La recette est vieille comme l'ancien monde. Un budget est affaire de chiffres. Pour frapper les esprits, montrer leur sérieux, faire date, les gouvernements successifs communiquent sur des sommes censées résumer, mieux que tous les discours, l'efficacité de leur action en direction des Français.
Le deuxième budget du quinquennat d'Emmanuel Macron, présenté le 24 septembre, n'échap-pe pas à cette règle.
" Nous baisserons les impôts de 6 milliards d'euros pour les ménages en 2019 ", répètent sur tous les tons les ministres de Bercy, leurs cabinets et les députés de la majorité parlementaire.
" C'est la plus grande baisse d'impôts pour les ménages depuis 2008 ", a assuré le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin, lundi.
Pour l'exécutif, c'est une manière de reprendre la main : le thème du pouvoir d'achat est revenu en force depuis la rentrée avec le tassement de la conjoncture, l'annonce du gel de prestations sociales et des pensions de retraite, ou encore les cafouillages gouvernementaux autour du prélèvement à la source. Problème : en Macronie comme ailleurs, on fait dire aux chiffres ce que l'on veut. En l'occurrence, à peine les 6 milliards avaient-ils été brandis par les artisans du projet de loi de finances 2019 que chacun – opposants de gauche, de droite, économistes – s'est emparé de sa calculatrice.
Et force est de constater que le compte n'y est pas. D'abord, parce que ce chiffre de 6 milliards d'euros agrège baisses d'impôts et allégements de cotisations. A Bercy, on reconnaît d'ailleurs qu'il serait plus pertinent de parler de diminution de prélèvements obligatoires. Ensuite, parce que ces 6 milliards d'euros reprennent nombre de mesures déjà présentées lors du budget 2018.
Ainsi, si la suppression de la deuxième tranche de la taxe d'habitation aura bien lieu à l'automne 2019, permettant aux 80 % de foyers concernés d'économiser 3,8 milliards d'euros supplémentaires, la baisse des cotisations chômage et maladie pour compenser la hausse de la CSG intervient cette année. Mais comme elle a lieu en deux temps – au 1er janvier puis au 1er octobre –, ses pleins effets ne seront perceptibles qu'en année pleine 2019, argue l'exécutif, qui comptabilise donc un peu plus de 4 milliards de gains à ce titre pour les actifs.
" On s'était fait reprendre l'an dernier sur le fait qu'on votait des baisses d'impôts mais que les Français ne le verraient qu'en fin d'année 2018. Dont acte ! ", plaide-t-on à Bercy. Soit. Sauf qu'au titre de 2018, le gouvernement s'était bien gardé de souligner le manque à gagner que cette baisse en deux temps allait générer.
Comptes d'apothicaireDernière facilité : le calcul du gouvernement intègre l'économie réalisée par les 300 000 retraités qui n'auront pas à payer de hausse de CSG, conformément à l'annonce faite par le premier ministre, Edouard Philippe, la semaine dernière. En revanche, Bercy ne tient pas compte du manque à gagner induit par la non-indexation sur l'inflation de certaines prestations sociales, des allocations logement et des retraites. Or ces mesures devraient faire économiser quelque 3 milliards d'euros à l'Etat.
Les chercheurs de l'OFCE, cercle de réflexion classé à gauche, évoquent, eux, plutôt un gain de 3,5 milliards d'euros pour les Français, soit presque moitié moins que le chiffre avancé par l'exécutif.
Au fond, qu'importe. Ce qu'illustre cet épisode, c'est le danger qui existe à se renvoyer ainsi des chiffres tenant davantage des comptes d'apothicaire que de l'examen éclairé de la politique budgétaire du pays.
" Le problème, c'est que le ressenti des Français ne correspond pas aux chiffres du gouvernement ", s'est fait un plaisir de souligner Eric Wœrth, le président (LR) de la commission des finances de l'Assemblée nationale. A Bercy, on l'admet volontiers :
" En matière de pouvoir d'achat, les gens voient ce qu'ils perdent, jamais ce qu'ils gagnent. C'est une bataille impossible à gagner. " A tenter de résumer une action politique avec des chiffres, sans parvenir à faire la pédagogie des réformes, il n'y a que des coups à prendre.
par Audrey Tonnelier
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