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jeudi 27 septembre 2018

A bord de l'" Aquarius ", les 58 migrants secourus attendent dans l'anxiété


27 septembre 2018

A bord de l'" Aquarius ", les 58 migrants secourus attendent dans l'anxiété

Les rescapés doivent être répartis entre la France, l'Allemagne, l'Espagne et le Portugal

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LE CONTEXTE
discorde
Dans un entretien à paraître jeudi 27 septembre dans Valeurs actuelles, le ministre de l'intérieur italien, Matteo Salvini, -attaque la politique " hypocrite " d'Emmanuel Macron sur les migrants et demande " un effort commun européen pour créer des camps d'analyse des demandes d'asile " en Libye, face " au modèle en faillite qui consistait à sous-traiter les missions de surveillance et de secours à des ONG ".
" C'est Ponce Pilate, c'est obscène. Quand il y a des gens qui sont en train de risquer de se noyer, M. Salvini préfère regarder ailleurs ", a rétorqué mercredi sur RTL la ministre française aux affaires européennes, Nathalie Loiseau.
Il y a des bonnes nouvelles difficiles à porter. Mardi 25  septembre, les équipes de l'Aquarius ont annoncé aux cinquante-huit personnes qu'elles ont secourues en mer les 20 et 23  septembre, au large de la Libye, qu'elles seraient débarquées à Malte et que quatre Etats européens avaient trouvé un accord les concernant.
La France accueillera dix-huit d'entre elles, l'Allemagne et l'Espagne quinze chacune et le Portugal dix. Comme à chaque fois depuis la fermeture, cet été, des ports italiens et maltais aux bateaux humanitaires, des solutions d'accueil et de répartition des migrants sauvés en mer sont trouvées au forceps.
Dans des échanges un peu timides et laborieux, le message est passé à bord du bateau. Des sourires sont esquissés. Et puis, très vite, l'anxiété, de nouveau, pour les personnes rescapées, parmi lesquelles, notamment, trente-sept Libyens, onze Pakistanais et trois Syriens.
L'Allemagne ou la France ? Le Portugal ou l'Espagne ? " Il y a du chômage en France. "" Le Portugal, c'est un pays pauvre. "" Je peux choisir ? " Un Libyen de 20 ans a des attaches en Allemagne, mais il voudrait suivre une famille en France, avec laquelle il a fait la traversée. Mazem, un comptable de 38 ans qui voyage avec sa femme et a quitté la Syrie depuis quatre ans, veut aller en Suède où vivent déjà ses deux frères et deux enfants nés d'un premier mariage.
" Si on prend mes empreintes dans un pays, je ne pourrai plus m'installer ailleurs ", redoute une Libyenne de 40 ans qui voudrait aller au Luxembourg pour que ses fils fassent de bonnes études.
Un jeune Pakistanais s'inquiète, parce qu'il a perdu un bracelet de couleur que lui avait donné l'équipe de Médecins sans frontières (MSF) à bord. Ils sont censés servir, au moment du débarquement, pour mieux orienter les personnes, notamment en fonction de leur vulnérabilité. " On tient un rapport complet patient par patient, explique Aloys Vimard, responsable des opérations de MSF à bord de l'Aquarius.Ça permet de faire une passation à quai et de poursuivre la prise en charge des personnes. "
Il n'y aura pas de " passation à quai " cette fois. Le gouvernement maltais a prévu que les migrants " seront transbordés sur un navire maltais dans les eaux internationales ".L'Aquarius n'est pas le bienvenu dans l'île, il n'a pas l'autorisation d'entrer dans les eaux territoriales maltaises. En raison de la météo qui se dégrade, le transfert en mer pourrait n'être possible que dans deux jours. " On va encore les laisser dormir sur le pont et vomir, alors que certains sont déjà là depuis cinq jours et que la météo annonce des vagues de cinq mètres de creux ", s'indigne un sauveteur de SOS Méditerranée.
Dix-huit mineurs se trouvent à bord de l'Aquarius. Tous, à l'exception d'un mineur isolé pakistanais, sont libyens et voyagent en famille. Une situation inhabituelle. " Ce sont surtout des familles qui étaient bien établies, décrit M. Vimard. Elles n'avaient pas pour projet de partir, mais, du jour au lendemain, à cause du climat de crise aiguë en Libye, elles se retrouvent en mer. " Depuis fin août, des combats armés agitent notamment la capitale, Tripoli.
Malak est partie avec ses cinq enfants, âgés de 9 à 22 ans, et son frère de 24 ans qu'elle a élevé. Il y a un mois, son mari a étékidnappé à Tripoli.Elle ignore qui a pu s'en prendre à lui : " Il travaille dans le commerce alimentaire, donc il a de l'argent ", explique-t-elle. Elle pense aussi qu'il a pu se retrouver au milieu de rivalités tribales. Pour 48 000 dinars libyens (entre 6 000  et 7 000 euros au cours réel), elle a organisé son départ par la mer Méditerranée, avec ses enfants. Ils sont montés à bord d'une barque de bois, quand la plupart des migrants, notamment originaires d'Afrique subsaharienne, montent sur des embarcations de caoutchouc, plus fragiles. Le passeur a conduit la barque pendant une partie du trajet, avant de repartir à bord d'un autre bateau.
A la recherche d'un pavillon" On ne peut pas voyager n'importe comment ", justifie Ibtissem, une Libyenne de 40 ans, qui a entrepris la traversée avec son mari et ses deux fils de 18 et 20 ans. Modéliste pour une société italienne, Ibtissem dessine des maillots de bain et de la lingerie. Une partie de sa famille est installée en France. Son époux travaille comme concessionnaire automobile. Depuis le début de la chute du régime de Kadhafi en  2011, les difficultés sont allées croissant pour le couple. Pour des raisons de sécurité, ils ont notamment déménagé de Tripoli à Zaouïa, à l'ouest. Il y a deux mois, leur fils est tombé sur des coupeurs de route, armés de kalachnikovs. Ibtissem et son mari ont payé une rançon de 70 000 dinars. Faute de liquidités disponibles en banque, ils ont vendu leurs deux voitures. Depuis, la famille ne sortait quasiment plus de chez elle. " En Libye, dit Ibtissem, nous sommes des morts qui respirent. Il fallait qu'on parte. "
Après le transfert des migrants, l'Aquarius se rendra à Marseille le temps de trouver un nouveau drapeau sous lequel naviguer, alors que le Panama a confirmé, mardi, révoquer son pavillon. Pendant ce temps-là, plus aucun bateau humanitaire ne patrouille au large de la Libye pour porter secours aux embarcations en détresse.
Julia Pascual
© Le Monde

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