Pour Mauricio Macri, le président argentin, la bataille contre la crise se joue sur plusieurs fronts. Vis-à-vis des marchés, si vite effarouchés. Mais aussi face à une population de plus en plus gagnée par la grogne sociale et la morosité. " Les Argentins sont fatigués, ils sont inquiets. Mais ils ne veulent pas revenir au passé ", a-t-il déclaré dans une interview au Financial Times, mardi 25 septembre.
En déplacement à New York pour l'Assemblée générale des Nations Unies, M. Macri s'est employé à rassurer les investisseurs sur l'état de santé de l'économie.
" La situation va s'améliorer peu à peu ", a-t-il affirmé mardi. Au même moment, en Argentine, toutes les grandes villes étaient paralysées par une grève générale. Vols annulés, écoles à l'arrêt, banques, commerces et administrations fermés… Profondément divisés, les différents syndicats argentins sont parvenus à s'unir pour convoquer ce débrayage national visant à dénoncer la politique du gouvernement et le recours au Fonds monétaire international (FMI). Ajoutant à la confusion ambiante, le gouverneur de la banque centrale, Luis Caputo, a annoncé mardi sa démission.
La monnaie argentine, le peso, a perdu la moitié de sa valeur en dollar cette année. Impuissant face à cette folle dégringolade – une chute de 28 % rien qu'au mois d'août –, le gouvernement est retourné voir le FMI pour lui demander d'accélérer les versements du prêt de 50 milliards de dollars accordé en juin. Voire d'augmenter l'enveloppe. En échange, Buenos Aires s'est engagé à ramener le déficit budgétaire à zéro dès 2019, un an plus tôt que prévu.
Un effort qui suppose de nouvelles hausses d'impôts, l'imposition d'une taxe sur les exportations et la poursuite de la réduction des subventions au transport public et à l'électricité. Le paquet, couplé à l'aide du FMI, doit rassurer les marchés sur la capacité du pays à honorer sa dette. Encore faut-il que ce nouveau budget soit voté, alors que la coalition au pouvoir n'a pas la majorité au Congrès. En attendant, l'horizon économique du pays est profondément troublé. Une nouvelle récession semble inévitable, la deuxième depuis l'arrivée au pouvoir de M. Macri. Au deuxième trimestre, l'activité s'est déjà contractée de 4,2 %. Le taux de chômage augmente et touche désormais près de 10 % de la population.
La chute de la monnaie nourrit une inflation galopante. La hausse des prix atteint 25 % sur les huit premiers mois de l'année et devrait dépasser 40 % en 2018. Dévaluation, inflation, licenciements, négociations avec le FMI… Pour les Argentins, l'enchaînement des derniers mois a un goût amer de déjà-vu. Abonné aux crises financières, le pays est resté traumatisé par la terrible banqueroute de 2001 qui avait plongé des millions de personnes dans la pauvreté.
Déjà, l'économie des familles est durement touchée par la valse des étiquettes. La farine a augmenté de plus de 68 % en trois mois et le prix d'un kilo de pain est passé de 50 pesos (1,15 euro) à 80 ou 90 pesos, selon les quartiers. Le pouvoir d'achat s'érode et la consommation diminue. Selon la chambre des industriels boulangers de Buenos Aires, la consommation de pain a baissé de 30 % ces trois derniers mois. Le troc, qui s'était développé pendant la crise de 2001, est réapparu dans plusieurs faubourgs de la capitale. On échange des ustensiles de maison et des vêtements contre de la nourriture. Les cantines populaires se sont multipliées.
La présidentielle dans un an
" Nous sommes un pays de vaches et de blé, alors pourquoi ce sont les produits alimentaires de base qui augmentent le plus ? ", se désespère une infirmière venue manifester, lundi, sur la place de Mai, face au palais présidentiel, à Buenos Aires. A ses côtés, un enseignant renchérit :
" On nous augmente les impôts, les tarifs de gaz, d'eau et d'électricité, ce sont les classes populaires et les travailleurs qui doivent payer la crise, alors que ce pays doit être le seul au monde où les juges, entre autres, ne paient pas d'impôts. "
Certains économistes jugent possible d'éviter le pire. La forte dévaluation va stimuler les exportations. La sécheresse de l'an dernier est maintenant terminée. Sur les marchés, le taux de change a commencé à se stabiliser. Pour autant,
" l'évolution de la situation dépendra beaucoup des sondages ", juge Carlos Winograd, professeur associé à l'Ecole d'économie de Paris et ancien secrétaire d'Etat argentin à l'économie.
Une nouvelle élection présidentielle aura lieu dans un an. Si la cote de popularité de M. Macri continue de s'effriter,
" les investisseurs se mettront à craindre le retour au pouvoir des populistes et la non-continuité de la politique économique ", poursuit M. Winograd. A New York, M. Macri a confirmé qu'il serait de nouveau candidat. Et tant pis s'il vient de vivre, selon son propre aveu début septembre,
" les cinq mois les pires de - sa -
vie ".
Christine Legrand, et Marie de Vergès (à Paris)
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