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jeudi 27 septembre 2018

L'Élysée prend la main sur les procureurs




27 septembre 2018

L'Élysée prend la main sur les procureurs

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 La succession très sensible de François Molins à la tête du parquet de Paris fait l'objet d'intenses tractations
 Trois candidats pressentis par le ministère de la justice ont été écartés par le chef de l'Etat
 Alors que d'autres postes-clés vont s'ouvrir, l'exécutif renoue avec l'interventionnisme
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© Le Monde


27 septembre 2018

Justice : l'Elysée prend la main sur les parquets

Emmanuel Macron a écarté les trois successeurs potentiels de François Molins au parquet de Paris

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Les rebonds dans le processus de choix du successeur de François Molins au poste de procureur de Paris marquent un tournant dans la façon dont l'exécutif s'intéresse à la justice. Alors que Nicole Belloubet, garde des sceaux, comptait proposer au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) le nom de Marc Cimamonti pour ce poste prestigieux, l'Elysée a fait part de ses réticences, comme Le Figaro l'a révélé, lundi 24  septembre.
Finalement, le procureur de Lyon, également président de la Conférence nationale des procureurs de la République, devrait se voir attribuer, à moins d'un peu probable avis défavorable du CSM, le poste de procureur général de la cour d'appel de Versailles. Mieux qu'un lot de consolation, c'est une belle promotion pour M. Cimamonti. Cet incident surprise se double d'une remise à plat d'un processus qui semblait bien huilé.
Parmi les neuf candidats qui s'étaient manifestés pour succéder à M. Molins, que les attentats terroristes ont rendu familier aux Français, la chancellerie en avait sélectionné trois. Nicole  Belloubet avait ainsi auditionné, le 5  juillet, outre M. Cimamonti, Maryvonne Caillibotte, avocate générale à la cour d'appel de Paris, et Marie-Suzanne Le Quéau, procureure générale de Douai (Nord).
Légitimité du lien hiérarchiqueMais plutôt que de choisir entre ces deux candidates qui sortaient du lot il y a trois mois, la chancellerie a lancé un nouvel appel à candidatures. Le but est clairement de faire surgir d'autres profils des rangs de la magistrature. Le Syndicat de la magistrature dénonce un " choix du prince ".
Surtout, cette affaire illustre avec force la volonté du président de la République, Emmanuel -Macron, et du premier ministre, Edouard Philippe, de s'impliquer directement dans le choix des postes de procureur de la République ou de procureurs généraux les plus importants. Le chef de l'Etat n'avait pas caché sa vision en la matière en affirmant, en janvier devant la Cour de cassation, la légitimité du lien hiérarchique qui existe entre les magistrats du parquet, chargés d'appliquer la politique pénale, et le gouvernement qui la définit et en rend compte devant le Parlement.
Sa pratique le confirme. Depuis le début de l'année, " M. Macron demande à la garde des sceaux des explications sur les magistrats qu'elle compte nommer à  des postes importants au parquet ou au parquet général ", apprend-on d'une source proche de l'exécutif. A Matignon, Edouard Philippe n'est pas en reste. Selon nos informations, il a reçu, en juillet, dans une forme inédite d'examen oral, les trois candidats malheureux à la succession de M.  Molins.
Le chef de l'Etat n'est pas allé jusqu'à recevoir ces magistrats. Mais il a suivi de près le processus dans lequel se sont investis Sonya Djemni-Wagner, chargée de la justice au sein de son cabinet, et même Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Elysée.
L'attention que M.  Macron porte à cette nomination tranche avec la distance que son prédécesseur avait affichée à l'égard de la justice. François Hollande avait proclamé vouloir renforcer l'indépendance des procureurs. Le hasard a sans doute aussi voulu que peu de postes importants soient arrivés à échéance sous son mandat. M.  Molins avait été nommé à la tête du premier parquet de France par Michel Mercier, dernier ministre de la justice de Nicolas Sarkozy.
Aujourd'hui, renouant avec les pratiques routinières des présidences de la République antérieures à celle de M. Hollande, le chef de l'Etat compte dire son mot dans le choix des postes les plus importants du ministère public. Selon la lettre de la Constitution, il en a  parfaitement le droit puisque c'est le gouvernement qui soumet pour avis au CSM le nom des magistrats qu'il compte nommer au parquet. " Les Français ne comprendraient pas qu'il ne cherche pas à  connaître voire à rencontrer celui qui sera le prochain procureur de Paris. Les prérogatives de ce dernier englobent, notamment en raison du terrorisme, des sujets concernant la sûreté de l'Etat ", plaide un haut magistrat. Mais le couac intervenu risque de compliquer les choses. " Ces trois candidats sont écartés car ils n'ont pas plu. Celui qui sera choisi va donc plaire. Mais, qu'est-ce que cela signifie, aura-t-il prêté allégeance ? Sans doute pas, mais c'est sa crédibilité qui va trinquer. Ce n'est pas juste ", s'inquiète une " parquetière " chevronnée susceptible de postuler.
En attendant, François Molins est empêché de rejoindre la Cour de cassation comme procureur général tant qu'il n'est pas remplacé au parquet de Paris, car il n'est pas envisageable de laisser vacant ce poste. Au-delà du cas emblématique de la capitale, c'est bien une reprise en main des parquets que l'exécutif lance. Le ministère de la justice a profité de la remise à zéro des compteurs sur la nomination parisienne pour lancer un appel à candidatures pour six autres postes de procureurs de la République (Aix-en-Provence, Versailles, Grenoble, Caen, Lyon et Orléans) et cinq postes de procureurs généraux (aux cours d'appels de Besançon, Chambéry, Nîmes, Orléans et Cayenne).
" Diffuseurs de circulaires "" C'est une planification de mouvements à venir que nous préparons. Nous souhaitons sortir du système classique de candidatures à l'ancienneté qui impose un parcours type en cochant des cases dans des juridictions de tailles croissantes ", plaide un proche de Nicole  Belloubet. Le choix de M. Cimamonti, un opérationnel de terrain qui grille ainsi les étapes en accédant au  poste de procureur général de Versailles, serait d'ailleurs " un signal " pour rompre avec les habitudes. Ce serait aussi un moyen de revigorer la fonction de procureur général. Ce haut niveau hiérarchique a perdu une partie de son pouvoir sur les parquets depuis la loi Taubira de 2013 qui a banni les instructions du garde des sceaux aux procureurs généraux dans des dossiers individuels. " Certains se sentent parfois comme de simples diffuseurs de circulaires ministérielles ", reconnaît l'un d'eux.
Dans ce grand jeu de chaises musicales, deux postes non encore affichés sont déjà dans les esprits Place Vendôme, à Matignon et à l'Elysée : celui de procureur national financier, en remplacement d'Eliane Houlette, en fonctions jusqu'en juin  2019, et celui de procureur national antiterroriste, dont la création est soumise au Parlement dans le cadre du projet de loi de programmation de la justice.
Le gouvernement a choisi de prendre en main l'action publique avec une vision d'ensemble. Certains s'inquiètent par ailleurs du poids croissant que prend le ministère de l'intérieur sur ce terrain. Jean-François Thony, procureur général de Rennes et président de la Conférence des procureurs généraux, a ainsi demandé à Nicole  Belloubet lors d'une réunion à la chancellerie le 17  septembre une " clarification des positionnements institutionnels " de l'autorité administrative par rapport à l'autorité judiciaire. Il a pointé deux circulaires récentes de la Place Beauvau dans lesquelles il est demandé aux préfets de participer à la définition de " la stratégie judiciaire " face à la délinquance.
Jean-Baptiste Jacquin
© Le Monde

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