Jamais, Emmanuel Macron n'a eu l'Europe honteuse. Il a au contraire décidé de l'incarner, de la porter en étendard. Comme au soir de sa victoire, au Louvre, le 7 mai 2017 : le drapeau européen flotte, L'Ode à la joie de Beethoven, qui est aussi l'hymne de l'Union européenne, emplit l'espace. Quelques mois plus tard, le 26 septembre 2017, lors d'un discours enflammé prononcé dans le grand auditorium de la Sorbonne, le jeune chef de l'Etat déclare son ambition pour une Europe refondée, " souveraine, unie et démocratique ", face à l'Amérique de Donald Trump et à la Chine de Xi Jinping.
Un an après, à huit mois des élections européennes de 2019, Emmanuel Macron sait qu'il sera jugé à l'aune de ce discours fondateur, dans lequel il a fait une cinquantaine de propositions, sur l'environnement, la politique migratoire, la défense, la zone euro, ou le -numérique. Jeudi 20 septembre, à -l'occasion du sommet européen de -Salzbourg, en Autriche, le président a esquissé son propre bilan.
" Depuis un an, les avancées ont été réelles ", a-t-il défendu, citant la défense, le droit d'auteur, l'économie et la croissance dans la zone euro, la sécurité, "
avec la force européenne de protection civile ", ou encore le lancement cet automne des universités européennes
. " Mais l'Europe se perd dans les querelles et laisse les uns et les autres être séduits par les purs messages de violence, a-t-il ajouté.
Ce combat se poursuivra, ce sera l'enjeu des élections européennes, c'est un combat de chaque jour. "
Le clan des " nonistes "A Bruxelles, on veut croire que, dans l'Europe du Brexit, le discours de la Sorbonne a fait bouger les lignes, imposé un agenda et redonné une voix à la France sur la scène européenne.
" A part Florian Philippot, plus personne ne parle de quitter l'Union européenne ", note Pieyre-Emmanuel Anglade, député LRM des Français de l'étranger et spécialiste des questions européennes.
" Au premier tour de la présidentielle, il y a eu 50 % de votes antieuropéens, rappelle un conseiller élyséen.
On savait que le contexte politique nécessitait un combat doctrinal et idéologique.
A la Sorbonne, on a initié ce travail de reconquête intellectuelle et diplomatique en Europe. Désormais, la France évoque des sujets qui fâchent, parle à tout le monde et ne se limite plus à un bilatéral ritualisé avec Berlin. "
Pourtant, après une année consacrée au sujet – le chef de l'Etat a visité plus de la moitié des pays de l'Union et prononcé deux longs discours, au Parlement de Strasbourg en avril et à Aix-la-Chapelle en mai –, le bilan de son plan pour l'Europe reste mitigé. Même si, comme le souligne l'Elysée,
" un peu plus de la moitié des propositions de la Sorbonne sont finalisées ou le seront avant le scrutin européen ".
Certaines d'entre elles ont d'ores et déjà été enterrées. L'énergie du jeune président n'a pas suffi à faire sortir de son coma la taxe sur les transactions financières. Ni à réactiver un autre serpent de mer bruxellois, la taxe aux frontières de l'Europe sur le carbone, jugée
" indispensable " à la Sorbonne. Le président a aussi renoncé à l'instauration de " listes transnationales " dès les européennes de 2019. Ou d'un " super-ministre " de la zone euro.
Mais, dans plusieurs domaines, il y a eu des avancées notables. A commencer par la révision de la directive sur le travail détaché, que le président a obtenu en octobre 2017 après quatre mois de négociations. La Commission européenne, tout comme la Belgique ou l'Allemagne y étaient également favorables, mais Paris a contribué à durcir la copie.
Sur les sujets de défense et de sécurité aussi, la France peut se féliciter d'avoir obtenu des résultats. Huit autres pays dont l'Allemagne ou la Belgique ont ainsi décidé en juin de rejoindre son
" initiative européenne d'intervention ", cette alliance visant à une coopération plus rapprochée entre les états-majors, hors du cadre de l'OTAN. Pressée notamment par Paris, la Commission vient par ailleurs de proposer un règlement obligeant les réseaux sociaux à éliminer des contenus à caractère terroriste, dans l'heure suivant leur signalement par les autorités.
Même la taxe GAFA – acronyme désignant Google, Apple, Facebook et Amazon – a fait quelques progrès, et son adoption reste possible avant les élections européennes. Convaincue par Paris, la Commission défend un prélèvement sur le chiffre d'affaires des géants du Web. Et si une majorité des pays penche désormais en sa faveur, l'activisme français n'y est pas pour rien.
" Emmanuel Macron a su convaincre des pays comme le Luxembourg, la Finlande ou le Danemark ", explique son entourage.
Certes, l'Irlande, havre fiscal pour la high tech américaine, y reste opposée, mais elle sait qu'elle ne pourrait pas rester seule sur cette position. D'autant que Dublin a besoin de l'aide de Bruxelles sur le Brexit… Et l'Elysée espère convaincre une Allemagne encore hésitante.
" L'idée d'une taxe GAFA figure dans l'accord de coalition allemand et a le soutien du SPD ", y explique-t-on.
" Un grand pas "En revanche, certaines des réformes les plus structurantes, celles qui doivent rendre l'Europe plus visible et lui donner du sens, peinent à avancer. A commencer par le budget de la zone euro, dont Emmanuel Macron voulait qu'il représente
" plusieurs points de PIB de la zone euro ". Le président français a certes arraché un " oui " timide à la chancelière Merkel au sommet de -Meseberg en juin –
" c'est un grand pas ", commente l'Elysée –, mais, depuis, les discussions n'ont pas avancé. Et avec les échéances des européennes, il est peu probable qu'elles progressent d'ici à la fin de l'année.
Le clan des " nonistes ", un club d'une grosse dizaine de petits pays, surtout du Nord, mené par les Pays-Bas, y reste fermement opposé. Et les projets d'Emmanuel Macron ont été contrariés par la fragilisation d'Angela Merkel après le scrutin de septembre 2017, qui a vu l'AfD d'extrême droite entrer au Bundestag. D'autant qu'il a, quelques mois plus tard, perdu un allié potentiel, avec l'arrivée d'un gouvernement populiste en Italie.
C'est sans conteste sur les sujets migratoires – qui seront pourtant au cœur de la campagne pour les élections européennes – que ces nouveaux équilibres ont bloqué les ambitions macroniennes. A la Sorbonne, le président français souhaitait
" dans l'année " une réforme des accords de Dublin sur l'accueil des réfugiés. Le chantier est aujourd'hui au point mort, même si Emmanuel Macron, le 20 septembre à Salzbourg, a cité Jean-Claude Juncker, selon lequel, a-t-il affirmé, "
il (serait)
possible de finaliser Dublin " d'ici à mai.
Face au refus des pays de l'Est d'accueillir des réfugiés, la priorité à Bruxelles est désormais au renforcement des frontières extérieures de l'Union.
" Salvini et Orban ne veulent pas de solution, ils vivent du problème ", commente l'Elysée,
" aujourd'hui tout est bloqué pour des raisons d'instrumentalisation politique ".
Cécile Ducourtieux (à Bruxelles), et Virginie Malingre
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