Il y a 100 ans
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Du 26 au 28 septembre 1918: la marche sur Cambrai
Hôtel de ville de Cambrai incendié par les Allemands. Photo BDIC
Politique, société, culture, sport, insolite, qu’elle soit nationale, internationale ou régionale retrouvez ce qui faisait l’actu dans nos journaux il y a tout juste cent ans…
Situation en France
Le communiqué officiel de l’état-major français repris dans Le Figaro annonce que le 26 septembre une attaque franco-américaine avance de plusieurs kilomètres avec la prise de Vauquois, Montfaucon.
Ce matin, à cinq heures, les troupes françaises ont attaqué sur le front de Champagne en liaison avec l’armée américaine opérant plus à l’est. Entre l’Ailette et l’Aisne, l’ennemi a renouvelé ses attaques hier en fin de journée dans la région d’Allemant et du Moulin de Laffaux. Il a réussi, sur ce dernier point, à pénétrer dans nos lignes, mais un retour énergique de nos troupes a rétabli la situation. Plus au sud, nous avons élargi nos gains à l’est de Sancy et fait des prisonniers.
Ce matin, les armées françaises et américaines ont attaqué en liaison étroite de part et d’autre de l’Argonne. Les opérations se déroulent dans des conditions satisfaisantes. L’avance des troupes françaises à l’ouest de l’Argonne est de plusieurs kilomètres.
Sur le front américain, ce matin, au nord-ouest de Verdun, la première armée a attaqué l’ennemi sur un front de vingt milles et pénétré dans ses lignes sur une profondeur moyenne de sept milles. Des troupes de Pennsylvanie, de Kansas et de Missouri, faisant partie du corps du major général Liggett ont pris Varennes, Montblainville, Vauquois et Cheppy, malgré une résistance acharnée.
Des troupes appartenant à d’autres corps ont, après avoir traversé le ruisseau de Forges, pris le bois de Forges et arraché à l’ennemi les villes de Malancourt, Béthincourt, Montfaucon, Cuisy, Nantillois, Septsarges, Dannevoux, Gercourt et Drillancourt. Les prisonniers dénombrés, jusqu’à présent, dépassent cinq mille.
Le 27 septembre, nos troupes, appuyées par des chars d’assaut ont réalisé une avance nouvelle sur tout le front de la bataille et brisé la résistance de l’ennemi, qui a tenté vainement d’enrayer nos progrès.
Nous avons gagné du terrain entre Auberive et Sainte-Marie-à-Py, malgré plusieurs contre-attaques violentes. À l’est de Somme-Py, nos troupes ont franchi la voie ferrée de Challerange sur une étendue de quatre kilomètres et progressé de plus de deux kilomètres au Nord.
Dans la région au nord-est de Tahure, nous avons enlevé le centre de résistance puissamment organisé de Gratreuil, ainsi que ce village. Plus à l’est, Fontaine-en-Dormois est également tombé entre nos mains.
À droite, nous avons porté nos lignes à un kilomètre au sud de Bouconville et conquis les bois de l’Echelle et de Cernay.
Depuis hier, notre avance atteint, en certains points, huit kilomètres. Le chiffre des prisonniers que nous avons faits dans ces deux jours de bataille dépasse dix mille. Nous avons capturé un matériel considérable.
Sur le front américain, au nord-ouest de Verdun, la première armée a poursuivi l’attaque commencée hier. Charpentry, Véry, Epinonville, Ivoiry, ont été enlevés. Plusieurs contre-attaques ennemies lancées contre le corps du major général Cameron ont été repoussées par des troupes des Etats suivants Ohio, New-Jersey, Maryland, Virginia, Oregon, Washington, Colorado, Wyoming et Montana.
Le matériel capturé comprend plus de cent canons, dont 12 de gros calibre, de nombreux mortiers de tranchées et des centaines de mitrailleuses. Le nombre des prisonniers atteint plus de huit mille, dont cent vingt-cinq officiers.
Le 28 septembre, les attaques réitérées de nos troupes, sur les plateaux au nord de l’Aisne, ont finalement contraint l’ennemi à se replier vers l’Ailette, à l’est de la ligne Allemant et Jouy.
Nos troupes, poursuivant les arrière-gardes allemandes, ont occupé le village et les lisières sud de la forêt de Pinon. Vaudesson, Chavignon et le fort de la Malmaison sont également entre nos mains. Plus au sud, nous avons largement progressé sur le plateau au nord de Vailly.
En Champagne, la journée a été marquée par de violentes contre-attaques dirigées par les Allemands à la droite de notre front de bataille. Des combats acharnés sont en cours dans la région de Bouconville, sur les hauteurs au nord de Fontaine-en-Dormois et au nord de Gratreuil.
Au centre et à gauche, nos troupes ont continué à progresser, notamment au nord de la voie ferrée de Challerange. Nous nous sommes emparés de Manre et avons atteint les lisières est de Sainte-Marie-à-Py. Nos pertes sont légères.
Sur le front américain, l’attaque déclenchée le 25 septembre continue à se développer favorablement aujourd’hui, nos troupes avançant, malgré un feu intense d’infanterie, d’artillerie et de mitrailleuses, ont atteint les abords de Brieulles et d’Exermont.
Plus de vingt villages sont tombés entre nos mains, ainsi qu’une quantité considérable de matériel. Le nombre des prisonniers continue à augmenter.
Les aviateurs américains ont gardé la maîtrise de l’air ils ont abattu douze ballons d’observation et plus de soixante aéroplanes ennemis, tandis que, pour nos appareils, moins d’un tiers de ce nombre n’est pas rentré. En liaison avec l’aviation française et britannique, et malgré un temps défavorable, nos pilotes ont rendu des services importants et ont exécuté avec succès-beaucoup de bon travail.
Et pendant ce temps-là dans la région
De Londres, le communiqué de l’armée britannique publié dans Le Temps dit que le 26 septembre, pendant la nuit, nous avons exécuté avec succès des opérations locales au nord-ouest de Saint-Quentin.
Des troupes anglaises ont progressé et se sont emparées de quelques points fortifiés aux environs de Selency et de Gricourt ; elles ont fait des prisonniers. En outre des contre-attaques lancées hier au nord-ouest de Favet et déjà signalées, l’ennemi a également attaqué par deux fois nos positions au nord de Gricourt. Ces attaques n’ont obtenu aucun succès.
Des troupes anglaises ont réussi une opération locale au nord-ouest de La Bassée. Nous avons avancé notre ligne et fait plus de cent prisonniers. Au cours de la nuit, une contre-attaque de l’ennemi dans ce secteur a été repoussée nous avons fait plusieurs prisonniers.
Nous avons légèrement amélioré nos positions au cours de la journée, et de la nuit dernière au nord-ouest d’Armentières ainsi qu’au cours de rencontres de patrouilles et de raids entre Armentières et Ypres ; nous avons fait quelques prisonniers.
Le 27 septembre, au matin, à cinq heures vingt, nos troupes ont attaqué sur un large front, au sud de la rivière la Sensée. D’après les premiers renseignements, nous réalisons des progrès satisfaisants dans ce secteur.
Pendant la nuit, nous avons procédé à des attaques locales, aux environs d’Arleux, au nord-ouest de La Bassée et au sud-est de Fleurbaix. Ces opérations nous ont permis d’avancer notre ligne sur ces points. Nous avons fait des prisonniers.
Des éléments de nos première et troisième armées, commandées, l’une par le général H.J.S. Horne, et l’autre, par le général J.H.G. Byng, ont attaqué ce matin, avant l’aube, sur un front étendu, en direction générale de Cambrai. Malgré l’organisation formidable des positions de l’ennemi, surtout dans le secteur nord de l’attaque, où le canal du Nord et les pentes découvertes vers l’ennemi rendaient notre avance extrêmement difficile, nous avons atteint tous nos objectifs.
À notre extrême droite, des détachements américains se sont emparés d’une série de tranchées et de fermes fortifiées formant les défenses extérieures du système principal Hindenburg, au sud-ouest du Catelet.
Plus au nord, la cinquième division a pris Beaucamp et, en liaison avec les troupes du Lancashire appartenant à la quarante-deuxième division, a atteint la hauteur de Beaucamp qui s’oriente au nord-est vers Marcoing.
Au centre droit, les Guards et la troisième division du 6e corps, sous les ordres du lieutenant-général Sir J. A. L. Haldane, se frayant un chemin à travers les défenses ennemies à l’est d’Havrincourt se sont emparées du village de Flesquières, et ont pris possession du long éperon qui, de ce village, s’étend à l’est vers Marcoing.
À leur gauche, des unités écossaises et navales du 17e corps, ayant enlevé d’assaut la ligne du canal du Nord, à l’est et au sud-ouest de Mœuvres, furent d’abord arrêtées devant les défenses de Graincourt. Puis, ayant débordé ce village par le nord, elles s’emparèrent d’Anneux, et, après avoir dépassé la 57e division (Lancashire), tout le front du 17e corps fut porté en avant.
Nous avons pris le village de Graincourt et continué notre avance vers Cantaing et Fontaine-Notre-Dame. Au centre gauche, le corps canadien, commandé par le lieutenant général Sir A. W. Currie, lançant à l’attaque les première, troisième et quatrième divisions canadiennes, a forcé les passages du canal du Nord et s’est emparé des villages de Sains-lez-Marquion, Marquion et Bourlon, ainsi que des hauteurs boisées du même nom.
Poursuivant son avance au-delà de cette ligne, avec le concours de la 11e division (anglaise), il a réalisé un gain appréciable de terrain vers Raillencourt et Haynecourt.
Notre sérieuse avance, à cheval sur la route Arras-Cambrai, a été grandement facilitée par la coopération étroite du 22e corps, commandé par le lieutenant-général Sir A.J. Godley, qui opérait au sud et au nord de la Sensée et de la Scarpe.
La 56e division (Londres) de ce corps a traversé le canal du Nord et s’est emparée de Sauchy-Lestrée et de Sauchy-Cauchy.
Au nord de la Scarpe, à l’extrême gauche, des troupes anglaises et écossaises ont achevé la prise d’Arleux-en-Gohelle et du réseau de tranchées allemandes voisin de ce village.
La parfaite liaison entre les commandements des différentes unités et entre l’infanterie, les tanks et l’aviation, jointe à la bravoure et à l’initiative déployées par tous, nous a valu de nouveau un succès complet, avec relativement peu de pertes.
Au cours de la journée, nous avons fait plusieurs milliers de prisonniers et pris de nombreux canons.
Le 28 septembre, notre attaque sur le front de Cambrai a été poursuivie sans relâche jusqu’à une heure avancée. De nouveaux progrès ont été réalisés pendant la soirée, principalement dans la partie nord du champ de bataille, nous avons encore fait des prisonniers et pris des canons.
Les troupes des 6e et 17e corps d’armée ont continué à progresser d’une manière satisfaisante sur le front entre la crête de Flesquières et les hauteurs de Bourlon.
La 1re division canadienne, dépassant Haynecourt, a atteint la route Douai- Cambrai à la tombée de la nuit. La 11e division, dépassant les positions occupées par les Canadiens, a poussé rapidement en avant sur une profondeur de plus de deux milles, s’emparant d’Epiney et d’Oisy-le-Verger. En même temps, la 56e division, avançant au nord le long du canal, a fait plus de cinq cents prisonniers, dans les positions défensives au nord-ouest de Sauchy-Cauchy.
Ces opérations ont été largement facilitées par le travail splendide des troupes du génie. Moins de quatre heures après le commencement de l’attaque et malgré le tir de l’artillerie ennemie, ces troupes ont réussi à jeter sur le canal du Nord un nombre de ponts suffisant pour assurer le passage du matériel, ce qui nous a permis d’avancer sans interruption.
Ce matin, les opérations se développent heureusement sur toute l’étendue du champ de bataille. Nous avons fait plus de dix mille prisonniers et capturé plus de deux cents canons.
Sur le front belge, nos opérations sur le front de Cambrai ont progressé favorablement. Sur la droite, les 5e et 42e divisions ont livré de vifs combats aux environs de la hauteur de Beaucamp, où l’ennemi a fortement contre-attaqué.
Dans la matinée d’aujourd’hui, elles ont brisé la résistance de l’infanterie allemande dans ce secteur, et avançant leurs lignes de plus de deux milles se sont emparées des positions défensives fortement organisées connues sous le nom de hauteurs Highland et Welsh.
Plus tard, succès s’est étendu vers le sud où nous ayons pris Gouzeaucourt. Au cours de la matinée, la 62e division (Yorkshire) a enlevé Marcoing et progressé au sud-est de cette localité.
Avant midi, le 58e bataillon du régiment Duke of Wellington, forçant le passage du canal de l’Escaut à Marcoing, s’est établi dans les défenses allemandes de la rive est.
En même temps, au nord de ce point, la 2e division et la 57e (Lancashire) nettoyèrent la rive ouest du canal, vers le nord jusqu’au bois de la Folie et s’emparaient de Noyelles-sur-Escaut, Cantaing et Fontaine-Notre-Dame. Des troupes du Lancashire continuent à progresser à l’est de Fontaine-Notre-Dame, en liaison avec les, troupes canadiennes opérant au nord de la route Bapaume-Cambrai. Là aussi, l’ennemi a opposé une vigoureuse résistance et a subi de lourdes pertes tant en tués qu’en prisonniers.
Au nord de la route Arras-Cambrai, les troupes canadiennes et anglaises ont progressé à l’est et au nord. À Raillancourt, l’ennemi a lancé hier soir de vigoureuses contre-attaques que nos troupes ont repoussées en lui infligeant des pertes sensibles.
Aujourd’hui, les troupes canadiennes se sont emparées de ce village de Sailly, ainsi que du système de tranchées qui traversent ces villages. Plus au nord, les contingents de la 56e division (Londres) ont pénétré dans Pallüel. Le nombre de prisonniers faits et de canons capturés ne cesse de s’accroître.
Sur les autres théâtres d’opération
En Russie
Soulèvement anti-bolchevik
Suivant une dépêche de Kief, repris dans Le Figaro, le bruit court qu’un soulèvement contre-révolutionnaire et anti-bolchevik a eu lieu à Petrograd, où les troupes, du Soviet ne peuvent pas arriver à la suite de l’interruption des communications. L’ancien ministre président et ministre des chemins de fer Trepof aurait été fusillé à Petrograd.
L’accord avec le gouvernement de Sibérie
M Vologodsky, premier ministre du gouvernement d’Omsk, qui centralise l’administration générale de la Sibérie, dans une interview accordée à Kharbine au représentant de journal Jiji, a fait cette déclaration.
Le programme du gouvernement d’Omsk comporte l’annulation du traité de Brest-Litovsk, la reprise de la guerre contre les Allemands l’envoi au front de la Volga a d’unités sibériennes et un appel aux alliés pour qu’ils fournissent des troupes et des munitions.
Le gouvernement veut aussi unifier la Sibérie et convoquer l’assemblée constituante.
M. Vologodsky ajoute que le but de sa visite à Vladivostok est de s’assurer si le gouvernement de cette ville est un partisan sincère du gouvernement d’Omsk et de faire connaître aux Alliés les souffrances du peuple sibérien.
Afin d’obtenir cette assistance, le gouvernement offre en retour de faire tout son possible pour faciliter le transport vers l’Ouest des troupes et des approvisionnements alliés.
Les grands-ducs en Crimée
Une note de l’Osservatore romano apprend que c’est sur la demande du Souverain Pontife, présentée par le gouvernement allemand, que le comité des Soviets a décidé d’envoyer tous les grands-ducs en Crimée. Cette démarche du Saint-Siège avait été sollicitée par la grande-duchesse Georges.
Le Figaro reprend le communiqué officiel de l’armée française d’Orient en Bulgarie qui dit que les opérations ont été particulièrement heureuses.
Le formidable massif de Belès enlevé, la frontière bulgare franchie à Kosturino par l’armée britannique qui marche sur Stroumitza, les hauteurs de Gradetz Planina atteintes par les troupes franco-helléniques, la ville d’Istip conquise et dépassée par les armées serbes, qui, d’autre part, s’approchent de Velès, les troupes ennemies obligées d’évacuer, après combat, leurs positions au nord-ouest de Monastir sous la pression des forces alliées qui les menacent vers le Nord et les rejettent sur l’Albanie, des prisonniers alliés délivrés, de nombreux canons et prisonniers nouveaux capturés avec un très important matériel, tels sont les fructueux résultats de ces deux journées.
La marche extrêmement rapide des troupes alliées rend impossible d’évaluer exactement le nombre des prisonniers et le butin qui est immense. Jusqu’ici, plus de dix mille prisonniers et plus de deux cents canons ont été dénombrés.
Grande Guerre : la mort tragique de l'espionne Louise de Bettignies

Dernière modification : 27/09/2018
Il y a cent ans, Louise de Bettignies mourrait dans une prison allemande. Cette espionne française faisait partie d'un réseau de renseignements durant la Première Guerre mondiale. Longtemps reconnue comme un symbole, elle est tombée dans l'oubli.
"Melle Louise de Bettignies, en captivité à Cologne, y a succombé après trois ans du plus dur martyre". C’est par ces quelques mots que le journal Le Figaro annonce en novembre 1918, la disparition de Louise de Bettignies. La jeune femme, âgée de 38 ans, est morte deux mois plus tôt, le 27 septembre 1918 dans une prison en Allemagne, à quelques semaines seulement de la fin de la Première Guerre mondiale. Celle qui a été surnommée la "Jeanne d’Arc du Nord" avait été condamnée en 1916 pour espionnage.
LA CROIX PLACÉE PAR LES ALLEMANDS SUR LA TOMBE PROVISOIRE DE LOUISE DE BETTIGNIES À COLOGNE ET QUI SE TROUVE DÉSORMAIS DANS LA NÉCROPOLENATIONALE DE NOTRE-DAME-DE-LORETTE.

Une préceptrice devenue espionne
Rien ne prédestinait pourtant cette fille de bonne famille à un tel destin, héroïque. Louise de Bettignies voit le jour en 1880 à Saint-Amand-les-Eaux, dans le Nord, dans une famille noble et catholique, mais désargentée. Elle suit cependant des études en Angleterre. Polyglotte, elle maîtrise aussi bien l’anglais, l’italien et l’allemand et se débrouille en russe, en tchèque ou encore en espagnol. Elle gagne ensuite sa vie comme préceptrice auprès de grandes familles d’Europe. Lorsqu’éclate la guerre, elle s’illustre déjà comme infirmière. Elle soigne les blessés lors des bombardements de Lille en octobre 1914. Mais la ville tombe rapidement entre les mains des Allemands.
Louise de Bettignies est vite repérée par les services de renseignements britanniques. Ses compétences en matière de langues sont recherchées, et elle fait preuve d’un patriotisme à toute épreuve. Elle suit une véritable formation d’espionne en Angleterre et prend le pseudonyme d’Alice Dubois. Exfiltrée en zone occupée, elle monte avec son amie Léonie Vanhoutte dite Charlotte, un réseau nommé "Ramble" qui compte jusqu’à 80 personnes. "L’extension et l’organisation de ce genre de réseaux se faisait au tout venant en fonction des besoins : passage de frontière, hébergement, observation notamment des trains et des mouvements de troupes et de matériel, mais aussi du passage de courriers, parfois de presse clandestine", décrit l’historienne Élise Julien, maître de conférences à Sciences-Po Lille. "Il y avait aussi dans un second temps des évacuation d’hommes et des observations et transmissions de renseignements sur l’occupant."
"J’accepte ma condamnation avec courage"
De février à octobre 1915, la jeune femme n’hésite pas à traverser les lignes ennemies. Sa mission principale est alors d’identifier les mouvements de troupes allemandes dans la région lilloise. À l’automne, elle envoie un dernier message où elle annonce aux Britanniques qu’une importante opération militaire est prévue à Verdun au début de l’année 1916. Le 20 octobre, son action est stoppée net. Elle est surprise lors d’un contrôle à Froyennes, près de Tournai, en Belgique, alors qu’elle tente de passer la frontière.
Quelques mois plus tard, elle est jugée et condamnée à mort. Comme le rapporte Le Figaro, cette catholique pratiquante adresse alors une lettre à la supérieure des Carmélites d’Anderlecht. On y perçoit toute sa détermination : "La décision du Conseil de guerre n'est pas discutable. J'accepte ma condamnation avec courage. Lors de mon opération, j'ai envisagé la mort avec calme et sans effroi, j'y joins aujourd'hui un sentiment de joie et de fierté, car j'ai refusé de dénoncer qui que ce soit, et j'espère que ceux que j'ai sauvés par mon silence m'en sauront gré."
Après la vague de réprobations suscitée par l’exécution de l’infirmière britannique Edith Cavell et de la résistante belge Gabrielle Petit, sa peine est finalement commuée en travaux forcés à perpétuité, à Siegburg, près de Cologne. Là encore, lors de son incarcération, Louise de Bettignies se montre encore une fois intransigeante envers l’ennemi. "Elle a fait de l’opposition. Elle refusait de parler ou de travailler pour l’industrie de guerre allemande. Elle avait un comportement insolent", explique Élise Julien. En raison de son attitude, ses conditions de détention se durcissent. "Les geôliers l’enfermèrent dans un cachot. Elle était mourante quand elle en sortit. Si vous aviez vu son visage et ses yeux ! Seule la foi la soutenait. Elle nous disait encore : ‘Ne faites rien contre votre pays, rien contre votre conscience, rien contre l’honneur'", a raconté dans les années 1930 au journal Paris-Soirl’une de ses codétenues. Louise de Bettignies succombe finalement le 27 septembre 1918 des suites d’un abcès pleural mal opéré.
Pendant l’entre deux-guerres, elle devient un symbole. Une statue est même érigée en son honneur à Lille. On peut y voir l’espionne debout, regardant au loin, alors qu’un soldat reconnaissant baise sa main. "C’est un rare cas de création d’une héroïne qui n’a pas été fusillée par l’ennemi alors que la plupart des héros ont obtenu ainsi cette reconnaissance", note l’historienne Élise Julien. Pourtant, cent ans après, le nom de Louise de Bettignies s’est peu à peu effacé de la mémoire collective. "Elle est également mal connue dans le Nord. Le reste du pays ignore largement l’histoire même de l’occupation", précise Élise Julien. Pour rattraper cet oubli, une commémoration pour le centenaire de sa disparition a lieu à Lille, le 27 septembre.Un centre de ressources dans sa maison natale consacré à l'émancipation des femmes devrait également ouvrir en 2020 à Saint-Amand-les-Eaux.
Première publication : 27/09/2018



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