vendredi 24 août 2018

L'économie russe sous le couperet américain


22 août 2018

L'économie russe sous le couperet américain

Jusqu'ici, les sanctions prises le 8 août contre Moscou ont eu un impact limité. Mais une deuxième salve se prépare

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LES CHIFFRES
1,8  %
C'est le rythme de croissance de l'économie russe sur un an au deuxième trimestre, selon l'institut de statistiques Rosstat.
5,7 %
C'est la baisse du rouble face au dollar depuis le 8 août, date de l'annonce des sanctions américaines.
2,5  %
C'est le rythme de l'inflation sur un an en juillet, d'après Rosstat. Les prix des carburants ont baissé de 0,2  % sur un mois, sous l'effet de la diminution des taxes décidée par le gouvernement en urgence face à la flambée des prix à la pompe, qui restent en hausse de 11,8  % sur un an.
Des sanctions ? Quelles sanctions ? Dans l'immense centre commercial Mega, aux portes de Moscou, les mesures américaines prises le 8  août à l'encontre de la Russie, et qui entreront en vigueur mercredi 22  août, font davantage sourire que frissonner de peur. " Pour nous, cela ne changera rien ! Depuis quatre ans, nous avons fini par nous habituer. Crises économiques et sanctions occidentales : nous sommes blindés… ", ironise Andreï, un informaticien de 38 ans, qui s'est -déplacé en famille pour effectuer quelques emplettes – des étagères Ikea, un plein de courses alimentaires chez Auchan, ainsi que divers instruments dans le supermarché de bricolage.
Partout, des parkings bondés et de longues queues aux caisses témoignent du fait que la consommation, deuxième moteur de l'économie nationale derrière la manne pétrolière, continue de fonctionner à plein régime.
Les statistiques rendues publiques vendredi 17  août par Rosstat révèlent certes un ralentissement de la consommation (+ 2,5  % des ventes de détail sur un an en juillet, contre + 3  % en juin). Cependant, il s'agit moins de l'effet immédiat des sanctions américaines – décidées en lien avec l'empoisonnement, en mars, de l'ex-espion russe Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia à Salisbury, dans le sud de l'Angleterre – qu'un avertissement de plus.
" La menace est réelle "En phase de reprise depuis la récession de 2015-2016, le pays semble en effet dans l'impasse, menacé de stagnation faute de nouveaux relais de croissance. Après une progression de 1,5  % en  2017, la hausse du produit intérieur brut (PIB) s'est accélérée depuis le début de l'année (+ 1,8  % sur un an au deuxième trimestre), mais reste loin des 7  % enregistrés lors des deux premiers mandats du président Vladimir Poutine (2000-2008) et à bonne distance de son objectif : dépasser le taux de croissance mondiale pour 2018 (3,9  %, selon le Fonds monétaire international).
Si, à ce stade, la soudaine baisse du rouble – provoquée par l'annonce américaine du 8  août – passe presque inaperçue, elle pourrait à terme renchérir les importations et saper l'un des succès de la Banque centrale, à savoir une inflation à son plus bas niveau depuis la chute de l'URSS, en  1991 (moins de 2,5  %). " La menace est réelle. Mais, depuis les premières sanctions occidentales, en  2014 - en réaction à l'annexion unilatérale de la Crimée - , notre économie s'est montrée résiliente face à chaque salve de mesures contre elle ",assure Oleg Kouzmine, économiste en chef à Moscou de Renaissance Capital. Il se montre d'autant plus optimiste que, contrairement à 2014-2015, la conjoncture est aujourd'hui favorable grâce à la hausse des cours du pétrole. Un argument de taille pour un pays où les hydrocarbures représentent 30  % du PIB et 50  % du budget de l'Etat.
" Les méfaits des nouvelles sanctions sont encore flous, car les -signaux venant de Washington restent vagues et contradictoires. Un jour, le président Donald Trump se montre chaleureux avec le chef du Kremlin. Un autre jour, son administration se fait menaçante ",temporise Andreï Klepach, économiste en chef de la banque publique de développement VEB. Une allusion aux amabilités échangées lors du sommet entre M. Trump et M. Poutine, le 16  juillet à Helsinki, qui ont été suivies, trois semaines plus tard, de l'adoption de nouvelles sanctions, dont la nature et l'ampleur demeurent incertaines. Pour l'heure, elles portent seulement sur l'interdiction d'exporter vers la Russie certains produits technologiques (turbines et autres équipements électroniques).
Accès restreint au dollarUne deuxième salve pourrait suivre, avec des mesures qui, aux yeux de certains à Washington, s'annoncent déjà comme étant " draconiennes ". Elles seraient susceptibles de viser le système bancaire russe qui, en pleine réorganisation, souffre déjà des taux d'intérêt élevés imposés par la Banque centrale depuis la première chute du rouble, en  2014.
Les Etats-Unis pourraient également limiter la Russie dans ses capacités à émettre de la dette. -Fatalement, ce scénario entraînerait une nouvelle baisse de la -devise et menacerait aussi la timide reprise des investissements, sempiternel maillon faible de l'économie intérieure.
Des sénateurs américains ont par ailleurs fait circuler une proposition de loi prévoyant de réduire les transactions de plusieurs banques publiques russes et de restreindre leur accès au dollar. Le premier ministre, Dmitri Medvedev, a déjà prévenu : " Si quelqu'un interdisait les opérations de banque ou leur recours à l'une ou l'autre devise, nous pourrions parler très clairement de déclaration de guerre économique. "
D'autres sanctions pourraient être plus ciblées et viser par exemple les compagnies aériennes russes, en leur interdisant d'atterrir dans les aéroports -américains. Une autre possibilité  consisterait en un élargissement des mesures déjà adoptées en mars par le Trésor qui, en réponse aux accusations d'ingérence électorale et aux cyberattaques, a puni plusieurs oligarques proches de Vladimir Poutine. Au premier rang de ceux-ci figure Oleg Deripaska, dont le géant de l'aluminium Rusal et son principal actionnaire, En+ Group, ont été placés sur la liste noire des Etats-Unis.
" Des sanctions ciblées pourraient donc faire très mal ", prévient Evgeny Gontmakher, vice-directeur d'Imemo, l'institut russe de l'économie mondiale et des relations internationales. " Des -mesures similaires à celles prises contre M. Deripaska pénaliseraient nos exportations. Des initiatives contre les banques pourraient avoir de lourdes conséquences sur tout notre secteur financier ", redoute cet économiste libéral.
Sa crainte est d'autant plus grande que, parallèlement, l'économie russe continue de payer le prix de ses défaillances structurelles : forte dépendance aux industries des matières premières, faiblesse des investissements privés, présence minimale des PME, poids insuffisant de l'entrepreneuriat, infrastructures déliquescentes… Des maux que de futures représailles ne pourraient qu'exacerber. – (Intérim.)
© Le Monde

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