Peut-on croire qu'une matière en option qui, à l'horizon 2021 – celui du " bac Macron " – ne ferait plus gagner de points, parvienne encore à attirer des élèves ? Les professeurs de latin et de grec n'ont pas tardé à se poser sérieusement la question. A l'heure des réunions de rentrée, pressés de questions par des parents d'élèves qui ont bien compris l'imminence de la réforme du lycée (elle concerne cette année la classe de 2de) mais un peu moins sa logique d'ensemble, beaucoup ont sorti leur calculatrice.
" Prenons l'exemple d'un candidat au bac obtenant une moyenne de 13,5/20 après avoir passé toutes les épreuves, hors option ", suggère Loys Bonod, enseignant dans un lycée parisien et blogueur actif.
Un élève
" moyen bon ", précise-t-il
, issu de la filière S –
comme nombre de latinistes. Jusqu'à présent, un 16/20 à l'oral de latin (épreuve affectée d'un cœfficient 3 et ne tenant compte que des points au-dessus de la moyenne) lui rapportait 18 points
et faisait basculer sa moyenne finale au-delà de 14/20. De quoi décrocher la mention bien. Avec la réforme telle qu'elle s'annonce, toujours selon ses calculs, la note globale atteindrait… 13,52/20.
Explication : si l'on s'en tient aux grandes lignes de la réforme présentées en conseil des ministres mi-février, les langues anciennes ne figureront plus parmi les épreuves terminales (60 % de la note finale au bac), ni même parmi les épreuves communes évaluées au cours du cycle terminal (30 % du contrôle continu). Non : elles seraient prises en compte, comme les autres -options, dans les 10 % de la note résultant de l'analyse des bulletins scolaires.
" Nos courageux latinistes et hellénistes auraient fait l'effort de suivre trois heures de cours supplémentaires par semaine,
année après année, avec des emplois du temps parfois ahurissants, pour une reconnaissance… proche de zéro ", s'indigne Loys Bonod. De quoi accélérer la chute des effectifs ? Il y a déjà un
" net décrochage " lors du passage du collège au lycée – la part des élèves latinistes passant alors de 18 % à 4 %, rappelle Robert Delord, président de l'association Arrête ton char. Le grec, lui, stagne déjà autour de 1 %.
" On se débat avec le statut de langues mortes, martèle cet enseignant dans la Drôme.
Il nous faut attirer les élèves, les séduire, les motiver… “Accroche-toi, ça te vaudra des points !” : on l'a tous dit… Comment notre école prétendument méritocratique compte-t-elle les encourager demain ? "
La rhétorique politique a changéSur le papier, latin et grec n'auront pourtant pas disparu : un module littérature, langues et cultures de l'Antiquité figure parmi les douze enseignements de spécialité qui devront être proposés aux lycéens – en plus des enseignements de tronc commun – pour succéder à l'actuelle répartition en séries (S, L et ES).
" Nous nous sommes mobilisés, avec succès, pour obtenir cette spécialité qui ne figurait pas dans la mouture initiale de la -réforme ", se félicite François Martin, porte-parole de la Cnarela, regroupement de vingt-sept associations œuvrant en faveur du latin et du grec.
La rhétorique politique, d'un quinquennat à l'autre, a changé, reconnaît-on sur le terrain, et les
" gestes " en soutien des humanités se succèdent depuis un an : réimplantation d'heures de latin ou de grec là où la réforme du collège en a fait une
" variable d'ajustement ", comme disent les enseignants ; rétablissement du capes de lettres classiques ; création d'une certification complémentaire langues et cultures de l'Antiquité permettant à des professeurs d'autres disciplines de pallier la crise du recrutement…
" Nous ne sommes plus ces enseignants élitistes et poussiéreux pointés du doigt lors de la réforme du collège ", reprend M. Bonod.
" Le ministère de l'éducation répond à nos courriers ; on nous écoute, on nous reçoit ", ajoute M. Delord. Mais pour quel changement concret ? Une note de la direction générale de l'enseignement scolaire adressée aux recteurs, début septembre, est venue raviver les craintes : ce document indique que sept enseignements de spécialité sur douze
" doivent pouvoir être accessibles - aux élèves -
dans un périmètre raisonnable ", autrement dit au sein d'un réseau d'établissements, et pas d'un même lycée.
" On va recréer sans le dire des profils d'établissements, des filières qui ne disent pas leur nom ", redoute-t-on déjà dans les rangs de la Cnarela.
A moins que la copie de la réforme du bac n'évolue encore ?
" Les enseignants de lettres classiques, et tout ce qu'ils comptent de défenseurs – académiciens, éditorialistes… – peuvent être l'étincelle qui embrase la réforme du bac, souffle une source bien informée.
Ce péril, Jean-Michel Blanquer ne peut l'ignorer. "
Mattea Battaglia
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