Lundi 24 septembre, comme chaque semaine depuis qu'il a été adoubé par Luiz Inacio Lula da Silva, Fernando Haddad, candidat à la présidentielle d'octobre pour le Parti des travailleurs (PT, gauche), est venu rendre visite au héros de la gauche brésilienne. Il était un peu plus de 9 heures quand l'ancien maire de Sao Paulo a retrouvé l'ex-chef de l'Etat, qui purge à Curitiba une peine de douze ans de prison pour corruption ; et midi passé quand il en est sorti.
A ceux qui voient en lui le pantin de Lula, et comparent le PT à ces gangs dont les chefs gouvernent depuis leur prison, M. Haddad a rétorqué que, avec Lula, ils ne parlaient pas de politique.
" Nous avons abordé des questions juridiques visant sa défense ", a-t-il assuré. Sur un ton de présidentiable, après avoir évoqué l'une de ses priorités – l'alimentation scolaire –, il a ajouté :
" Nous allons nous associer à tous ceux qui défendent la démocratie. Le monde observe le Brésil. " C'est une référence à la popularité du candidat d'extrême droite, Jair Bolsonaro, en tête des sondages avec 28 % des intentions de vote selon le sondage Ibope du 24 septembre.
" Haddad est un homme merveilleux. Il sera un autre Lula ", assure Izabel Aparecida Fernandes. Depuis le 7 avril et l'emprisonnement de l'ex-syndicaliste, la petite femme de 59 ans passe ses journées dans le camp de fortune installé près du bâtiment de la police fédérale. Retraitée de la métallurgie, elle fait partie des
" résistants ", issus de mouvements sociaux et de syndicats ouvriers venus -montrer leur solidarité avec Lula :
" C'est Lula qui m'a permis de sortir de la misère, je lui dois tout. "
Au-delà de cette petite centaine de " campeurs " qui désignent Lula comme un
" prisonnier politique ", la visite de célébrités laisse croire au leader de la gauche qu'on ne l'a pas oublié. En cinq mois, les gardiens ont vu défiler, notamment, l'ancien président du conseil italien Massimo D'Alema, l'ex-président du Parlement européen Martin Schulz, l'intellectuel Noam Chomsky, l'ancien président uruguayen José Mujica, un conseiller du pape François et l'acteur américain Danny Glover.
Cette prévenance est peu appréciée dans le quartier, où l'on estime que Lula a bien mérité sa place derrière les barreaux. A quelques mètres de la prison, -Regiane do Carmo Santos, une femme au foyer de 53 ans, s'est fâchée avec tous ses voisins pour avoir ouvert sa cuisine aux militants du PT.
" Ici, ce ne sont que des “coxinhas” ", soupire-t-elle en évoquant ce petit beignet au poulet symbole de la bourgeoisie brésilienne conservatrice.
" Partout, il n'y a que des électeurs de Bolsonaro ", insiste-t-elle en montrant les petits pavillons où flotte le drapeau brésilien.
Le signe du pistoletA quelques mètres de la maison de Regiane, Simone Weingartner, 30 ans, confirme qu'elle pense sérieusement voter en faveur de l'extrême droite. Faisant taire son berger allemand, la mère de famille reconnaît que Lula a fait des
" choses bien " pour l'éducation de ses deux enfants. Mais
" Bolsonaro, lui, n'a pas volé ", signale-t-elle. Un peu plus loin, Leda Candido, 53 ans, ancienne employée de bureau, confesse avoir voté Lula en 2002, mais a été
" déçue ".
" Au début, on gagnait plus d'argent, mais en réalité, les plus favorisés, ce sont ceux du Nordeste - une des régions les plus pauvres du pays, fief du Parti des travailleurs -
", dit-elle, regrettant la
" dérive communiste " du PT. La quinquagénaire pense voter Bolsonaro
" à cause de cette question du genre " :
" Qu'est-ce que c'est que ça, maintenant, on va demander aux enfants de choisir leur sexe ? ", lâche-t-elle, abasourdie.
Dans la ville du juge anti-corruption Sergio Moro, à l'origine de la condamnation de Lula, arborer un tee-shirt à l'effigie de l'ex-chef de l'Etat vaut régulièrement des insultes lancées par des passants faisant le signe du pistolet avec la main, geste du clan de Bolsonaro, favorable aux armes à feu.
Terre de l'" alemao " – l'Allemand, et plus généralement le Brésilien blanc et blond issu de l'immigration allemande et européenne de la fin du XIXe et du début du XXe siècle –, le Parana où se trouve Curitiba est un
" Etat historiquement conservateur ", rappelle Emerson Urizzi Cervi, professeur de sciences politiques à l'université fédérale du Parana. Le politologue doute toutefois que l'électorat local soit profondément " bolsonariste " :
" Il s'agit davantage d'une élection contre - Lula ou son représentant -
que pour un candidat. Jair Bolsonaro, viscéralement anti-Lula, a su opportunément capter ce courant. Aujourd'hui, les gens tentent de justifier leur vote avec des arguments comme la corruption, les valeurs morales ou le prétendu communisme de Lula, alors que Lula est en réalité un social-démocrate ! "
Ce discours visant à faire de l'ex-métallo et de son représentant un danger pour le Brésil est en partie repris par le candidat de la droite traditionnelle, Geraldo Alckmin. S'adressant aux électeurs ulcérés de devoir choisir entre le porte-parole d'un détenu et un candidat d'extrême droite, le représentant du Parti de la social-démocratie brésilienne affirme que Fernando Haddad et Jair Bolsonaro sont
" les deux faces d'une même pièce : celle du radicalisme ".
" Passion délirante "
" Durant treize ans au palais présidentiel, le PT a commis beaucoup d'erreurs, mais il n'a jamais mis en danger les institutions. La thèse selon laquelle le PT et Bolsonaro seraient “deux faces d'une même pièce” ne fait qu'aider à normaliser l'autoritarisme du capitaine ",réagit l'éditorialiste Bernardo Mello Franco dans le quotidien
O Globo, rappelant l'éloge de la dictature militaire par le candidat d'extrême droite, ancien militaire, et ses propos visant à contester le résultat de l'élection s'il venait à perdre. Une
" passion délirante " s'est emparée de la politique au Brésil, commente aussi le psychanalyste Tales Ab'Saber, professeur à l'université fédérale de Sao Paulo, dans un entretien au journal
O Povo du 24 septembre.
En tête des sondages, le représentant du Parti social libéral (PSL) semble aujourd'hui avoir une place assurée au second tour face à Fernando Haddad (22 % des intentions de vote). Mais confronté à l'héritier de Lula, Jair Bolsonaro, victime de ses outrances et de son ton vindicatif, est à ce jour donné perdant par 37 % contre 43 %.
Claire Gatinois
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