouverneur décédé. Quand ce dernier, élu en  2014 sur un programme d'opposition au projet d'Henoko, a mis en œuvre ses promesses, le gouvernement a coupé les subventions annuelles de 2,2  milliards d'euros versées au petit archipel. Ce chantage a exacerbé les tensions entre le pouvoir central et Okinawa. " Le fossé est trop profond, déplore Hiroji Yamashiro, charismatique leader du mouvement antibase au sein de l'ONG Centre d'Okinawa pour la paix – ce qui lui a valu cinq mois de prison en  2017. M.  Abe ne fait rien pour le combler ". D'après un sondage du quotidien Asahi, 63  % des habitants d'Okinawa s'opposent à la politique des bases du gouvernement. Seuls 14  % l'appuient.
Sanglante batailleChez les personnes âgées, le dédain gouvernemental ravive les blessures d'un territoire autrefois royaume indépendant des Ryukyus. Il fut annexé en  1879 par le Japon et sa population subit la " kominka seisaku ", une politique d'assimilation destinée à " former des sujets de l'empereur " à l'origine d'attitudes discriminatoires qui n'ont pas disparu.
Personne n'a oublié non plus la sanglante bataille menée entre le 1er    avril et le 23  juin 1945 par le régime militariste de Tokyo contre l'invasion américaine. Les combats ont fait 230 000 morts, côté japonais, dont la moitié de civils. Plusieurs centaines ont été poussées au suicide par les soldats nippons, un phénomène que le gouvernement central cherche aujourd'hui encore à minimiser.
Si les plus jeunes sont moins -enclins à critiquer les bases – toujours perçues comme positives pour l'économie même si elles ne génèrent plus que 5  % du PIB local, l'essentiel de l'activité dépendant d'un tourisme florissant – ils auraient été marqués par le décès de M. Onaga et beaucoup pencheraient donc pour Denny Tamaki.
Dans ce contexte, certains plaident en faveur d'une certaine distanciation avec Tokyo. " Historiquement, nous avons toujours occupé une position centrale entre le Japon, la Chine et l'Asie du Sud-Est, c'est dans notre ADN ", rappelle Takeharu Onaga, fils de M. Onaga et proche de M. Tamaki.
Philippe Mesmer
© Le Monde

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